A quelques semaines de la fin de son premier mandat, il déclarait son amour au Sénégal avec des trémolos dans la voix.
Il avait, disait-il, « le Sénégal au cœur ».
Le monde entier devait le savoir, il n’a jamais passé un seul jour sans aimer ce pays, pas une nuit sans se préoccuper de sa construction.
C’est un amour pur, désintéressé, absolu et incorruptible.
Personne ne devait en douter. Tout ce que la République compte de troubadours et de thuriféraires furent conviés à la cérémonie de dédicaces de cette longue ode aussi tardive que surprenante où se mêlent autobiographie, vision politique, semble-t-il, et autoglorification.
Le soupirant n’a pas pu, à cette occasion, s’empêcher de faire ce qu’il sait vraiment faire : des coups en dessous de la ceinture contre ceux qu’ils soupçonnaient de vouloir ravir le cœur de l’amour de sa vie. Ils avaient des défauts rédhibitoires pour la fonction présidentielle. Les sénégalais ne devaient pas l’oublier le 24 février 2019, dans quelques mois.
Nous découvrons, à présent, les conséquences de notre indulgence coupable. C’était son premier mandat. On s’est dit qu’il fera mieux, sans aucun doute. Il l’a, lui-même, dit, la main sur le cœur. Pourquoi ne pas lui reconnaître le bénéfice de la bonne foi ? Personne n’est parfait.
Pourtant, c’est un changement que beaucoup de sénégalais appelaient de leurs vœux, tellement sa gouvernance a été dure, clivante et accablante.
Il a été réélu. Il a exercé son mandat fortement chahuté, dans sa seconde partie, par des manœuvres dont on comprend, à présent, les motivations profondes : rester au pouvoir ou, à défaut, l’exercer par procuration. Le prix à payer pour cela ? Peu importe. On verra après.
On ne se refait pas. Nous sommes ce que nous faisons.
Notre être profond ruissèle sur nos actes. Il les irrigue et en constitue la sève nourricière. Il donne du sens à nos comportements. Ceux qui ont connu celui qui nous dirige avaient prédit ses agissements. Ils ont eu raison sur ceux qui n’étaient pas de leur avis.
Il a fini d’installer, dans nos rapports, une atmosphère de suspicion et de méfiance qui rend impossible un dialogue franc et sincère pour sortir de l’impasse dans laquelle il nous a engagés, de son seul fait et en raison d’une volonté, à présent incontestable, de nous imposer le Président qu’il aura choisi.
Drôle de façon d’aimer un pays quand on le maltraite ainsi en saccageant l’héritage qu’il a mis des siècles à construire et consolider.
Le moins qu’on est en droit d’exiger de lui, c’est qu’il nous rende le Sénégal dans le même état qu’il l’a reçu de son prédécesseur.
Il a toujours dit qu’il ne pouvait pas faire moins que ce dernier.
Mais après les discours d’adieu toujours réitérés, le renouvellement de l’engagement de ne pas tenter de briguer un troisième mandat, le rappel de son droit d’être candidat à cette élection présidentielle qu’il n’a jamais eu l’intention d’organiser, la promesse d’exécuter la décision de juges constitutionnels qu’il dit suspecter de corruption, l’évocation du 02 avril 2024 prochain comme le terme de son second mandat, l’offre à peine voilée de continuer à nous diriger en dépit de la survenance de cette échéance, on est en droit de douter fortement de sa volonté d’honorer cette promesse.
Il fallait que son amour pour le Sénégal et les sénégalais fût profond, pur et désintéressé pour qu’il se remette en cause.
Cela, il n’en a jamais été capable.
Il vient de nous montrer un autre aspect de sa personnalité : un joueur qui ne s’attend pas à perdre et qui se plaint de ne pas choisir ses adversaires et de définir les règles d’un jeu qu’il est le seul à connaître.
Il y a une certitude que nous partageons avec lui et les siens : il ne nous dirigera plus, ni lui-même, ni par un autre ou avec celui-ci.
Qu’est-ce qui alors l’amène à se conduire de façon aussi irrationnelle ?
Qu’a-t-il à perdre qui mérite que des millions de sénégalais soient pris en otage, sans certitude quant à l’issue de cette confrontation ?
Que risque-t-on de découvrir qui soit inimaginable pour nos compatriotes, ces gens simples et dignes qui sont dans les villes et les campagnes qui nourrissent une véritable affection pour ce pays et n’ont d’autre nationalité que celle que nous partageons ?
Il est sénégalais. Peut-être aime-t-il ce pays. Mais il est douteux qu’il chérisse beaucoup ceux qui y vivent.
Pas un mot de compassion pour les familles des milliers de morts de l’Atlantique, pas une parole apaisante pour les parents de ces dizaines de pauvres gosses, froidement abattus dans les rues de Dakar, de Ziguinchor, de Bignona, ces trois dernières années, aucune excuse pour des gens, incarcérés sans qu’on sache pourquoi et libérés sans aucun acte d’instruction…
A l’évidence les vies ne se valent pas : faire des milliers de kilomètres pour prendre part à une journée d’hommage pour des victimes d’attentats terroristes est, incontestablement, un acte d’amour et un acte politique.
Comment interpréter le silence et l’inaction à propos de nos propres morts ?
Quand on aime un pays on n’agit pas ainsi.
Quand on estime et respecte ceux qui y vivent on ne les traite pas de cette manière.
Pourquoi veut-il, donc, continuer à nous diriger ?
Il était sur le point de sortir par la grande porte.
L’incontestable star déchue de la CEDEAO, après s’être acquitté, honorablement semble-t-il, de ses charges de Président de l’UA, vient de recevoir l’addition du Diable pour … l’ensemble de son œuvre.
Il est douteux que ceux qui l’ont soutenu et aidé et ceux qu’il a protégés et enrichis l’aident à la payer.
Les déclarations d’amour ne valent que quand les actes d’amour les corroborent.
Dakar, jeudi 29 février 2024
Prof Mary Teuw Niane