Les militaires au pouvoir au Mali ont repris fermement le contrôle de l’exécutif. Choguel Kokalla Maïga, le Premier ministre civil de la transition, a été limogé, conséquence d’une crise de gouvernance qui durait depuis plusieurs mois.
Moins d’un an après le coup d’État du 18 août 2020, qui avait renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), un second putsch avait eu lieu le 24 mai 2021, écartant le président désigné Bah N’Daw et ses alliés. Depuis, le colonel Assimi Goïta, alors vice-président, s’était imposé comme le leader du pays.
Nommé Premier ministre en juin 2021, Choguel Maïga, une figure civile influente, a occupé cette fonction pendant trois ans et cinq mois. Son limogeage, le 20 novembre 2024, marque une nouvelle étape dans la transition, mais les véritables raisons de son éviction restent floues.
Poussé à la sortie ?
Docteur ingénieur en télécommunications formé à l’Institut des Télécommunications de Moscou, Choguel Maïga incarnait un rapprochement stratégique avec la Russie. Panafricaniste et acteur clé de la création de la Confédération de l’AES (Alliance des États du Sahel), il était également un vétéran de la politique malienne. Cependant, ses relations avec les militaires au pouvoir s’étaient détériorées au fil du temps, jusqu’à devenir irréparables.
Le 16 novembre 2024, face à ses partisans du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), Choguel Maïga avait dénoncé la prolongation unilatérale de la transition par la junte, ainsi que le report des élections prévues en février 2024. Cette critique publique, qui mettait en cause Assimi Goïta, a précipité son limogeage quatre jours plus tard.
Remplacé par le général Abdoulaye Maïga, jusque-là ministre de l’Administration territoriale et proche d’Assimi Goïta, Choguel Maïga semblait marginalisé depuis des mois. Le général Abdoulaye Maïga avait déjà occupé le poste de Premier ministre par intérim en 2022, durant une indisposition de Choguel Maïga, et représenté le Mali à l’Assemblée générale de l’ONU. Ces signaux préfiguraient la perte d’influence du désormais ex-Premier ministre.
Bien qu’il ait souvent été donné sur la sellette, Choguel Maïga avait jusque-là réussi à déjouer les pronostics. Cette fois, la ligne rouge semble avoir été franchie.
Un tournant risqué pour la junte
Longtemps considéré comme le « vernis civil » de la junte, Choguel Maïga avait permis de rassurer la communauté internationale après le coup d’État de 2021. Cependant, sa récente prise de position contre les militaires révèle une fracture profonde. Membre influent du M5-RFP, un mouvement affaibli depuis le début de la transition, il aurait pu vouloir se distancer des décisions controversées de la junte pour préserver son image historique.
Pourtant, ni Choguel Maïga ni les militaires ne veulent assumer pleinement la responsabilité de cette rupture. Plutôt que de lui demander de démissionner, la junte a opté pour une solution radicale : son éviction directe.
Se surnommant lui-même « soldat de 2e classe », Choguel Maïga avait parfois adopté des tenues militaires, incarnant une transition civile-militaire ambiguë. Sa critique publique contre le report des élections a toutefois marqué une opposition frontale à la junte. Désormais écarté, il pourrait devenir une figure de ralliement pour les opposants au régime militaire.
Cependant, en suivant la logique militaire qui considère toute dissidence comme une menace, Choguel Maïga pourrait être contraint à l’exil, comme l’imam Mahmoud Dicko, ou placé en résidence surveillée. L’un de ses proches collaborateurs, qui avait exprimé des critiques similaires en mai dernier, avait été emprisonné et condamné pour « atteinte au crédit de l’État ».
Accusé de chercher à se démarquer pour préparer une éventuelle candidature présidentielle, Choguel Maïga fait face à une transition malienne de plus en plus embourbée. Les militaires, désormais focalisés sur le maintien de leur pouvoir, semblent peu enclins à céder du terrain aux civils.
Cette éviction rappelle que les révolutions, même bien intentionnées, ont souvent un coût élevé pour leurs instigateurs. Comme l’a dit Pierre Victurnien Vergniaud : « La Révolution est comme Saturne : elle dévore ses propres enfants. »