Aussi paradoxal que cela apparaisse à première vue, la démocratie est bien une affaire d’aristocrates … Pas dans le sens de celui qui s’attribue et revendique un privilège de naissance pour lequel il n’a aucun mérite, mais dans celui qui fonde sa fierté sur son sens du travail bien fait, du souci permanent de l’excellence et de la dignité. Et qui, du coup, élève le goût de l’effort et les exigences de qualité aux rangs de valeurs subliminales…
C’est Abdoulaye Chimère Diaw, tel que nous l’avons connu et vécu depuis une adolescence partagée avec ses enfants par le hasard de rencontres dont seule la vie a le secret.
Makhtar Chimère Diaw et Mame Mariteuw Chimère, plus connu sous le petit nom de Bébé Mame, ont été en effet des camarades de promotion et amis du Lycée Van Vollenhoven, actuel lycée Lamine Gueye. Ensemble, nous avons partagé un parcours ininterrompu depuis lors au point d’en arriver à une fraternité assimilable à des liens de sang.
Il n’était pas seulement pour nous un père qu’on respecte par devoir. Il a été plutôt pour ses enfants et neveux de sang et d’adoption à la fois un parent attentionné et généreux, mais surtout un guide, une référence, un modèle de rigueur et de vertu, tout à la fois tolérant et ouvert sur les opinions mais ferme et intransigeant sur les codes de conduite.
Premier Sénégalais Directeur général des impôts et domaines du pays après une belle carrière de cadre métropolitain sous l’empire du régime colonial, il a fait partie de la génération des hommes et femmes bâtisseurs de l’Etat du Sénégal indépendant.
Sa présence au coeur de l’etablishment de cette époque ne devait en rien justifier à ses yeux que les jeunes contestataires fougueux que nous étions dans la dynamique post ‘soixante huitarde » soient aliénés du libre choix des termes de leur engagement militant.
Le 4ème étage de l’immeuble du bloc fiscal, sa résidence de fonction, a été des années durant un des sièges de notre petite organisation clandestine de l’époque où Mame Mariteuw gardait précieusement l’une des rares machines ronéo avec lesquelles étaient dactylographiés les tracts incendiaires qui circulaient sous les manteaux en cette période agitée du régime du Président Senghor.
Dans nos débats politiques passionnés de cette époque, je garde le souvenir des commentaires de Pape Amadou Chimère tôt arraché à notre affection qui, tout en partageant notre refus de la démocratie confisquée, n’en trouvait pas moins notre radicalisme excessif. Il aimait bien nous provoquer en nous jetant à la figure : » Si on suit Abdou Fall et Bébé Mame dans leur logique, c’est à croire que les ministres vont devoir se retrouver avec des » deux chevaux » comme voitures de fonction ! ! «
C’est dans cette ambiance de débats animés et contradictoires sans entrave qu’il suivait de loin que le Père Chimère a puissamment contribué à forger en nous ce goût de la liberté, de l’étude et de la culture. Cette chaleureuse proximité avec lui nous donnait le privilège de profiter, très jeunes, de ses abonnements à des revues et grands journaux français tels que le Monde que Bébé Mame mettait fraternellement dans les archives du groupe.
Je reste convaincu que cette fraîcheur intellectuelle entretenue de tout temps aura été parmi les facteurs explicatifs de l’exceptionnelle résilience mentale qui lui permit de garder sa lucidité jusqu’au terme des 99 années qu’il a pleinement vécues.
Un parcours exemplaire à tout point de vues. Au sommet de la hiérarchie administrative en France, en Afrique et dans son pays. Député, Maire de sa ville natale et Vice-Président de l’Assemblée Nationale. Président co-fondateur d’un des fleurons du bâtiment et du génie civil au Sénégal et en Afrique. Une vie spirituelle d’une grande intensité dans le coeur de la Tidjania Sénégalaise.
Pour avoir servi son pays avec autant d’éclat sur tous ces fronts, Abdoulaye Chimère Diaw aura mené une vie utile dans la lignée des grands hommes dont les destins se confondent avec ceux des nations qui les ont vus naître. Il convient de toujours rappeler que l’histoire d’une nation se construit à travers le récit des grands événements qui jalonnent son parcours, mais elle s’écrit également à travers l’action de grands personnages qui marquent leur époque par des parcours exceptionnels drapés du sceau de l’exemplarité. Un sens aigu de l’Etat qu’il a servi avec loyauté jusqu’au bout. Un patriote intransigeant attaché à sa culture qui se confond au demeurant avec sa religion et passionnément attaché à son terroir. Un homme du monde, intime à la fois de Jacques Chirac et Pierre Mauroy. Un chef d’entreprise accompli qui aura légué à son pays un puissant outil de production.
C’est tout cela Abdoulaye Chimère Diaw qui aura tôt compris comme l’écrit Tolstoi dans « guerre et paix » : » L’existence de la mort nous conduit, soit à renoncer à la vie, soit à donner à notre vie un sens que la mort ne peut effacer « . Ce qu’il aura assurément réussi avec brio et panache. Élégant et racé jusqu’au bout. En Grand Monsieur !
Abdou Fall
Ancien Ministre d’état
Président du conseil d’administration de Apix.sa