Une Française de 34 ans, rentrée de Syrie en janvier 2020, a été mise en examen par le parquet antiterroriste dans le cadre d’une enquête sur des faits de maltraitance et d’esclavage d’une adolescente yézidie.
Sonia M., revenante de Syrie et ancienne épouse d’un émir du groupe État islamique, a été mise en examen en France le 14 mars pour crime contre l’humanité et génocide, soupçonnée d’avoir réduit en esclavage une adolescente yazidie en Syrie.
La partie civile, aujourd’hui âgée de 25 ans, avait 16 ans quand elle a été achetée par Abdelnasser Benyoucef, alias Abou Moutana, chef des opérations extérieures de l’EI.
Cet homme, actuellement visé par un mandat d’arrêt d’après une source proche de l’enquête, a aussi été condamné en son absence en France pour l’attentat avorté de Villejuif de 2015.
Selon des éléments de l’enquête, révélés samedi 28 avril par Le Parisien et dont l’AFP a eu connaissance, la Yazidie a dénoncé un quotidien de maltraitance.
Lors d’une audition en février dernier, elle a affirmé avoir été séquestrée pendant plus d’un mois au printemps 2015 en Syrie. Elle raconte qu’elle ne pouvait pas boire, ni manger ou se doucher sans l’autorisation de Sonia M. Elle accuse cette dernière de l’avoir violentée à deux reprises et d’avoir été au courant que son mari la violait.
Kidnappée en août 2014 en Irak
Interrogée le 14 mars par un juge d’instruction antiterroriste, Sonia M. a contesté avoir commis tout sévice et dénoncé « un seul viol » de son ancien époux. L’adolescente « sortait librement de sa chambre, mangeait ce qu’elle voulait, allait aux toilettes quand elle avait besoin », a-t-elle affirmé dans son interrogatoire dont l’AFP a eu connaissance. Sonia M. a aussi assuré qu’elle ne portait pas de pistolet, comme le prétend la jeune Yazidie.
Kidnappée en août 2014 en Irak, l’adolescente a été vendue à plusieurs familles jihadistes.
Sonia M. a affirmé que son mari ne lui avait pas « demandé son avis ». « Il m’a dit que cela allait être, je n’aime pas ce mot, son esclave, que c’était un droit qu’on lui avait octroyé et que je n’avais pas le droit de le contredire, que c’était un ordre divin ». Elle a déclaré qu’elle n’aimait pas donner des ordres et faisait elle-même le ménage quand son mari s’absentait.
Le juge d’instruction, qui l’avait d’abord mise en cause comme complice, l’a finalement mise en examen comme auteure pour des faits s’étalant de septembre 2014 à mars 2019.
Ces nouvelles poursuites sont « des accusations opportunistes », s’est indigné l’avocat de Sonia M., Me Nabil Boudi. « On veut lui faire porter la responsabilité de crimes les plus graves car la justice n’a pas réussi à appréhender les véritables auteurs. »
« Brisée par ces accusations », Sonia M. est une « repentie convaincue », a encore assuré son conseil, comme « en attestent tous ses témoignages dans différents procès terroristes ». « Je suis persuadé que la justice finira pas l’innocenter. »
Si le magistrat instructeur ordonne un procès aux assises pour Sonia M., cette audience sera « le premier procès d’une revenante pour crime contre l’humanité », note de son côté Me Romain Ruiz, avocat de la jeune femme yazidie.
Les débats « mettront à l’épreuve la capacité de la France à juger des crimes de guerre commis en Syrie », a estimé l’avocat.
Identifier les auteurs français appartenant à l’EI
La justice française se donne les moyens pour enquêter sur le sort des minorités sous l’État islamique.
Fin 2016, une enquête préliminaire dite « structurelle » a été ouverte pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Irak et Syrie depuis 2012 « au préjudice des minorités ethniques et religieuses », a expliqué samedi le Parquet national antiterroriste (Pnat) à l’AFP.
Ces investigations portent en particulier sur les crimes subis par des « membres de la communauté yazidie et de la communauté chrétienne » et « des membres de la tribu des Sheitat ».
« L’objectif est de documenter ces crimes et d’identifier les auteurs français appartenant à l’organisation État islamique », a ajouté le ministère public.
Trois services d’enquête sont cosaisis : la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) et la Sous-direction antiterroriste (SDAT).
Selon le Pnat, quatre informations judiciaires, visant des agissement de jihadistes français pour terrorisme mais aussi crimes internationaux, sont actuellement en cours à Paris.