La possible intervention des forces de la CEDEAO contre la junte nigérienne risque de faire imploser la communauté sous régionale avec le soutien des juntes malienne, guinéenne et burkinabé aux putschistes nigériens. D’un autre côté, le camp des “démocrates” dirigé par le président nigérian Bola Tinubu entend mettre fin à cette contagion des coups de force en Afrique de l’Ouest.
Le coup d’Etat du Niger qui a renversé le pouvoir du Président Mohamed Bazoum, la semaine dernière, a exacerbé le risque de conflit dans l’espace CEDEAO. En effet, les 12 chefs d’Etat de la Cedeao réunis à l’occasion d’un sommet extraordinaire, le 31 juillet 2023 dernier, ont demandé la libération immédiate du président nigérien Bazoum et le retour à l’ordre constitutionnel dans un délai d’une semaine. Passé ce délai, l’organisation sous régionale n’exclut pas l’usage de la force pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Cet ultimatum a révélé les diverses tensions au sein de la communauté régionale. En effet, les trois junte malienne, burkinabé et guinéenne suspendus des différentes instances de l’organisation sous régionale ont indiqué leur opposition à toute forme d’intervention militaire contre la junte nigérienne. Cette possible intervention serait assimilée à « une déclaration de guerre » contre les deux pays, ont déclaré dans un communiqué commun les deux juntes au pouvoir au Burkina Faso et du Mali.
Toujours dans leur déclaration, ils indiquent qu’une intervention militaire entraînerait de facto leur retrait de la CEDEAO et ont aussi indiqué leur opposition aux sanctions votées par l’organisation sous régionale. Ces déclarations en soutien à la junte nigérienne traduisent un certain rapprochement entre les autorités militaires de ces deux pays et celle du Niger. En effet, parmi les griefs contre le régime de Bazoum, la haute hiérarchie militaire nigérienne dénonçait l’absence de coopération avec ces deux pays. Ces derniers ont pointé du doigt le refus du gouvernement nigérien de collaborer avec ses homologues malien et burkinabé. Le numéro 2 de la junte et ancien chef d’Etat major Salifou Mody s’est rendu à Bamako hier (le 2 août) pour tenter de marquer le rapprochement entre les deux pays. Le haut gradé s’est fait limoger de son poste en mars 2023 à la suite d’une visite à Bamako.
Cette décision prise lors de la dernière réunion extraordinaire de l’organisation de la CEDEAO entraîne ainsi une rupture au sein de l’organisation sous-régionale. Le vote des sanctions contre les juntes malienne et burkinabé a marqué une scission entre certains régimes « civiles » comme la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal et les nouvelles autorités militaires dans ces deux pays. La présence confirmée ou non de la milice russe Wagner dans ces deux pays a accentué ce climat de divisions au Sahel entre les pouvoirs civils et militaires.
Pression algérienne contre une intervention militaire
L’autre grande opposition contre l’intervention militaire au Niger est venue d’Alger. Le gouvernement algérien a indiqué le 1 août 2023 son opposition à toute intervention militaire, en lançant une mise en garde aux responsables de la CEDEAO par crainte d’une escalade dans l’ensemble de la région. Les autorités algériennes disent craindre une montée de l’escalade dans la sous-région, tout en appelant à une solution pacifique pour la résolution de la crise nigérienne.
L’Algérie qui partage une frontière commune avec le Niger craint des déplacements de populations, ainsi qu’une exacerbation de la crise sécuritaire en cas de conflit entre les forces de la junte et celles de la CEDEAO. L’Algérie, qui est la principale puissance dans cette zone craint un débordement de la crise sécuritaire du côté de ses propres frontières, maintient une forte présence dans le sud algérien jusque-là épargné par le phénomène du djihadisme.
Volonté nigériane et américaine de freiner l’expansion russe
De leur côté, le camp des démocraties dirigé par le nouveau président Bola Tinubu entend maintenir la pression sur la nouvelle junte malienne. Le président nigérian Bola Tinubu, à la tête de la Cédéao, a fait montre de sa détermination en parlant de prise d’otage et à parler du temps de l’action contre les putschistes nigériens. Le nouveau chef d’Etat nigérian a indiqué lors de son investiture qu’il était plus question d’accepter des changements anticonstitutionnels au sein de la communauté.
Selon plusieurs sources, les pressions américaines qui possèdent trois bases dans le pays pousseraient en coulisses pour une « solution musclée » contre les putschistes nigériens. Les Etats Unis, qui entendent freiner l’expansion de l’influence russe, sont déterminés à garder le Niger dans le giron occidental. Le Nigeria a suspendu les fournitures d’électricité au profit du Niger. Le Nigeria assure près de 70 % de l’électricité consommée dans le pays. Les chefs d’état-major de la défense des pays de la Cédéao doivent se réunir, du mercredi 2 août au vendredi 4 août 2023 à Abuja, pour étudier la mise en place d’une possible opération militaire.
Limites opérationnelles d’un déploiement des forces de la CEDEAO
Néanmoins sur le plan opérationnel, la mobilisation d’une force de la CEDEAO doit se heurter à différents problèmes de logistique. En effet, seule l’armée nigériane qui partage près de 1500 km de frontière commune avec le Niger dispose des moyens matériels et humains pour intervenir rapidement sur le sol nigérien. Les autres pays qui partagent comme Bénin et le Togo qui ont une frontière commune avec le Niger sont dans l’incapacité de fournir des contingents solides à une éventuelle force de la CEDEAO. Les armées des autres pays de la sous-région comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Ghana nécessitent d’importants moyens de transport et de logistique et un pont aérien pour mettre en œuvre leur déploiement à la frontière avec le Niger.
D’autant plus que les forces en attente de l’organisation (FAC) qui pourraient intervenir en cas de menace sur l’ordre constitutionnel et quand des personnes tentent de renverser le pouvoir en place dans l’un des pays membres peinent à se mettre en œuvre. A l’issue du sommet de Bissau en fin 2022, l’objectif de cette force créée depuis 2004 était d’atteindre 5 000 hommes, issus des rangs des pays membres, mais des problèmes de financements et de troupes ont retardé son renforcement. Dans cette crise nigérienne, la Cédéao aimerait toutefois atteindre rapidement une brigade de 1 650 soldats disponibles.
La nouvelle junte nigérienne menée par le général Abdourahamane Tiani, nommé « président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) », a rejeté l’ultimatum de la CEDEAO, évoquant « l’attitude belliqueuse » d’anciens dignitaires terrés dans des chancelleries en collaboration avec ces dernières ». La junte nigérienne serait aussi encline à souffler sur la fibre patriotique des nigériens pour faire l’union sacrée autour du régime militaire.
Par ailleurs, beaucoup de tentatives de médiation officielles et officieuses sont en cours pour tenter d’obtenir une sortie de crise. Ainsi le chef d’Etat tchadien, Mahamat Idriss Deby, qui a participé au sommet extraordinaire de la CEDEAO, s’est aussi rendu à Niamey où il a rencontré les chefs de la junte et le président Bazoum, le 30 juillet. L’ancien chef d’Etat nigérian Abdeslam Aboubakar, ainsi qu’une délégation mandatée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) dont le sultan de Sokoto, se sont rendus le 2 août à Niamey.