« SOURCE: LE SOLEIL »
Manque d’oxygène, étourdissement, yeux larmoyants… Au-delà de l’aspect économique, les manifestations de rue ont également des répercussions sanitaires. Confidences de manifestants.
Dimanche 4 février 2024, dans un quartier paisible de la commune de Yoff, bercé par la brise marine, le décor est sinistre, les rues sont balafrées. Au niveau du rond-point, des affrontements éclatent entre des manifestants et des Forces de défense et de sécurité (Fds). Une fumée épaisse teint en noir le ciel. Moussa, jeune manifestant, suffoque à un rythme accéléré.
Il tient sa poitrine avec les deux mains et bat en retraite dans une ruelle, lieu de refuge des manifestants toujours révoltés contre le report de l’élection présidentielle. Yeux larmoyants, le garçon de 19 ans réajuste sa cagoule pour repartir face aux assauts des grenades lacrymogènes. Il éternue avec frénésie et se bouche le nez avec un mouchoir à jeter. « J’avais le nez qui chauffait, ma poitrine aussi. C’était irrespirable et je manquais d’oxygène. Je ne voyais plus, à un moment donné, tellement les gaz lacrymogènes étaient puissants », raconte Moussa que nous avons retrouvé aux Parcelles Assainies. S’il n’est pas allé à l’hôpital, il dit ignorer encore les effets de ces gaz sur son organisme.
Au Sénégal, il est mis souvent en exergue l’impact économique des manifestations. Et pourtant, les manifestants subissent les effets des munitions utilisées par les forces de l’ordre et les pneus brûlés sur la route. Pape Guèye, habitant de Grand Yoff, était de la révolte de juin 2023. Théâtre des opérations : la gare du Brt de Liberté 6. « J’étais là lors des manifestations de mars 2021, mais je dois avouer que les policiers ont augmenté la dose des gaz », témoigne-t-il avec un sentiment de héros. Dans ces moments d’affrontement, qui avaient poussé les policiers jusque dans leurs derniers retranchements, Pape y a laissé des plumes. « À un moment donné, c’est comme si mes neurones étaient atteints. J’étais étourdi malgré mon masque de protection », se remémore-t-il, voix tremblotante.
« À quelques minutes près, j’aurais pu rendre l’âme »
C’était aussi le cas le 2 juin 2023, où plusieurs quartiers de Dakar étaient transformés en un immense champ de ruines. En effet, la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme avait suscité une colère noire chez beaucoup de jeunes. « Je mettais du beurre de karité sur mon visage. Et je me lavais la figure avec du vinaigre sans savoir qu’est-ce que cela pouvait faire comme effet sur ma santé. C’était nos moyens pour ne pas tomber face aux émanations des gaz lacrymogènes. Je mettais aussi des lunettes », confie-t-il.
Baye Fodé a subi, malgré lui, un lourd préjudice lors des manifestations du 4 février 2024. Le soulèvement des jeunes a éclaté devant le Centre de Santé Nabil Choukair. « J’ai été évacué. Je n’arrivais plus à respirer. On a dû me mettre un respirateur pour me permettre d’avoir de l’air. J’aurais pu rendre l’âme. Les lacrymogènes, c’est du sérieux », ironise-t-il.
Contacté, le Centre de gestion de la qualité de l’air de Dakar fait savoir qu’il n’a pas encore réalisé d’études sur l’impact des grenades lacrymogènes sur la qualité de l’air. Cependant, le Laboratoire de physique de l’atmosphère de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar dit avoir mené des études sur la question. Mais, les résultats ne sont pas encore disponibles.
« Ces gaz, régulièrement respirés, peuvent aboutir à des pathologies handicapantes », selon le pneumologue Moustapha Ndir
Pneumologue à la retraite, qui a fait toute sa carrière au Centre hospitalier national universitaire de Fann, Dr Moustapha Ndir analyse les effets des gaz lacrymogènes et des pneus brûlés sur la santé des manifestations.
Est-ce que l’utilisation de gaz lacrymogènes et de pneus brûlés lors des manifestations a des effets sur la santé ?
Il y a des effets certains sur la santé parce que nous respirons de l’oxygène. L’air que nous respirons a une certaine quantité d’oxygène, soit 21%, juste ce qu’il faut pour notre organisme. Le reste, c’est de l’azote et 1% de gaz rare. C’est l’air que nous utilisons pour notre corps. Toute autre forme de gaz ou de fumée que nous respirons est toxique. À fortiori, ces fumées de synthèse émanant des gaz lacrymogènes ou de pneus brûlés qui sont des gaz issus d’hydrocarbures transformés. Ces gaz inhalés posent des problèmes chez le sujet sain ou celui qui a une pathologie pulmonaire. Chez le sujet sain, ce sont des désagréments qui peuvent passer très vite. Les gaz lacrymogènes agressent la muqueuse conjonctivale de l’œil et les glandes qui secrètent beaucoup de larmes. Donc, c’est la conjonctive qui devient rouge. Cela peut créer une gêne. Certains asthmatiques ont des crises après une allergie de gaz. Ce sont des gaz irritants. Pour les pneus brûlés, c’est hautement toxique parce qu’il y a du caoutchouc et des éléments de synthèse issus des hydrocarbures.
Donc, les personnes atteintes de maladies respiratoires chroniques sont plus exposées ?
Elles sont plus exposées et doivent faire attention. Il faut qu’elles s’éloignent de ces zones quand il y a des manifestations. Il faut qu’ils se calfeutrent dans leurs chambres en attendant que ces gaz se dissipent. C’est bien de mettre le masque mais, le mieux, c’est de s’éloigner de ces zones pour échapper à ces émanations gazeuses. Chez le sujet qui a déjà une pathologie, si c’est l’asthme, ça peut l’exacerber. Cela peut aboutir à la réanimation. S’il n’a pas de chance, il peut passer de vie à trépas. Ces gaz, régulièrement respirés, peuvent aboutir à des pathologies handicapantes. Il peut aussi y avoir un problème économique, parce que la prise en charge est très chère. La fumée noire avec le monoxyde de carbone, le gaz carbonique, l’oxyde nitrique attaque aussi la couche d’ozone.
Est-ce qu’il y a une dégradation importante de la qualité de l’air ?
Bien évidemment ! Il y a une dégradation de la qualité de l’air qui est surveillée par le Centre de suivi écologique qui a des capteurs un peu partout dans la ville de Dakar. Ce serait bien de voir ce que cela donne après ces manifestations. Il s’agit de voir si dans certaines zones, il y a un problème de qualité de l’air.
Babacar Guèye DIOP