Sur la route du Mawlid, « NDARINFO » vous propose ce rappel de la vie et de l’eouvre Abdallah Ibn Abbas SALL Attidjany. Il est né un samedi du mois de rajab 1327 de l’hégire (en juin 1909) à Nguick, village du Njambur situé à 4km à l’ouest de Sakal. Par sa lignée paternelle, Serigne Abass Sall est un descendant des Sall de Guédé qui du Fouta Toro avaient transité par Wowlu pour s’installer à Ndia Goureye. Son père Mame Mayoro Sall était fils de Fama Aïcha Niang et de Goumba Farma Sall. Ces Salsalbé se disent descendants d’arabe : le Quraich Uqba ibn Nafi serait leur ancêtre commun (voir la généalogie). Le septième enfant de Mame Mayoro Sall était baptisé Abdallah ibn Abbas en souvenir du célèbre compagnon de l’Islam surnommé Al Hibr (le docteur) ou Al Bahr (la mer) qui, ayant vécu de 618 à 688, fut l’un des plus grands savants de la première génération des musulmans.
Admiratrice enthousiaste du prophète Muhammad (psl), sa mère Fatoumata Wade l’appelait chaleureusement Muhammad Abass. Mame Mariéme Ndiaye, mère de Sokhna Fatou Wade, est issue d’un métissage sérère-walo-walo. La branche paternelle de Sokhna Fatou Wade était d’ascendance halpulaar. El Hadji Ahmadou Wade fut l’un des premiers érudits du Njambur et de Saint-Louis à avoir effectué le pèlerinage à La Mecque (avant 1889). La grande notoriété du maître de l’école de Nguick explique, selon les témoignages, les visites d’El Hadji Malick Sy, à qui il confiera plus tard tous ses disciples.
Le contexte de la naissance de Serigne Abass Sall à Nguick est marqué par une grande ferveur religieuse perpétuée par la fréquentation régulière des Maures Ida Ould Ali et les visites fréquentes de personnalités religieuses auprès du leader maraboutique de Nguick, El-Hadji Ahmadou Wade.
Dès son enfance, Ibn Abbas était sous l’encadrement de ses parents qui s’adonnèrent tôt à sa formation spirituelle. Son père l’initia au Coran et aux travaux champêtres. À la veille de sa mort, Mame Mayoro Sall regroupa ses deux fils ainés pour leur donner ses dernières recommandations : « je confie à Elhadji Sall la gestion de mes biens, champs et domaine. Quant à toi Abbas, je t’exhorte à aller n’importe où parachever et parfaire tes humanités : bul jell bind ».
Cette ultime recommandation semble être à l’origine de la constance de l’intéressé dans la quête du savoir islamique et son acharnement dans les études théologiques, juridiques, scientifiques, littéraires. De 1924 à 1937, le jeune Abbas séjourna à Ndia auprès de Serigne Alioune Dia, à Rooy Dieye, à Njedj auprès de Serigne Omar Diop, à Thiambène auprès de Serigne Alioune Samb, à Massar Diop (prés de Sakal) auprès de Serigne Sandjiri Diop. En 1929, il se rendit à Saint-Louis auprès du célèbre grammairien Serigne Birahim Diop. En 1931, il revint à Ndia pour étudier la science du Miras auprès d’Ahmadou Ndiaye.
Ibra Khary Niang de Darou Salam rapporte qu’à la fin de sa formation à Ndia, beaucoup de curieux s’étaient donné rendez-vous à Sakal pour apprécier, comme il est de coutume, le niveau intellectuel du fils de Mame Mayoro Sall.
En lieu et place, Ibn Abass Sall se contenta de leur servir une invite : « Oh parents musulmans, vous vouez reconnaissance et considération à une personne qui ne voit devant elle qu’une cravache qui, fraichement tirée des racines d’un tamarinier, lui est encore destinée » (Entretien du 06 /11/1996).
Il leur montra ainsi qu’il lui restait beaucoup à apprendre et les convia simplement à la quête perpétuelle du savoir. Selon son frère cadet, Muhammad Ghali Sall, sa foi et son abnégation pour l’instruction expliquaient son goût à la solitude. « Ibn Abass n’avait pas l’habitude de se mêler au groupe des étudiants autour du marabout. Il préférait s’isoler dans sa case, ne rencontra le maître d’école qu’en privé, à des heures précises, fixées par celui- ci ». Le témoignage de son plus que frère et jawrin qui l’avait suivi dans les champs–daara de Nguick, Bandegne, Ndia, Rooy Dieye, Fass Diacksao, Njedj, Massar, Pakha Sow, Kayel, Thiallé…rappelle bien celui d’Al-Bussiri qui disait du prophète Muhammad (psl) :
« Tout jeune , il s’accoutuma à la dévotion et à la solitude, ce qui est la conduite des hommes distingués ». En 1932, El Hadji Seydou Nourou Tall lui enseigna l’Alfiya de Mahand Baba et le Bayaan (pédagogie) et/ou éloquence). Puis un érudit maure nommé Ahmed Ould Qiyad (la comparaison). À l’époque, c’était le mariage qui marquait la fin de la formation intellectuelle des étudiants. Mais, Ibn Abass Sall fait partie des exceptions que confirment la règle. Son 1er mariage en 1937 ne compromit guère son engouement pour les sciences islamiques. Toute sa vie, il est resté un étudiant obsédé par l’enseignement et l’éducation islamiques.
Depuis 1925, le célèbre Khalif Sidy Ababacar Sy (1885 – 1957) lui avait transmis le wird tidiane à Kelle chez El Hadji Amadou Mbengue. En 1935, un certificat (idjaaza) de Serigne Mansour Sy (1900 – 1957) le permis de transmettre le wird. En 1944, le Khalif de Tivaouane lui décerna le même titre. C’est en 1944 que Serigne Abass SALL avait rencontré celui qu’on peut considérer comme son véritable guide spirituel : Sherif Muhammad Ould-Dah. Sherif Lida était un maure Idaou ‘ali originaire de Naba Iya, vers Boutilimit. À leur première rencontre au numéro 100 de la rue de boyeux à la Médina de Dakar chez El Hadji Djim Ndiaye, Cherif Muhammad Ould-Dah fit, séance tenante, un beau poème pour énumérer la somme des similitudes entre le Prophète Muhammad (psl) et Serigne Abbas. Celui-ci, fasciné par la beauté de cette ressemblance lui demanda de l’authentifier sur manuscrit. Au lieu d’extrapoler sur cette initiation ésotérique où l’occultation et la discrétion font droit, nous avons préféré terminer cette biographie sommaire en sériant les différents visages et les différentes réalisations de Serigne Abass Sall.
L’examen de son caractère exceptionnel s’articule au tour de quelques fonctions principales. Agriculteur de profession, Serigne Abass a aussi était un marchand (des dessins de figurines d’animaux, du foin, du manioc, du poisson sec). Ascète atypique, il partageait son temps entre la recherche et l’écriture, les devoirs religieux et les travaux champêtres. Il était un musulman, sunnite, malikite, tidjanite, relevant du fondamentalisme achirite, un véritable soufi.
Serigne Abbas Sall avait fait de l’ascétisme une conception assez dynamique pour lui, le renoncement total au monde conduirait au parasitisme social. Conscient du fait que le mystique tidjane ne devrait être un anachorète, il vivait en société pour aider les plus faibles à se porter vers Dieu.
Contrairement aux générations d’Ibn Madijan Shuayb, de Muhyidin Arabi, Abdas Salam ibn Mashish et son élève Abul Hasan ash–Shadhili, qui ont voulu démontrer que l’écriture a peu d’importance dans le soufisme, Serigne Abass Sall, à l’image de Jalal ad Din Rumi (le plus grand poète mystique persan) et Muhyd-Din (le plus prolifique de tous les auteurs soufis selon Martin Lings), utilisait sa plume comme véritable moyen de communication pour se libérer du feu de l’inspiration mystique. Comme beaucoup de savants, le maître de l’école de Louga s’abstenait de toute ingérence dans les affaires politiques. Il était devenu un homme public assez influent, mais avait choisi d’évoluer en marge de la vie politique, arguant simplement qu’il en ignorait presque tout.
Son option apolitique explicite bien cette sagesse de Confucius postulant “le fait de savoir ce que l’on sait et de ne pas savoir ce que l’on ne sait pas”. Il n’était ni partisan, ni sympathisant d’un mouvement politique. Mais ses disciples avaient libre cours de s’affilier au parti de leur choix. Au-delà de cette forte neutralité, son amitié avec Mamadou Dia dépassait l’ordinaire. Allez savoir le pourquoi… !
Serigne Abbas Sall était et le Khalife des tidianes dans son Njambur natal. Comme son père Mame Mayoro Sall était un muqaddam émérite d’El Hadji Malick Sy, il vouait aux autorités de Tivaouane estime et affection. Serigne Mansour Sy lui avait accordé une grande audience dans son domaine religieux. Serigne Abass considérait son promotionnaire Abdul Aziz Sy comme son meilleur coéquipier : il le surnommait Al Faarissul Maidane (Le Héros de la gloire). Au cours de la célébration du Maoloud en 1950, le Khalif de Tivaoune entouré d’un groupe de disciples aurait fait ces propos élogieux à l’endroit de Serigne Abass Sall : « Regardez bien cet homme et félicitez-le, car aujourd’hui, si on incendiait tous les manuels de sciences islamiques, je vous assure qu’il serait en mesure de tout reconstituer ». Serigne Babacar Sy exposait ainsi au grand jour la confiance grandissante et l’estime qu’il vouait au mouqaddam de Louga. D’après un témoignage d’Amadou Diané Samb recueilli le 24 / 01 / 1997, le khalif de Tivaouane aurait laissé entendre qu’Ibn Abass Sall était le muqaddam le plus apte à voler de ces propres ailes».
Refusant toujours de se clamer, Serigne Abass s’autoproclamait éveilleur des consciences. « Mane daal yéété kat laa », disait-il… ! C’est surtout le qualificatif de “At Tidjany” (le Tidjiane) qui le rendait en extase. Ibn Abbass Sall At-Tidjany était un homme attrayant. Son élégance, son vitiligo étaient captivants. Il y ajoute un charisme et une probité qui sied aux dignes hommes de Dieu. La moindre circonstance pouvait être matière à réflexion et il savait percevoir à travers toutes choses des réalités supérieures. Sa personne et sa vie tout entière étaient enseignements. Mettant en pratique tout ce qu’il enseignait, il était véritablement un exemple à l’acte. Cheikh Ahmed Tidiane Gaye, son fils spirituel, précisait toujours que Serigne Abass ne demandait jamais à son disciple s’il avait effectué la prière à la mosquée, mais lui disait plutôt : « Toi, je ne t ai pas vu à la prière du matin».
Éminent intellectuel, Serigne Abass Sall se déplaçait souvent avec sa lourde collection d’ouvrages et de manuels islamiques. Son enseignement se résume en 7 principes de base:
1. Œuvrer avec ses disciples sur le droit chemin tracé par Dieu et indiquer par le prophète (psl).
2. Éviter tous les interdits et se vouer à toutes les recommandations.
3. Se procurer soi-même de quoi vivre par une voie légale.
4. Avoir le maximum de considération, de fidélité, et d’amour envers ses parents.
5. S’investir au mieux pour acquérir des connaissances islamiques nécessaires à l’adoration divine.
6. Considérer la tidjaniya comme la voie la plus perfectionnée à suivre par le musulman pour plaire à Dieu.
7. Savoir faire la distinction entre la suprématie divine, les mérites inégalables du prophète Muhammad (psl) et la bénédiction insondable de Cheikh Ahmad At-Tidjani (le sceau des saints).
Serigne Abass Sall présente aussi la particularité d’avoir quelque peu opté pour le culte de la sanctification par le travail (à l image du mouridisme). En ce sens, il s’était engagé personnellement dans l’action pour la conquête de terres exploitables, initié au travail de la terre depuis sa tendre enfance dans les champs-daara de Nguick, Ndia, Rooy Dièye, Massar, Fass -Diaksao, Bandègne, Mbaraglu, Thiambene, Paxa Sow, Njedj, Ndaas. Serigne Abass ouvrit son premier champ de culture à Kayel près de Mbacké Baol (il n’avait que 30ans). Entre 1939 et 1949, il séjourna tour à tour à Kayel, Thiallé, Ndia, Diompidialambane, Ndiock Sall, Aïnou Madi (actuel Darou Rahma)…
En 1951, il défricha avec peine Bulaïda que Cherif Muhammad Lida rebaptisa Taba. En 1965, Serigne Abass défricha Khahira, un village où il battait souvent les records de productions agricoles dans le département de Kaffrine.
L’œuvre de Serigne Abass Sall gravite autour de deux caractéristiques aussi référentielles l’une que l’autre : Les réalisations pédagogiques ou infrastructurelles et la production poétique. Pour offrir à ses disciples un cadre propice pour leur épanouissement spirituel, Serigne Abass Sall ouvrit des Daara, des champs, des villages de cultures, des mosquées (Zawiya), un institut islamique d’envergure. Pour animer son foyer religieux, il avait bien planifié ses 7 manifestations islamiques annuelles : La ziaara de Nguick, les gamou de Louga, de Taaba, de Khahira, la Laylatoul Khatmiya à Dakar, la Laylatoul Qadr à Saint-Louis et le Nisfu Chahbane à Louga.
Dans son célèbre ouvrage “Kifayatu Tullab”, Serigne Abbas déclare au verset 69 : « La pérennité d’Allah, le Roi Omniscient, va de pair avec l’utilité du savoir ». C’est peut-être une des raisons qui explique sa passion pour la lecture, la recherche, l’écriture (la prosodie particulièrement). Seydi Mouhamadou Mansour Sall, actuel Khalife de la famille, le qualifie d’encyclopédie islamique. À travers les onze mille vers que constituent ses écrits ingénieusement incrustés dans un art poétique de haute facture, l’ingéniosité et la virtuosité ne gênent en rien l’expression parfaite d’un profond mysticisme. Ses 270 poèmes constituent la meilleure preuve de sa qualité d’homme d’action exceptionnelle.
Pour avoir légué à la postérité une grande bibliothèque, un institut islamique moderne, des lieux de culte et des rencontres commémoratives adaptées au soufisme et à la vivification de la foi, Serigne Abbas restera un exemple éloquent de modernisation des structures éducatives traditionnelles. Pour avoir incarné incontestablement un effort de la société Wolof d’imposer un renouveau dans le fonctionnement de la Tidjaniyah, Serigne Abbas Sall appartenait à la lignée des réformateurs de l’islam en Sénégambie, lignée entamée depuis le XVII Siècle par le mouvement de Nasir ad-din. Son nom est à inscrire en lettres d’or au panthéon intellectuel et spirituel de la planète de l’Islam.