Au Sénégal, l’arachide est la principale source de devises étrangères du secteur agricole. Le système de commercialisation de l’oléagineux a été revu depuis quelques mois par le gouvernement pour protéger les acteurs locaux de l’industrie.
Attendue sans accroc, la campagne de commercialisation 2024/2025 est désormais une source d’inquiétudes majeure tant pour les huiliers que les producteurs. Plus de deux mois après la suspension des exportations d’arachides par le gouvernement dans l’objectif « d’éviter que les exportations ne concurrencent la commercialisation locale », l’heure est à la morosité dans la filière agricole la plus importante pour l’économie sénégalaise.
Casse-tête pour la Sonacos
Dans son dernier bulletin publié le 25 janvier dernier, le service commercial N’kalô rapporte que les quatre établissements de la Sonacos (premier huilier du pays) n’ont reçu que 76 424 tonnes d’arachides, un niveau de collecte inférieur à l’objectif de 300 000 tonnes fixé pour la campagne 2024/2025.
Alors que sur le papier, l’absence de sorties de la graine était censée faciliter son approvisionnement, le premier transformateur d’arachides fait face à une équation économique délicate : la matière première est certes disponible, mais elle est beaucoup plus chère.
Et pour cause, le gouvernement a fixé le prix du kilogramme d’arachides à 305 FCFA (contre 280 FCFA un an plus tôt) pour la campagne ayant débuté le 5 décembre dernier, ignorant ainsi les recommandations du Comité national interprofessionnel de l’arachide (CNIA) qui proposait plutôt un tarif de 290 FCFA.
Cette situation pose un défi majeur pour l’entreprise dans la mesure où celle-ci doit s’appuyer, selon les réglementations en vigueur, sur un réseau d’opérateurs privés stockeurs (OPS). Ces acteurs achètent des graines aux coopératives de producteurs ou aux producteurs directement au prix plancher et les revendent aux usines au niveau de plusieurs points de collecte (système dit « carreau-usine »).
Dans un tel contexte, le principal huilier du pays doit payer le kilogramme d’arachides à 335 FCFA auprès des OPS, ce qui pèse sur ses ressources financières. Avec cette pression supplémentaire sur sa trésorerie, les achats de la Sonacos patinent dans certaines régions du bassin arachidier, zone qui s’étend du nord jusqu’au centre-ouest du pays.
Grincements de dents des producteurs et des exportateurs
Si du côté de la Sonacos, la tendance est au ralentissement, les producteurs rongent leur frein. En suspendant la commercialisation extérieure le 15 novembre dernier, le gouvernement les coupait aussi par la même occasion de leurs liens d’affaires avec les importateurs.
En effet, le kilogramme d’arachides a toujours été mieux valorisé à l’export que sur le marché local, ce qui a pendant longtemps entretenu le désamour pour la Sonacos, dont les tarifs et les délais de paiement sont jugés peu attractifs. Jusqu’à la campagne dernière, cette situation s’est confirmée avec le prix du kilogramme d’arachides proposé par les importateurs pouvant aller jusqu’à 300 voire 500 FCFA alors que le prix plancher était de 280 FCFA. Avec la situation de l’actuelle campagne, le tarif fixé par le gouvernement a suscité colère et incompréhension dans le rang des producteurs.
« Nous espérions au moins 500 FCFA pour récompenser nos efforts, mais le Gouvernement nous a déçus », avait affirmé avec dépit, cheikh Tidiane Cissé, Secrétaire général des agriculteurs du Bassin arachidier. « Nous avons été obligés de procéder à un arbitrage en tenant compte des intérêts des producteurs et des huiliers », s’est défendu pour sa part, Ousmane Sonko, le Premier ministre. Une fois passée la phase de la déception, plusieurs producteurs ont dû se résoudre à se tourner vers la Sonacos.
D’après N’kalô, d’autres exploitants prennent même le risque de vendre aux commerçants à des prix en dessous du prix plancher (entre 280 et 290 FCFA/kg) avec l’absence de débouchés et le risque d’avoir des stocks sur les bras.
Du côté des exportateurs, c’est l’attentisme. Si le gouvernement a indiqué qu’une fois les huiliers sénégalais approvisionnés, ceux-ci pourront obtenir à nouveau des autorisations pour exporter les graines issues des arachides décortiquées, la situation reste encore critique. A cette étape de la campagne, N’kalô indique que ceux-ci attendent toujours une réponse du gouvernement.
Alors que sur le million de tonnes d’arachides produites chaque année, l’ensemble des capacités installées de la Sonacos et des autres acteurs du marché ne peut absorber qu’un maximum de 500 000 tonnes, N’kalô indique « qu’une bonne réactivité des autorités, pour la levée de la suspension à temps, est nécessaire pour éviter un important manque à gagner pour les producteurs sénégalais ».
Déjà, le pays est en retrait face à l’augmentation de la demande d’importation en provenance de Chine où la mauvaise récolte pousse les acteurs à s’orienter principalement vers le Soudan, malgré la guerre, et du côté de l’Inde (second producteur mondial d’arachides).