Les organisations maliennes signataires de la déclaration du 31 mars ont déposé lundi 22 avril un recours devant la Cour suprême afin d’obtenir l’annulation du décret qui a suspendu, le 10 avril dernier, les activités à caractère politique. Cette coalition regroupe la quasi-totalité des partis et des organisations de la société civile du pays, de toutes tendances. Les organisations exigent de pouvoir reprendre leurs activités, mais leur démarche semble avoir peu de chances d’aboutir.
La coalition de la déclaration du 31 mars s’était formée, de façon inédite, pour contester la prolongation de la transition au-delà de la date du 26 mars dernier. Cette échéance avait pourtant été fixée par les autorités de Bamako elles-mêmes. Exigeant aujourd’hui de pouvoir reprendre leurs activités, ces partis et associations ont constitué « un pool d’avocats » pour contester un décret jugé « tyrannique et liberticide ».
Les partis et associations signataires de la déclaration du 31 mars avaient déjà annoncé qu’ils utiliseraient toutes les voies légales possibles, certains de membres n’hésitant pas à qualifier de « dictatoriale » la suspension des activités politiques des partis et associations. Il faut remonter au régime militaire du général Moussa Traoré, entre 1969 et 1991, pour trouver un précédent au Mali.
Une justice « aux ordres » de Bamako ?
Mais, du fait même de cette suspension, la démarche des organisations politiques semble avoir peu de chances d’aboutir : pour la Cour suprême, la prendre en compte, de quelque manière que ce soit, serait déjà une forme de contestation de la suspension.
Pour rappel, les autorités de transition accusent les partis et associations, globalement, de mener des actions de « subversion » et invoquent « l’ordre public » pour justifier cette décision aujourd’hui contestée en justice. De nombreux opposants estiment surtout que la justice malienne est actuellement « aux ordres » du régime de transition.
« Vide juridique » depuis la fin officielle de la transition
Il y a trois semaines, deux organisations de magistrats et de procureurs ont saisi la Cour constitutionnelle sur le « vide juridique » créé par la fin officielle de la période de transition – cette fin avait été fixée au 26 mars dernier par décret présidentiel. La Cour n’a pas même pris la peine de répondre. On peut également évoquer les nombreuses procédures engagées contre des voix très critiques : Étienne Fakaba Sissoko, Ras Bath, l’influenceuse « Rose la vie chère », entre autres.
« Nous avons une nouvelle fois voulu mettre la justice malienne à l’épreuve, explique un membre actif de l’opposition malienne et ancien ministre, mettre chacun face à ses responsabilités devant l’histoire. Aujourd’hui, la Cour suprême peut se réhabiliter devant le peuple. »
Un autre membre de l’opposition indique qu’il s’agit également « de prendre les opinions nationale et internationale à témoin ». Cela avant de n’avoir plus comme alternative possible que la contestation populaire et la désobéissance civile. Si certains l’envisagent déjà à ce jour, cette option reste aussi incertaine que risquée.
« Le juge doit être le dernier rempart quand le gouvernant viole la loi »
Maître Mamadou Ismaïla Konaté est avocat et ancien ministre malien de la Justice. Il ne fait partie d’aucune des organisations à l’origine de ce recours devant la Cour suprême, mais se positionne publiquement comme un opposant aux autorités maliennes de transition. Il conteste leur légitimité et, en l’occurrence, la légalité de leur décision sur la suspension des activités politiques des partis et associations du Mali. Entretien.
RFI : Cette démarche devant la Cour suprême a-t-elle des chances d’aboutir ?
Me Konaté : Je ne sais pas si elle a une chance d’aboutir ou pas. On ne peut pas préjuger d’une démarche qui saisit le juge, mais je sais au moins qu’ils ont des fondements légaux pour saisir le juge. En l’occurrence, nous avons un ministre qui a pris l’initiative de suspendre des activités des partis politiques et des associations de cette nature, sur des motifs qui sont fallacieux. L’existence des partis politiques résulte de la Charte des partis politiques, et les associations sont régies par des lois et des règlements qui, eux-mêmes, proviennent de la Constitution. C’est quand même l’un des droits fondamentaux qui a été préservé en République du Mali depuis 1991 ! Il est tout de même curieux que ce soit un régime de transition, avec à sa tête une junte militaire, qui prenne une initiative aussi liberticide. On est véritablement en présence d’abus de pouvoir de l’autorité « légale », entre guillemets.
Est-ce que justement, dans ce contexte actuel de transition, la justice malienne, en l’occurrence la Cour suprême, a les mains libres pour traiter ce dossier ?
Par nature, un juge indépendant a les mains libres.
Mais dans ce contexte, est-ce que les juges ne subissent pas aussi une pression politique ?
A priori, oui. On peut peut-être suspecter les juges de subir une action politique, ou sinon d’aller dans le sens de la politique : dans l’un et dans l’autre cas, on n’est pas dans un État de droit, mais dans un État de non-droit. Pensez simplement à la situation du Sénégal, aux réponses qui ont été données par rapport à la violation du droit [lorsque la Cour constitutionnelle a invalidé le report de la présidentielle décidé par l’ancien président Macky Sall, NDLR] ; on est dans le même contexte.
Le juge doit être le seul rempart capable encore de se tenir debout pour dire au gouvernant, lorsqu’il viole le droit, qu’il n’en a pas le droit. Il faut un holà. Moi, je suis persuadé que même dans un contexte « exceptionnel », où on a à la tête de l’État un régime militaire qui viole tout, il faut que le dernier recours soit le juge.
Il y a trois semaines, l’AMPP et la Refsyma, deux associations de magistrats et de procureurs, avaient déjà saisi la justice malienne. C’était cette fois la Cour constitutionnelle sur la fin de la période de transition, officiellement le 26 mars dernier, mais pas dans les faits. La Cour constitutionnelle, à ce jour, n’a donné aucune suite.
Il est important qu’elle donne l’information de sa saisine, il est encore plus important qu’elle indique le délai suivant lequel elle va réagir par rapport à cette saisine. Ne pas le faire, ça voudrait dire nous exposer justement à la soumission des juges, ne prenant en compte que la volonté du prince du jour.
RFI