D’une vitrine démocratique en Afrique, le Sénégalais connait de plus en plus un recul démocratique considérable. Comment peut-on parler de la démocratie ou séparation des pouvoirs alors que la justice s’efforce de préserver les privilèges et intérêts de citoyens épinglés dans le cadre d’audit et se montrant impitoyable envers tous ceux qui assument leurs convictions politiques, affichant leurs ambitions ou combattent leurs idées ?
L’instrumentalisation du pouvoir judiciaire ne date pas d’aujourd’hui. C’est un phénomène très ancien qui existe depuis l’indépendance du pays. De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la justice a toujours été au chevet de l’exécutif. Plus que vous êtes avec le pouvoir plus que vous êtes protégé. Plus que vous devenait un challenger gênant, plus que vous êtes exposé à des accusations pouvant vous conduire en justice d’où la dépendance et la vulnérabilité de ce pouvoir à l’endroit de l’exécutif.
Et pourtant, tous les Présidents qui se sont succédés à la tête de la magistrature suprême ont toujours promu une neutralité de l’Etat vis à vis des citoyens. C’est dans ce sillage même que s’inscrit cette affirmation de Léopold Sédar Senghor « je n’épargnerai personne, pas même mes parents s’ils sont en faute » ou « on ne gouverne pas un pays dans l’enceinte des prisons, gouverner c’est convaincre et non contraindre ». Mais en politique, l’attitude des hommes est souvent synonyme d’illusion. L’opposant se victimise de l’injustice pour avoir le soutien du peuple et le pouvoir se sert de la puissance de l’Etat pour réduire ses adversaires.
L’instrumentalisation devient ainsi un atout pour les gouvernants de renforcer et consolider leur pouvoir. Et un moyen pour les opposants de convaincre le peuple pour un vote de sanction.
Mais, qu’est-ce qui explique réellement l’absence de la neutralité de cette justice vis-à-vis des hommes politiques ? La réponse nous permettra de mieux comprendre les vraies raisons de sa faiblesse et son instrumentalisation.
La faiblesse de l’institution judiciaire nous semble anormale mais logique en raison du système qui est mis sur place. Le Président de la République est en même temps président du Conseil supérieur de la magistrature qui à son sein est constitué par les juges du siège et ceux du parquet. Les premiers sont protégés par le principe de l’inamovibilité (alinéa 3, article 90 de la constitution) et les seconds sont rattachés directement au ministre de la justice qui demeure leur patron. Ils (les juges du parquets) peuvent à tout moment subir la pression de l’exécutif pour diligenter une enquête sur n’importe quelle autorité. De par son statut de double casquette (Président de la République et Président du Haut Conseil de la Magistrature), il dispose d’une véritable emprise sur la carrière des magistrats du siège.
Malgré leur inamovibilité, l’intérim et la nécessité peuvent valoir de prétexte à l’exécutif pour déplacer tout magistrat du siège qui constitue un gène en lui. Obnubilé ainsi comme tout travailleur par l’occupation de hautes fonctions, les magistrats en général et ceux du siège en particulier, ne peuvent que s’abstenir aux vœux de leur chef pour ne subir aucune pression en ce qui concerne leurs promotions. Alors que l’absence de la séparation des pouvoirs est une négation de la démocratie. Et à force d’être instrumentalisée, la justice sénégalaise en a beaucoup perdu de sa crédibilité en ce sens qu’elle traque sous influence du pouvoir exécutif les futurs adversaires de taille. Elle sortirait donc indépendante si et seulement si, elle était dirigée par les magistrats qui l’incarnent.
La démocratie sortirait aussi renforcer, car l’indépendance de la justice est un gage de la démocratie mais aussi elle permet de garantir la sécurité et la bonne gouvernance.
La démocratie devient possible dès lors que les institutions sont fortes, indépendantes, neutres et garantissant la sécurité juridique de tous les citoyens. Il s’avère ainsi nécessaire de revoir le système dans sa globalité pour la sécurité et la préservation de la dignité humaine de tous les Sénégalais.
Ali FANE
Géopolitologue