Aviculteur, transporteur, « boulanger », Oustaz Alioune Sall est plus connu et apprécié en tant que prêcheur et maître coranique. Ses interprétations du livre saint, alliant l’utile à l’agréable, ont conforté son audience radiophonique. Par le choix des mots adaptés à la sociologie du pays, ses enseignements passent et plaisent.
Par Demba DIENG
Drapé dans un boubou bleu, Oustaz Alioune Sall arpente les marches du grand théâtre Doudou Ndiaye Coumba Rose. Le visage souriant, autour d’une barbe blanche, il lève constamment la main pour des salutations appuyées à un groupe d’hommes assis à droite du portail. Un, deux, trois pas, une vingtaine de femmes l’escortent vers l’une des salles de conférence. « Oustaz Bienvenue et merci d’avoir répondu à notre appel », entonnent en chœur les membres de l’Amicale des femmes de Kédougou, toutes habillées de robes bleues et blanches. Des détails qui n’ont pas échappé au prêcheur. Il observe un temps d’arrêt, sourit puis complimente les belles dames. « Je suis vêtu d’un basin bleu. Vos tenues bleues et blanches sont très belles. C’est de bon augure », apprécie-t-il d’un ton plaisantin, provoquant bonheur et fierté chez les organisatrices de sa conférence. Ainsi, rejoint-il le présidium sous une salve d’applaudissements pour un exercice qu’il pratique depuis plus de 20 ans : développer des thèmes sociaux à la lumière du Coran. Tel un professeur dans un amphithéâtre, il déroule dans le silence le plus total, en arborant deux chapitres que sont le comportement de l’enfant à l’égard de ses parents et la cohabitation entre voisins. Des arguments qui tirent leur solidité de son passage au « daara » (école coranique). « Je n’ai fait que trois jours à l’école française. Après, Serigne Moustapha Fall, père de l’ancien directeur de Sud Fm, Oumar Diouf Fall, a convaincu mon père de nous retirer de l’école pour nous envoyer à l’école coranique. C’est ainsi que j’ai été conduit à Mbar, puis à Coupe-Coupe, une autre contrée du département de Gossas, située entre Mbar et Colobane. C’est auprès du maître coranique El Hadj Maguette Dièye que j’appris les bases de l’enseignement coranique », se souvient-il.
Une carrière dans l’enseignement
À l’âge de l’adolescence, Alioune Sall cherchait sa voie. Comme son père, il se voyait au volant d’un véhicule de transport en commun. Ce dernier, Baye Mbaye Sall s’y oppose et lui suggère une formation en mécanique. Cette idée n’enchante guère l’enfant, pour une simple raison. « Je lui ai dit que les mécaniciens ne portaient pas d’habits propres. Il a essayé de me convaincre en me faisant comprendre qu’il s’agissait de tenue de travail. Mais, je ne voulais pas être mécanicien », se rappelle Oustaz Alioune Sall. Tel un destin tout tracé, le jeune homme retourne s’abreuver aux sources de la science coranique. C’est ainsi qu’il intègre une école dédiée à l’enseignement arabe à Thialé. Au bout de cinq années, il y décroche son Certificat de fin d’études élémentaires en arabe. Un diplôme qui lui ouvrit les portes de l’enseignement. Il servit à Diawdé Couta, à Ndiaw Séyaan, à Louga, à Keur Mbarick, à Nième Cissé, avant de revenir à Louga, à l’école An Khanaafi de Serigne Abass Sall, puis à Manar Al Houda et à Ndiaré Touba Ndiaye, sur la route de Dahra Jolof. Sa soif de connaissances le pousse ensuite à continuer les études tout en enseignant. C’est ainsi qu’il réussit au Bfem et ensuite au Bac arabe. Entre l’obtention de ces deux diplômes, il a eu aussi à faire des études à Mbacké chez Oustaz Ahmet Ousseynou Bousso.
Prêcheur par la force du destin
Le hasard fait bien les choses, Oustaz Alioune Sall n’en doute point. Son histoire avec les conférences et prêches relève d’un concours de circonstances. Ne pouvant pas assurer le transport entre Louga et Tamba, il décide de solliciter l’appui du gouverneur de Louga, Ibrahima Malamine Tandiang afin qu’il l’amène à Tamba lors de ses déplacements. « Il avait prévu de passer deux ou trois semaines à Dakar avant de continuer sur Tamba », se rappelle Oustaz Alioune Sall. Son séjour forcé à Dakar finit par se transformer en une belle opportunité puisqu’en l’absence de la personne devant assurer la traduction du Coran à la mosquée située en face du commissariat de Dieuppeul pour les besoins de la Umrah, il a été coopté, sur recommandation de son ami, Imam Ahmad Dame Ndiaye. « Les responsables de la mosquée se sont mis à la recherche d’un interprète. Ils se sont rendus chez El Hadj Cheikh Touré. Malheureusement, ce dernier était souffrant. Et c’est ainsi que j’ai été recommandé par Oustaz Ahmad Dame Ndiaye », se remémore-t-il. Ainsi une proposition de 2.000 FCfa sur les offrandes des fidèles lui a-t-il été faite. « C’était la condition qu’ils m’ont présentée et j’ai accepté. La première fois, je n’avais pas de livre de traduction, j’utilisais mon Coran. C’est par la suite que j’ai commencé à acheter des livres pour la traduction. Donc, j’ai travaillé pour eux pendant tout le mois de ramadan », raconte le prêcheur.
25 ans de radio
Ses prêches appréciés dans les tentes et mosquées le propulsent dans les médias. Une carrière radiophonique qu’il a entamée à Dunya Fm en 1996. « J’ai été repéré par Ben Bass Diagne, ancien président-directeur général de la radio Dunya Fm. Il m’a dit qu’il n’allait pas me demander mes diplômes. Ce dont il avait besoin, c’était juste que je passe la nuit du vendredi à la radio, en répondant aux questions des auditeurs. La condition était que si les auditeurs me critiquent, je quitte et s’ils apprécient, je reste. J’ai accepté en remettant tout entre les mains de Dieu », informe-t-il. Après deux années de services, en 1998, il tape dans l’œil des responsables de la première radio privée du Sénégal, Sud Fm. Il y démarre une nouvelle collaboration, le 22 juillet 1999. Jusqu’à présent, il y anime des émissions tous les matins, les jeudis et les vendredis. Il y côtoie Oustaz Mbacké Sylla depuis 2009. Avec le temps, il est devenu l’un de ses plus proches collaborateurs. Ce dernier peint son compagnon comme un grand professionnel civilisé et ponctuel. « Il vient tous les jours à la radio pour préparer ses émissions. C’est un très grand professionnel. En plus, il ne verse jamais dans la polémique même s’il est attaqué », reconnaît Oustaz Mbacké Sylla.
L’utile à l’agréable
« Nogaye, une femme vilaine et démodée », telle est la représentation que Oustaz Alioune Sall fait de sa cousine. Par extension, il lance un message à toutes les femmes sur les bons comportements. Un style qui plaît et capte l’auditeur. En robe bleu, Aïssa Ba ne cesse de rigoler sur son siège dans l’une des salles de conférences du Grand théâtre Doudou Ndiaye Coumba Rose. L’histoire racontée par le prêcheur sur le plat appelé Soupou Kandia l’a séduite. « Un ami m’a invité un jour à déjeuner. Je croyais que j’allais me gaver d’un bon riz au poisson. À ma grande surprise, il avait réuni les plus grandes expertes de la cuisine du « Soupou Kandia ». Un plat que je n’avais jamais mangé auparavant. La mort dans l’âme, j’ai mangé pour ne pas vexer mon bienfaiteur. Le lendemain, quand j’ai dit à ma mère que j’avais mangé ce plat, elle n’en revenait pas », rigole Oustaz Alioune Sall.
Aïssa Ba adore cette pédagogie en alliant l’utile à l’agréable. « Avec lui, on écoute, on rigole et on retient la leçon », témoigne-t-elle. Ce style adopté est nécessaire pour acquérir une audience selon Oustaz Alioune Sall. « Le style d’enseignement est un don. C’est ce qui fait souvent la différence. Il faut un style adapté à la sociologie du pays pour faire passer ses messages », pense-t-il.
Un soldat des « daaras »
Oustaz Alioune Sall est un défenseur affirmé de l’enseignement coranique. C’est son dada depuis plusieurs décennies. Sa première école « Ali Imran » a été créée en 1996, avant d’être délocalisée à Darou Thioub, en 2006. À côté de cet établissement, d’autres projets sont en cours, selon Oustaz Alioune Sall. « Nous sommes en train de construire un « daara » à Séwékhaye. Un projet similaire est en cours à Dahra Djolof. Nous avons récemment procédé à la pose de la première pierre pour celui de Taïba Ndiaye. Nous devons prochainement ouvrir le « daara » de Thialé », récapitule Oustaz Alioune Sall. En dehors de cette préoccupation, il mène d’autres activités génératrices de revenus à travers une boulangerie, un poulailler, une boutique, un car de transport public. Pour lui, le « daara », est compatible avec la politique. « Je suis membre du Conseil économique, social et environnemental. Mais mes ambitions sont antérieures à ce poste. Pour la présidentielle, mon blocage est la langue française. Il me faut donc aller étudier et revenir », rit-il.
Après plusieurs décennies vécues, le prêcheur reste marqué par la disparition de sa mère dont il était très proche. « J’étais terrifié. J’ai dû rejoindre Mbacké vaille que vaille. Arrivé à la morgue, la salubrité restait à désirer pour quelqu’un qui tenait tant à la propreté de tout ce qui l’entourait. J’ai dû passer la nuit à nettoyer la morgue », dit-il d’une petite voix. Toujours en tenue traditionnelle, Oustaz Alioune Sall adore les couleurs vertes, bleues et blanches. S’il faut en choisir une seule, le bleu l’emporte. C’est son penchant.