« SOURCE : LE SOLEIL »
L’État ne compte pas lésiner sur les moyens pour faciliter la mobilité des Sénégalais dans le monde, offrir de meilleures perspectives aux jeunes, mais aussi mieux encadrer la migration. C’est la conviction exprimée, dans cette interview accordée au journal « Le Soleil », par le Ministre auprès du Ministre des Affaires étrangères, chargé des Sénégalais de l’Extérieur, Annette Seck Ndiaye.
Les phénomènes migratoires prennent de l’ampleur dans notre pays et préoccupent les populations. Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette situation ?
Il faut reconnaître que l’année 2023 a été marquée, pour le Sénégal, par un phénomène migratoire avec notamment la migration irrégulière. Le Sénégal est un pays à forte mobilité. Il est, à la fois, une terre d’accueil, de départ et de transit. Mais, cette année, nous avons enregistré une forte vague passant par la voie maritime, avec des embarcations de fortune. Les trafiquants font croire aux personnes transportées qu’elles peuvent atteindre leur destination au bout de trois à quatre jours ; ce qui ne cadre pas avec la réalité. La traversée n’est pas facile avec une embarcation en bois pouvant contenir au moins 100 personnes. Nous avons, cette année, de nouveaux profils. Nous avons constaté, sur le terrain, la présence d’un nombre important de femmes, de mineurs et des enfants de 12-13 ans.
Des chiffres effarants sont avancés avec l’émigration clandestine. Quelle en est votre lecture ?
Il est assez difficile d’avancer des chiffres exacts. Certaines données fournies par des Organisations non gouvernementales (Ong) et la presse ne sont pas basées sur des données factuelles. Soit elles s’appuient sur le nombre de rescapés qui ont su contourner des zones de surveillance, soit sur le nombre de personnes qui ont pu embarquer à bord de ces pirogues. Mais, toujours est-il que ce sont des chiffres approximatifs. Au Ministère des Affaires étrangères, les informations dont nous disposons portent généralement sur les arrivées de pirogues. Mais, ce que nous pouvons dire, c’est que nous avons constaté une forte migration en provenance de l’Afrique de l’Ouest. Et dans cette lignée, notre pays sert de transit. Si 80 % des occupants de ces pirogues sont des Sénégalais, au moins 20 % sont originaires de la sous-région. Dans le cadre de nos missions, nous les ramenons vu qu’ils viennent tous du Sénégal, même s’ils ne sont pas tous des Sénégalais. Mais, nous déplorons les pertes en vies humaines.
Malgré ces décès, des traversées vers l’Espagne continuent de plus belle.
Quelles sont les stratégies développées par votre Département pour lutter contre ce phénomène ?
Il faut dire que l’État n’a eu de cesse de renforcer le dispositif de lutte contre la migration irrégulière qui existe depuis 2005. Il a mis en place, en 2022, un Comité interministériel de lutte contre l’émigration clandestine (Cilec) rattaché au Ministère de l’Intérieur. À travers cette Stratégie nationale de lutte contre l’émigration irrégulière, soutenue par des partenaires, ce comité assure la coordination de toutes les parties prenantes en vue d’agir dans la prévention à la prise en charge des migrants. Les forces de défense et de sécurité jouent aussi un rôle important. Lorsque des pirogues sont arraisonnées, par exemple, par la marine marocaine, ils informent notre mission diplomatique à travers nos deux Consulats qui se trouvent à Casablanca et à Dahla. Beaucoup de mouvements de personnes sont enregistrés dans cette partie sud du Royaume chérifien. Nous procédons à leur identification avant d’assurer leur rapatriement dans les meilleures conditions. Nous avons pu mettre en place, sur l’ensemble du territoire, ce qu’on appelle des Bureaux d’appui, d’orientation et de suivi (Baos) des migrants. Ils nous permettent de recevoir des migrants de retour et de faciliter leur réinsertion dans le tissu social et économique du pays.
Qu’est-ce qui explique, à votre avis, ces départs massifs malgré le dispositif mis en place par l’État ?
Je pense que les sociologues sont mieux placés pour nous édifier sur les causes profondes. Mais, une pression sociale, dans un contexte mondial difficile, peut exacerber cette envie de partir. Le Sénégal a vécu la crise sanitaire qui a affecté le monde entier et fragilisé des économies. La crise en Ukraine a eu également ses impacts sur le renchérissement du coût de la vie. Des difficultés économiques sont notées dans les pays de départ de ces candidats de même que dans les pays d’accueil. Plus aucun Gouvernement, en Europe par exemple, n’accepte cette importante migration. Elle n’est plus en mesure d’absorber cette main-d’œuvre et mise sur une migration ciblée et choisie. La Turquie, par exemple, entretient avec le Sénégal de bonnes relations diplomatiques. Mais, depuis l’année dernière, elle a durci sa politique migratoire. Elle s’adresse à tous les peuples. Des Sénégalais, arrivés en Turquie avec un visa à court séjour, prennent l’option d’y rester pour développer leur business, mais aujourd’hui, la Turquie n’accepte plus, par exemple, la présence d’irréguliers sur son territoire. J’effectue des déplacements pour que nos compatriotes puissent bénéficier d’un traitement particulier. En 2020-2021, grâce à l’intervention du Président de la République, 400 titres de séjour humanitaires ont été accordés à des Sénégalais. C’est un privilège accordé au Sénégal grâce à la qualité de notre relation de partenariat. Notre souci est que les Sénégalais puissent voyager et, par conséquent, nous devons travailler à ce que l’accès au visa soit facilité. La mobilité fait partie des droits de l’homme, mais elle doit être organisée. De ce fait, nous avons la responsabilité de surveiller nos côtes. Elles ne doivent être ni des zones de départ ni des zones d’accueil de migrants irréguliers.
Des Sénégalais établis à l’étranger se plaignent de leurs situations précaires. Certains évoquent des difficultés pour l’obtention de papiers légaux. Qu’est-ce qu’il y a lieu de retenir ?
Il faut qu’on se dise aussi la vérité. Ces pays sont souverains. Maintenant, il faut reconnaître que le Sénégal fait partie des privilégiés dans certains pays d’accueil. Il est accordé à notre pays des avantages que beaucoup n’ont pas. Lors des missions d’identification, nous nous rendons compte que sur 10 personnes, trois sont des Sénégalais. C’est parce que nous avons une diplomatie très respectée dans le monde. Nous discutons régulièrement avec nos homologues, pour que nos compatriotes bénéficient de mesures privilégiées, mais surtout pour être régularisés. Des pays comme l’Espagne étaient très tolérants en matière de migration. Avec des centres de rétention, des migrants pouvaient y séjourner de façon provisoire. Mais, certains choisissent d’y rester, dépassant les délais requis et perdent leur éligibilité au séjour régulier. J’ai vu plusieurs de nos compatriotes dans des conditions indescriptibles dans plusieurs pays. Des maisons d’accueil, comme Keur Serigne Touba, ne peuvent plus tenir, que ce soit en Italie ou en Espagne.
Le Président de la République est au terme de son mandat. Il lui est prêté un bilan matériel reluisant. En perspective du scrutin de février 2024, est-ce que la coalition présidentielle a des chances d’assurer la continuité ?
Je répondrai, bien entendu, par l’affirmative en tant que membre de la mouvance présidentielle, mais aussi en tant que présidente du Conseil départemental de Sédhiou. Je suis fière d’être la première femme élue et la première femme ministre de la région. Je voudrais saisir l’occasion pour remercier le Chef de l’État, Macky Sall, et lui rendre hommage. Par ailleurs, je dirai que j’ai confiance au candidat de la coalition présidentielle, Amadou Ba. Il a le profil, l’expérience qu’il faut et les compétences nécessaires. Je pense que le Sénégal doit préserver et consolider cette stabilité et cette démocratie majeure que beaucoup de pays lui envient. Une grande démocratie suppose une multiplicité des candidatures. J’ose croire qu’au soir du 25 février, les Sénégalais sauront faire le bon choix. Pour en revenir au bilan du Chef de l’État, dans une de mes contributions, j’avais écrit : « Monsieur le Président de la République, la Casamance vous dit merci ». Je suis bien placée pour apprécier ce mandat au niveau régional. Et je dis toujours que c’est par l’entremise du Président de la République que la décentralisation a véritablement pris forme dans notre pays. Il a réussi le désenclavement des régions grâce à des politiques efficaces, notamment avec l’Acte 3 de la Décentralisation. Il a fait passer des terroirs de l’indigence à l’émergence. Tout le monde sait que la Casamance était une des zones les plus enclavées. Mais, le Chef de l’État a su poser des jalons importants, avec notamment la construction du pont de Farafenni qui ouvre automatiquement cette partie sud du pays. Les populations se sentaient complètement affectées par cette enclave historique avec la Gambie. Aujourd’hui, vous quittez Dakar le matin et vous êtes en Casamance dans l’après-midi. Alors que dans le passé, vous passiez la nuit en Gambie.
Ces réalisations peuvent-elles impacter le développement de cette partie sud du pays ?
Ce pont de l’ouverture a facilité la traversée de l’enclave gambienne. Elle favorise aussi la circulation des personnes et des biens entre le nord et le sud du Sénégal. Le Président de la République a toujours estimé qu’on ne peut pas développer la verte Casamance, le grenier du Sénégal, sans des infrastructures routières. La région de Sédhiou est, par exemple, le premier producteur d’anacarde, le deuxième producteur de banane après la région de Tambacounda et le troisième producteur de riz pluvial. Donc, je dis, de manière honnête, que le bilan du Chef de l’État est visible et mesurable. Nous qui habitons dans les terroirs pouvons le certifier. Je suis convaincue que des régions comme Sédhiou, considérées comme les plus pauvres, vont connaître un essor économique.
Le Chef de l’État a toujours insisté sur la nécessité de promouvoir un Sénégal uni et indivisible, mais des discours ethnicistes sont de plus en plus notés. Votre avis ?
Je puis vous dire que la Casamance est la seule région où vous pouvez trouver toutes les ethnies du Sénégal. Malgré l’enclavement qui a toujours existé, c’est donc la seule région où les discours ethnicistes n’ont pas leur raison d’être. Bien entendu, la Casamance a été affectée par des conflits armés liés à des frustrations ou à des questions purement sociologiques, mais c’est dommage qu’on cherche à utiliser cette région politiquement pour promouvoir un discours visant une discorde nationale. Les populations n’adhèrent pas à ce discours. Il ne faudrait pas que l’on confonde l’adhésion à une idéologie politique aux convictions des populations. On ne doit pas chercher à isoler la Casamance par un discours négatif. Je pense qu’il faut promouvoir un discours d’ouverture, de paix et de cohésion sociale. La Casamance est riche de sa diversité culturelle et ethnique. Toutes les langues nationales y sont bien parlées. Je suis le fruit de ce métissage culturel, je peux le certifier. J’appartiens à la communauté lébou avec des parents nés en Casamance, mais je considère que je suis Sénégalaise. Je souhaite que l’on puisse aller vers les élections dans le calme, dans la maturité. Quand on regarde la ceinture de feu qui nous entoure, il y a de quoi souhaiter la paix et la sérénité des esprits.