C’est connu ! Au Sénégal, la plupart des femmes veulent désormais avoir plus de rondeurs. Canon de beauté africain, synonymes de richesse ou de bonne santé, certaines veulent acquérir coûte que coûte une forme bien galbée au niveau de la poitrine, des fesses et des hanches. Et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Au détriment de leur santé.
«Je viens de perdre ma cousine parce qu’elle utilisait des comprimés et des sirops pour grossir. Elle a eu le diabète et son cœur ne supportait plus sa masse corporelle. Moi, je laisse tomber ces produits.» C’est un véritable cri de cœur qu’a poussé cette internaute anonyme.
Un appel de détresse poignant déposé comme une épitaphe sur le mur de la plateforme Facebook «Femmes médecins du Sénégal : pro chic et fun». Dans ce post publié ce jeudi, le membre anonyme y pousse un cri de détresse pour sensibiliser les femmes sénégalaises sur les méfaits des suppositoires, sirops, huiles ou crèmes censés prodiguer de belles rondeurs à ses utilisatrices. Des produits utilisés par une de ses cousines et qui lui ont coûté, aujourd’hui, la vie.
Des remèdes pour augmenter ces rondeurs ? Vous ne rêvez pas ! Il en existe bien au Sénégal. Depuis quelques temps, ces suppositoires, sirops, huiles ou encore crèmes sont très prisés et font fureur au Sénégal. Pour bien paraître et s’attirer les faveurs des hommes, certaines Sénégalaises ingurgitent ou appliquent sur leur corps toutes sortes de substances pour faire gonfler rapidement leurs fesses, seins ou hanches. Des produits que l’on se procure facilement au marché ou même sur internet, à coût réduit. Au péril de leur santé.
«Après quelque temps de prise des suppositoires, j’ai fondu»
Ndèye Sokhna* a toujours été traumatisée par sa taille fine. Adolescente, anorexique, elle subit, pendant des années, la violence verbale due à son physique peu avantageux. Des remarques du genre «xana do lek (tu ne manges pas assez chez toi ?», «Sew raguine (rachitique)», avaient fini d’empoisonner sa vie. «Ces mots étaient d’une telle cruauté qu’ils avaient fini par me faire perdre confiance en moi», se rappelle tristement l’étudiante. Meurtrie, Sokhna en avait pleuré toutes les larmes de son corps. Depuis, elle est entrée dans une colère froide et folle.
De celle qui prend le temps de mariner au fond de l’âme. Et qu’on n’apaise que par une vengeance. Elle avait d’abord commencé par en parler avec quelques amies pour diagnostiquer le problème, puis avait frénétiquement cherché sur Internet, le remède à son anorexie. «Vous n’avez pas idée du nombre de remèdes qui existent pour arrondir les fesses et les hanches», chuchote-t-elle. Elle commence à prendre des sirops vendus sur facebook puis des gélules vendues à 15 000 FCfa. «J’en ai pris 4» et quatre mois plus tard, le petit canard devint un beau cygne. «J’étais magnifique et tout le monde parlait de mes rondeurs. Ma finesse était devenue un mauvais souvenir.» Excitée, Sokhna s’enhardit lorsqu’elle découvre au hasard d’une publication, l’existence de suppositoires. Plus efficaces et à l’action rapide pour augmenter les hanches et les fesses. C’était le début de son cauchemar. Au bout de trois jours, elle commence à avoir de terribles maux de tête. «J’en prenais deux par jour. Il m’est arrivé de ne pouvoir même pas marcher, puisque mes pas retentissaient dans ma tête. Mes maux de tête m’empêchaient de dormir.» Apeurée, elle diminue la dose. Mais les douleurs persistaient. Douleurs au bas ventre, aux reins, crampes d’estomac, migraines aiguës, fièvre. «A un moment, j’avais même du mal à m’asseoir.» Cerise sur le gâteau, en peu de temps, Sokhna perd tout le poids qu’elle avait gagné en 4 mois. Des ennuis sanitaires inexplicables en prime, fruit de produits achetés sur le net et aux origines souvent douteuses.
«Entre 5 et 15 000 FCfa la boîte de suppositoires et 5 000 FCfa le pot de crème ou l’huile»
A Pikine Rue 10, cette boutique est spécialisée dans la vente de suppositoires «spéciale rondeur». À l’entrée de la boutique, des dizaines de paquets roses posent sur des étagères.
La gérante est occupée. Défilant dans le couloir étroit de son local, le téléphone scotché à l’oreille, la dame gère des livraisons à distance. Contrairement aux ventes particulières et à leur origine inconnue, cette boutique surfe sur la vague du fournisseur officiel pour garantir à ses clientes des résultats sans conséquences. «Mes produits viennent des pays du Maghreb. Je vous conseille d’utiliser un suppositoire le matin et un autre le soir. Le traitement complet est deux paquets. Les résultats sont garantis au bout de 20 jours.
Et elles durent», sourit-elle. Cependant, pour la composition des gélules, il faudra repasser : pas de notice ni de posologie. Mais sur la boîte d’emballage rose, on signale en arabe et en français, la présence d’huile essentielle et de cire d’abeille. Et, «c’est 100% naturel», confie la commerciale. Ici, le moindre article se négocie entre 5 000 FCFA, le paquet de 10 et 15 000 FCFA le paquet de 20 pour une utilisation à court terme. Des prix qui ne découragent apparemment pas la clientèle. De manière générale, les femmes qui s’adonnent à la recherche de belles rondeurs sont aussi peu regardantes sur les prix que les effets secondaires sur leur santé dans le long terme.
«Produit 3 en 1»
Outre les suppositoires, des crèmes sont également utilisées par certaines femmes pour augmenter les rondeurs. Maïmouna fait partie de celles qui utilisent cet onguent. Avec sa taille fine, la jeune femme de 23 ans a toujours souffert de commentaires désobligeants sur son physique. «J’avais l’impression que j’étais différente. J’avais honte de ma poitrine peu généreuse. J’ai beaucoup souffert du regard des hommes et des autres femmes. Mon estime en a pris un sacré coup», explique-t-elle. Étant le seul membre de la famille à être toujours célibataire, des remarques du genre, «plus tôt tu grossisiras, plus vite tu te marieras» la désarçonnaient. «J’avais toujours l’impression que le mot séduire n’était pas fait pour moi. J’ai toujours envié mes amies qui avaient des formes généreuses». Désireuse de ressembler à ses amies, mais financièrement peu dotée, la dame de 23 ans s’est alors tournée vers la crème pour augmenter ses rondeurs. «C’est un produit 3 en 1.
Il permet d’augmenter le volume de mes fesses, hanches et surtout mes seins.» Même si sur le pot, aucune indication n’est donnée, la jeune femme l’utilise quand même. «Franchement, je ne connais pas tous les ingrédients. Mais la vendeuse m’a confirmé que c’était à base de Karité, d’huile de fenugrec et d’olive.» Maimouna y trouve son compte. «Depuis 2 semaines, j’utilise cette crème. Et, je note des résultats», se réjouit la dame. Un retour positif qui fait l’affaire de Massata, son fournisseur. Sur sa page Facebook «Secret beauty», la commerciale déroule une présentation bien rodée de ses produits miracles : crème à base de karité et d’huile de fenugrec, crème verte, huile spéciale rondeur… Tous feraient grossir le postérieur de ces dames en quelques semaines et tous leur promettent de belles cambrures. «Au Sénégal, la belle cambrure est un canon de beauté.
Elle est aussi gage de maternités glorieuses», assure la commerçante de 24 ans. En véritable experte, elle affirme qu’«après l’application de la crème, il faut frotter avec l’huile. Les fesses deviendraient ensuite «bombées».
Pour l’application, il est impératif de frotter du bas vers le haut et non le contraire. C’est là, tout le secret de sa gamme. A utiliser trois fois par jour. Et, il est important de porter un cuissard après l’utilisation. «Des dizaines de pots s’arrachent chaque jour à 5 mille francs l’unité.» Elle compterait même des expatriées dans sa clientèle. C’est ce que dit la vendeuse, une jeune femme volubile, à la locution châtiée et à l’art de la persuasion consommé.
Sa manière de placer, sans l’air d’y toucher, ses produits dans le registre du bio, la mise en évidence de sa propre personne comme cobaye pour chaque produit, concourent à rassurer les clientes et endormir leurs méfiances sur les composants et les dosages distillés. Depuis qu’elle s’est mise à la vente de ces crèmes «spéciales rondeurs», il y a 6 mois, aucune cliente ne s’est plainte. Les résultats sont garantis au bout de deux semaines. «Ce n’est pas comme les suppositoires et les comprimés qui donnent du volume avant de fondre dès que tu les arrêtes. Mes produits n’ont aucun effet secondaire», assure-t-elle, un sourire au coin des lèvres. Tout est dit !
DR ABDOULAYE DIOP, GYNECOLOGUE : «Sur le long terme, les utilisatrices peuvent souffrir d’obésité, de diabète, d’hypertension artérielle voire de cancers»
«Les ingrédients qui sont notés sur les emballages de ces produits tels que les huiles végétales et essentielles, la cire d’abeille et le beurre n’ont aucun effet sur la croissance de la morphologie. D’ailleurs, dans la plupart des cas, ils ne figurent même pas dans la composition exacte de ces suppositoires. D’une façon générale, ingurgiter des substances afin de changer sa morphologie entraîne des conséquences graves sur le fonctionnement du corps. Je déconseille aux jeunes filles et femmes de prendre ces produits qui constituent un véritable danger pour l’organisme humain. Certains produits contiennent du corticoïde. Et, sur le long terme, les utilisatrices peuvent souffrir d’obésité, de diabète, d’hypertension artérielle voire de cancers. Elles peuvent souffrir de problèmes rénaux, hépatiques, de maux de tête, de saignements du nez etc. Concernant les crèmes, il est tout à fait clair que les femmes se font arnaquer. Elles ne peuvent faire grossir les fesses. Dans la plupart des cas, ces mélanges ne contiennent pas de principe actif, ils n’ont aucun effet ou tout au plus, un effet placebo.»
AICHA GOUDIABY