Ils sont administrateurs, imams, laveurs, fossoyeurs. Ils côtoient les morts au quotidien, les lavent, prient pour eux, les enterrent et vaquent à leurs occupations, comme si leurs actes étaient banals. À Touba Bakhya, la vie et la mort se côtoient, frisant même « l’indifférence ».
TOUBA – Bakhya, lieu du repos éternel dans la ville sainte de Touba. La frénésie y est habituelle, les mines, elles, sont tristes chez ceux qui viennent pour mettre sous terre, un frère, une sœur, une maman, un voisin, un ami, entre autres. L’endroit est très fréquenté. Les uns entrent, les autres quittent les lieux d’une démarche soutenue. On se dit, avec la petite heure passée dans cet endroit, que la mort a pris le pas sur la vie. Des ambulances, fourgonnettes, motos en provenance de différentes localités entrent et sortent au rythme des enterrements. Il faut au préalable remplir les formalités. Le vigile de service ne laisse passer aucun véhicule, à moins d’être instruit de l’objet ou de l’autorisation de l’état civil. « C’est une recommandation et il n’y a aucune dérogation », fait-il savoir d’un ton ferme. Le chef de la délégation s’exécute et le convoi funèbre en provenance de Pikine (Dakar) accède à l’intérieur. Les « employés » du cimetière s’affairent chacun dans son domaine. En dépit de leurs activités, le cri de la sirène d’une ambulance ou d’un corbillard invite tout le monde au silence.
À l’entrée, on note d’intenses va-et-vient, entre la mosquée, la morgue, le bureau de l’état civil, la gare des taxis, derrière la mosquée de Bakhya. Des vendeurs de café Touba, une gargote, des marchandes de sachet d’eau, chacun y va selon son activité. Les chauffeurs de taxi échangent, l’œil rivé sur un potentiel client devant se rendre à la grande mosquée de Touba. Des personnes sont assises devant le kiosque de vendeurs de chapelets et de livrets de panégyriques. De petits groupes, assis sous les arbres, discutent à voix basse, et se taisent au premier coup de sirène. D’autres circulent dans cet espace très animé de la devanture du cimetière. Toutes ces personnes semblent tirer leur subsistance en exerçant dans ce cimetière.
Dans la mosquée destinée à la prière mortuaire, des personnes, assises à même le sol, attendent l’arrivée des dépouilles. Concentré sur son livret qu’il effeuille, un monsieur parcours rapidement les saintes écritures, mais jette parfois un regard hagard, comme s’il cherchait un confident. Il aperçoit un ami de longue date, ils s’embrassent et échangent des propos. « Je suis venu pour inhumer l’épouse de mon fils aîné décédée la veille », soutient l’un, tandis que l’autre confie être présent pour l’inhumation d’un voisin. Les mines tristes qui attendent un corps et celles joviales de ceux qui y tiennent leurs activités contrastent. Cet aspect participe au « charme » de cet endroit, puisque la vie est ainsi faite, philosophe une personne qui attendait elle aussi le corps d’un parent.
En moyenne, 25 inhumations par jour
Le gestionnaire du bureau d’état civil, Cheikh Abdou Bakhoum, coordonne, depuis 2014, les activités. Il nous fait savoir que Bakhya est l’un des plus grands cimetières, et l’un des plus sollicités du pays « avec une moyenne minimale de 25 inhumations par jour ». Ce dernier se rappelle de son premier jour dans ce cimetière. Sur injonction de certaines hautes autorités religieuses, ce talibé de la dahira Moukhadimatoul Khidma avait dirigé la prière mortuaire de trois personnes. « C’est à partir de ce jour que la gestion du bureau d’entrée m’a été confiée », renseigne ce fils de Serigne Mor Fassa Bakhoum, éminent Cheikh du Mouridisme.
Un domicile acheté par la mairie fait office de bureau. Ce dernier est fonctionnel de jour comme de nuit et le responsable des lieux a toujours ses deux téléphones fonctionnels. « Du matin au soir, nous sommes sur place pour effectuer le travail assigné », souligne Abdou Bakhoum, qui dispose d’une équipe dynamique avec Mame Cheikh Sarr. Celui-ci est chargé de l’enregistrement des défunts, à partir du mini-ordinateur posé sur la table. À côté du pan du mur, une armoire remplie de pièces d’état civil, très désordonnée, attire l’attention. Mais on s’étonne de la facilité avec laquelle Abdou Bakhoum, personne la plus sollicitée de ce site, se retrouve dans cet amas de feuilles. L’oreille scotchée au téléphone, il est usuel de voir le chef du bureau de l’état civil, avec sa tunique bleue, avancer à pas rapides, pour diriger une prière mortuaire dans la mosquée, avant de revenir à ses papiers. Dans le bureau, ses deux collaborateurs ont le cœur à l’ouvrage. À l’image de leur boss, ils essayent, dans le calme, d’orienter les usagers ou de lever des équivoques.
Abdou Bakhoum, d’une simplicité déconcertante, dit éprouver beaucoup de joie à faire son travail. « Nous sommes très sollicités, c’est vrai. Mais nous veillons à éviter les litiges. Si une situation douteuse se présente, c’est la police ou même le procureur que nous avertissons, et leur intervention nous est d’un grand apport pour lever toute équivoque », souligne-t-il. C’est ainsi qu’il sollicite des autorités les outils nécessaires permettant de faire le travail méticuleux de gestion de l’état civil dans ce cimetière. À son avis, cet endroit mérite d’avoir des chaises confortables pour des personnes qui gardent la position assise de 8 heures à 22 heures.
La pelle comme source de revenus
À côté du personnel administratif, il y a toute une équipe qui gravite autour des préparatifs pour l’inhumation. Ces derniers sont formés et capitalisent beaucoup d’années d’expérience. Ils sont tailleurs, laveurs, fossoyeurs et parfois imams. Ils disposent de badges et sont officiellement répertoriés et désignés dès l’annonce de l’arrivée d’une personne décédée, confie Cheikh Abdou Bakhoum.
Baye Makhtar, un vieux fossoyeur, à peine a-t-il fini de creuser, que son téléphone sonne. On lui annonce que l’occupant de la tombe suivante est en route. En bon professionnel, il commence à creuser la tombe suivante. « En hivernage, le travail est plus aisé », avoue-t-il. Il y a beaucoup de gens qui, chaque jour, sont sur les lieux pour faciliter l’inhumation des défunts. Selon lui, seule la maladie peut les empêcher d’être de service. Suffisant pour demander un meilleur traitement pour ces personnes. Car, « nous n’exigeons rien de personne, mais quiconque participe à la bonne marche de ce lieu doit être pris en charge », informe Baye Makhtar.
32 hectares avec un million de corps déjà enterrés
Le cimetière de Bakhya est imposant, avec ses 32 hectares. Les disparus sont traités de la même manière, et la plupart des tombeaux sont identiques. Aucune construction n’est autorisée à l’exception de quelques autorités, dont les mausolées sont sécurisés par des barres en aluminium. Chaque famille parmi les illustres fils et Cheikh de Khadimou Rassoul dispose d’un carré pour ses disciples. Cet agencement est pris en compte dans l’inscription au bureau d’état civil. Elle permet de retrouver rapidement le tombeau d’un proche, à partir du numéro dédié, et de l’endroit inscrit sur un tableau délivré par le bureau d’état civil, en même temps que les papiers d’inhumation, renseigne Cheikh Abdou Bakhoum. Il informe qu’actuellement, au moins 1 million de personnes y reposent et compte tenu du programme, le cimetière peut accueillir le double.
L’eau, une denrée rare
Mor Diaw fait partie des laveurs. En termes de doléances, il soutient : « Nous n’en avons qu’une : il s’agit d’une alimentation correcte en eau », confie-t-il. Il a fait savoir qu’ils ont traversé un trimestre, au cours duquel le bassin peinait à avoir de l’eau nécessaire pour faire la toilette mortuaire. Néanmoins, il a rappelé que de bonnes volontés et d’éminents disciples s’investissent pour améliorer les conditions de travail.
En dehors de l’électrification, Abdou Diop, un habitué des lieux, a évoqué l’importance de refaire la voirie interne pour faciliter le déplacement des véhicules. Car, poursuit-il, la voie d’accès est difficile, voire impraticable à certains niveaux pour les véhicules qui s’y aventurent. Cette situation est plus difficile durant l’hivernage avec les flaques d’eau qui importunent les usagers. De plus, pour la sécurité des lieux, des efforts doivent être faits, avoue Abdou Diop, avec surtout les charrettes qui constituent une entrave à la bonne mobilité vers l’intérieur du cimetière.