En Afrique comme ailleurs, les partenaires commerciaux de l’Union européenne qui ne seront pas en mesure de décarboner rapidement leurs industries lourdes risquent de perdre l’accès au marché européen ou y seront moins compétitifs.
Le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières (MACF) pourrait engendrer une baisse comprise entre 30 et 35% des exportations africaines vers l’Union européenne (UE) dans les sept secteurs qu’il couvre, selon un rapport publié le 14 février par la Commission présidentielle sur le climat (Presidential Climate Commission/PCC) en Afrique du Sud.
Le rapport précise que ce mécanisme plus connu sous l’appellation de la taxe carbone européenne, constitue à la fois l’une des pièces maîtresses du renforcement de l’arsenal juridique européen pour atteindre l’objectif d’une diminution de 55% des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2035 (par rapport aux niveaux de 1990) et une mesure de défense commerciale.
Adopté par les institutions de l’UE en décembre 2022, le MACF est conçu pour compléter le système d’échange de quotas d’émission (SEQE), qui s’applique depuis 2005 à l’ensemble des pays membres de l’UE ainsi qu’à l’Islande, au Liechtenstein et à la Norvège.
Les quelque 11 000 entreprises soumises au SEQE sont obligées d’acquérir un nombre de quotas d’émission de GES correspondant à la quantité réelle de leurs rejets des CO2 ou de gaz équivalents pour décarboner leur processus de production.
Bien qu’il accorde aux industriels européens des quotas d’émissions gratuits pour mieux affronter la concurrence extra-européenne, ce système a eu quelques effets indésirables. Les entreprises européennes ont été de plus en plus tentées par la délocalisation de leur production vers des pays qui n’adoptent pas de politiques similaires.
Pour éviter des délocalisations induites par l’absence de taxation du carbone pour les importations, l’UE a décidé de soumettre les produits importés au même prix carbone imposé aux biens produits dans l’espace européen. Le MACF, qui devrait être mis en œuvre progressivement à partir d’octobre 2023, s’appliquera dans une première étape à sept secteurs (ciment, acier, fer, aluminium, engrais, électricité et hydrogène). Mais la liste des secteurs couverts devrait s’élargir graduellement pour être identique à celle des secteurs soumis au SEQE. Celle-ci comprend la production d’énergie et de chaleur, le raffinage du pétrole, l’acier, le fer, l’aluminium, les métaux, le ciment, la chaux, le verre, la céramique, la pâte à papier, le papier, le carton, les acides et les produits chimiques organiques en vrac.
Des pertes allant jusqu’à 2,2 milliards de dollars par an
Organe indépendant créé par le président sud-africain Cyril Ramaphosa pour superviser et faciliter une transition juste et équitable vers une économie bas carbone, la Commission présidentielle sur le climat a estimé que les exportations africaines des secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières vers le marché européen devraient s’établir à 3,9 milliards d’euros (4,1 milliards de dollars) en 2030. Sans ce mécanisme, les exportations de ces mêmes secteurs auraient pu atteindre 5,6 milliards d’euros (5,9 milliards de dollars) en 2030 si l’UE avait maintenu son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 40 %, et 6 milliards d’euros (6,3 milliards de dollars) si les Vingt Sept avaient adopté un objectif de réduction des émissions de 55 %, tout en supprimant les quotas d’émissions gratuits accordés aux industriels dans les secteurs soumis au SEQE pour mieux affronter la concurrence extra-européenne.
Une modélisation basée sur un prix de carbone de 75 dollars par tonne a par ailleurs fait ressortir que les exportations sud-africaines vers l’Union européenne pourraient reculer de 8,7 % pour les produits chimiques, de 16 % pour l’aluminium, de 30,5 % pour le fer et l’acier et de 44,3 % pour le ciment en 2030.
La Commission présidentielle sur le climat souligne également que l’impact du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sur les exportations africaines pourrait être plus grave si les prix du carbone poursuivent leur tendance haussière observée ces dernières années.
Le rapport note cependant que la contestation juridique de la nouvelle taxe carbone européenne a peu de chances d’aboutir et recommande aux Etats africains de poursuivre des voies politiques pour inciter les décideurs européens à modifier la conception du mécanisme en excluant par exemple les émissions indirectes, en adoptant une mise en œuvre plus lente ou encore à restreindre le champ d’application du nouveau mécanisme en excluant certains secteurs comme celui des industries chimiques.