Le Ramadan n’est pas qu’un moment de privation, d’endurance dans les prières, récital du Saint-Coran et l’accomplissement d’autres œuvres pieuses. Le mois béni, c’est aussi une période de «traite» pour les praticiens de certains petits commerces informels. C’est le cas des vendeurs de cure-dents, communément appelé «soccu» (en Wolof), qui se frottent les mains, le temps de ce mois de jeun. Même si certains déplorent la baisse de leur marge de bénéfices, comparativement aux années précédentes, du fait de la cherté de la vie et des produits qui n’épargne pas leur petit business.
Il est 14H passées de quelques minutes au Parcelles Assainies de Dakar. Il y a de l’animation partout sur la voie qui mène vers Dior, un marché très fréquenté de cette commune d’arrondissement de la capitale sénégalaise. Le milieu est animé par différents commerçants ; ces derniers usent de tous les moyens (des sonorisations, des mégaphones, des cries à tue-tête…) pour attirer les clients qui tournent partout, à la recherche de produits, objet de leurs visites.
A l’entrée du marché Dior, des vendeurs de cure-dents ou «soccu» font des déplacements, vers les clients. Avec leurs marchandises bien rangées, par catégories, dans des cartons retaillés à cet effet, entre les mains ou dans des boites/caisses sur la tête ou sur les épaules, ils se réjouissent de l’avènement du Ramadan. Et pour cause, ces petits bâtonnets qu’ils vendent s’arrachent comme de petits pains, en cette période de jeûne.
Entre respect de tradition prophétique et coutume, nombre de jeûneurs s’arment de ces cure-dents pour se nettoyer les dents et garder une bonne haleine en ce temps de jeûne. Que ça soit à la maison, dans les marchés, en chemin, dans les bus et autres moyens de transports, au bureau et plusieurs autres lieux, le cure-dent accompagne le jeûneur partout, comme s’il est vital. Ce qui fait l’affaire des vendeurs de ces bâtonnets dont les prix varient suivant la catégorie, la plante d’origine. Parfois même la région (Nord du Sénégal, Sud, Sud-Est, Est, Centre…) et le pays d’origine (Arabie Saoudite, Guinée, Mali…) sont invoqués pour justifier les prix qui vont de 50 FCFA à 400 voire 500 FCFA ou plus notamment les «siwaak» ou cure-dent dits du Prophète-PSL).
Bref, le marché Dior est très animé. A l’entrée de cet établissement marchant, un jeune vendeur de cure-dents qui répond au nom de Yoro Camara, trouvé assis devant son étale, entouré de plusieurs formes de cure-dents et des dattes, lit un exemplaire du Coran. «Avant d’être un vendeur, j’étais un photographe. J’avais un appareil de photographie et d’enregistrement de vidéos ; mais, après, j’ai trouvé qu’il y a beaucoup de désordres dans ce métier. C’est pourquoi j’ai décidé d’arrêter et de vendre mon matériel», pour investir dans cette activité, explique-t-il.
IMPACTS DE LA CHERTE DE LA VIE ET LA HAUSSE DES PRIX
Il ajoute : «pour les cure-dents, il y a le «neb-neb», «daxar» (ou tamarin), «soump» (des noms de cure-dents provenant de branches d’arbres/arbustes de même noms, ndlr) qui coûtent 50 FCFA le bâtonnet, chacun». Après chaque unité vendue, il propose au client un autre service gratuit, à l’aide de son couteau : «tu veux retailler ou couper le cure-dent en de petit bâtonnets ?» Ce pour un usage aisé du long cure-dent, sans gêne.
En cette période, les prix d’achats de ce produit, chez les «fournisseurs» ont été revus à la hausse, signale-t-il. Mais, cette augmentation des prix n’impacte pas ce vendeur qui est un ancien photographe. «Ce qui m’a aidé à échapper à l’augmentation des prix de la marchandise (à l’achat), c’est que quelques mois avant le Ramadan, j’ai acheté beaucoup de cure-dents que j’ai stocké», révèle-t-il, pour justifier pourquoi il ne se plaint pas trop, contrairement à d’autres. «C’est un produit très utilisée pendant ce mois béni. Ah ! Je ne me plains pas. Je dis : «Dieu merci» ; je m’en sors très bien», déclare Yoro Camara.
Mamadou Lamine qui est aussi un vendeur de cure-dents, trouvé allongé, embouche la même trompète. «Ah oui ! Le produit, ça marche… Mais la demande a diminué par rapport au début du mois de Ramadan», regrette-il. Et d’expliquer : «parce qu’après les 15 premiers jours de jeûne, beaucoup de personnes arrêtent de jeuner. Du coup, la clientèle baisse».
L’autre inquiétude de Mamadou Lamine, c’est l’augmentation des prix du produit. Ce qu’il ne comprend pas. «Avec l’augmentation des prix, il y a des vendeurs qui ont revu à la hausse les prix de vente de leurs «soccu». Mais, moi je n’ai pas augmenté, parce que le bénéfice que j’en tire me suffit ; peut-être que les autres veulent un bénéfice de 100%», nous dit-il.
VERTUS ET BIENFAITS DU CURE-DENT OU «SOCCU»
D’ailleurs, plus qu’un un bâtonnet pour se curer les dents, pour maintenir une haleine fraiche, le «soccu» dissimule beaucoup d’autres bienfaits que nombres d’utilisateurs ignorent parfois. Selon oustaz Cheikh Ndiaye, «le soccu» ou cure-dent permet de mourir avec la foi en Dieu ; ça diminue la douleur quand on meurt, augmente l’intelligence, éclaire les yeux et permet de mieux digérer. Il nettoie la bouche, embellit les cheveux, permet aussi de se rajeunir, etc.»
Daouda Diop utilise le cure-dent. Il donne ses raisons, basées, selon lui, sur ce «Hadith» du Prophète (PSL) : «Si ce n’était pour éviter de faire de la peine à ma communauté ou aux gens, je leur donnerais l’ordre d’user du cure-dent au moment de chaque prière.» Ce ‘’Hadith’’, rapporté par Abou Hourayra, illustre avec clarté l’importance du cure-dent avant la prière qui est un des piliers de l’Islam… comme dans le mois béni de Ramadan».
Il poursuit : «En effet, étant une «Sounah» le fait de se curer les dents était préféré de notre bien aimé Idole et Prophète, Mohamed (PSL). Et, à mon sens, chaque Sounah doit être considéré comme une «Farata» (obligation, ndlr) pour le musulman. Donc le fait de se curer les dents pendant le mois de Ramadan n’est que bienfait, mais le cure-dent ne doit être sucré, car il y en a. Donc, les gens ont plus tendance à se curer les dents le mois de Ramadan pour revivifier cette «Sounah» et apporter de la fraîcheur à l’appareil buccal. Et aussi il sert d’amuse-gueule car, comme on le sait, il est formellement interdit de manger à un certain temps lors de ce mois béni».
Ce bâtonnet qui joue le rôle combiné de brosse à dent, du dentifrice, du bain de bouche pour certains est également bénéfique pour la santé dentaire de l’individu, notamment l’entretien des dents et l’hygiène buccale. Il serait aussi conseillé par le Prophète de l’Islam (PSL) qui voudrait que les musulmans s’en servent, bien que ce ne soit pas une obligation. Toutefois, il est interdit, pour le jeûneur, de recourir un bâtonnet humide et imbibé d’eau comme cure-dents ; il faut utiliser un cure-dent sec qui ne regorge pas d’eau susceptible de rompre le jeûne, conseille-t-on.