Depuis quelques semaines, l’actualité nationale est dominée par la publication du rapport de la Cour
des Comptes relatif au contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de
la COVID 19.
Le moins qu’on puisse dire est que ce rapport ne laisse personne indifférent. Acteurs politiques,
médias, société civile, chacun y va de son commentaire, avec souvent, une forte dose d’émotions :
carnage financier, festin autour des cadavres, scandale du siècle etc. tels sont les mots qui reviennent
le plus dans les débats.
En réalité, cette atmosphère n’est pas surprenante. En effet, les rapports des corps de contrôle et
leurs recommandations font de plus en plus partie de la bataille politique-politicienne du fait de leur
couverture médiatique et de leurs retombées. De plus, les moyens modernes de communication
rendent les administrations et les populations plus sensibles aux informations publiées. D’où le
constat que les corps de contrôle ont un pouvoir d’influence que les différents camps essaient de
façonner en leur faveur, qu’il s’agisse du pouvoir ou de l’opposition, et même à l’intérieur de
chacune de ces entités.
Se pose alors la question des mesures à prendre pour que les résultats des contrôles soient utilisés à
bon escient. À partir de ce moment, il convient d’interroger l’approche de la Cour des Comptes dans
ce rapport.
Deux questions se présentent :
- Quel doit être l’objectif lorsque le contrôle de déroule dans un contexte qui porte une large part
d’imprévisibilité avec des restrictions et des urgences de toutes sortes ? - Faut-il mettre l’accent sur la conformité des mesures ou sur leur efficience ?
Pour étayer ces défis méthodologiques, d’interprétation et d’utilisation des observations du rapport,
étudions la partie consacrée au Ministère du Développement Industriel et des Petites et Moyennes
Industries. - Nous n’allons pas nous attarder sur la nomination du gestionnaire du compte de dépôt qui ne
souffre d’aucune irrégularité. Cependant, il est important de souligner le cas d’homonymie entre le
Ministre Moustapha Diop et le gestionnaire du compte de dépôt, ce qui a été source de confusion au
niveau de l’opinion. Donc, pour plus de commodité, appelons le gestionnaire Moustapha Diop n°2.
Les deux observations qui viennent après sont relatives aux retraits en espèces opérés par
Mouhamadou Bamba Amar sur la période du 30 avril au 17 juin 2020, pour un montant de
2.500.000.000 FCFA, ainsi qu’aux paiements en espèces des dépenses d’acquisition de masques,
alors qu’il était possible à Moustapha Diop n°2, gestionnaire du compte bancaire, de payer par
chèques bancaires ou ordres de virement. - La dernière observation concerne les décharges de remises de fonds aux prestataires pour justifier le
paiement des dépenses. La Cour dit relever des anomalies sur ces décharges comme la présence de
numéros d’identification nationale à la place des noms, des paiements avant livraison ou la présence
de numéros de chèques alors que les paiements sont faits en espèces. Et au regard de ces anomalies, la Cour remet en cause le caractère probant des pièces justificatives. - En conclusion de ses observations, la Cour recommande l’ouverture d’une information judiciaire
contre Monsieur Mouhamadou Bamba Amar, Aide-comptable, Madame Aminata Loum Ndiaye, Dage
du Ministère et Monsieur Moustapha Diop n°2, gestionnaire du compte bancaire ouvert à la BOA.
Au vu de ces observations et recommandations, la première question qui vient à l’esprit est celle de
savoir si oui ou non il y’a eu paiement des 6.250.000 masques au prix de 2.500.000.000 FCFA. À cette
interrogation, la Cour semble répondre par la négative dans la mesure où elle « remet en cause le
caractère probant des pièces justificatives produites ». - Or, les décharges, même « imparfaites », fournissent un commencement de preuve. Il s’agit ici de
démontrer un fait (la remise de l’argent ) et non de produire un acte juridique. En cela, la décharge
doit être fortifiée et non affaiblie. Sa force réside dans le fait qu’elle donne une preuve de la remise
des fonds et il n’appartient pas à la Cour de mettre en doute cette remise de fonds aux prestataires.
Seuls ces derniers peuvent démontrer le contraire. Mais déjà, l’existence de la décharge est une
reconnaissance de paiement. - S’agissant des autres observations, à savoir, les retraits et paiements en espèces, les paiements avant
livraison etc., il faut les replacer dans le contexte de l’époque. En effet, nous sommes dans les
premiers mois de la pandémie et la plupart des entreprises sont en proie à des difficultés énormes
pour importer leurs intrants ou exporter leurs produits, pour rembourser les crédits aux banques et
parfois même pour fonctionner ; et le tout sur fond d’interdiction de licencier ou de mettre en
chômage technique leurs employés. On peut alors comprendre pourquoi elles demandent à être
payées en espèces et à être accompagnées avec des avances de démarrage conséquentes.
Il se trouve également que les ministères doivent pouvoir effectuer avec rapidité et souplesse les
dépenses d’urgence que le traitement de la crise sanitaire exige. Et parmi ces dépenses d’urgence
figurent en premier lieu les achats de masques. Cette circonstance rend impossible pour les
gestionnaires la réalisation de toutes les diligences habituelles.- Retenons néanmoins que, par principe, les trois personnes citées dans ce rapport, de par leurs
fonctions et leurs rôles sont personnellement et pécuniairement responsables du paiement des
dépenses liées à la confection des masques. Mais, en l’absence de détournement de fonds avéré, les circonstances dans lesquelles ces dépenses ont été effectuées enlèvent à ces agents toute
responsabilité personnelle et pécuniaire. En effet, dans le cas présent, ces circonstances sont
constitutives de la force majeure. - Cet exemple tiré du rapport de la Cour des Comptes nous rappelle que la mission de contrôle doit
s’exercer dans le cadre d’un processus continu et centré sur la bonification de l’administration qui la reçoit. Il ne doit pas s’agir « d’attraper quelqu’un », mais de créer les conditions qui favorisent la
bonne gouvernance des ressources, et surtout, l’adaptation continue des normes de cette bonne
gouvernance. - Malheureusement, le constat est fait que dans certains cas, le contrôle ne conduit pas
nécessairement à des décisions informées sur la base d’enquêtes rigoureuses. Or, un corps de
contrôle perd sa crédibilité en exigeant de l’administration le respect de règles de conduite qu’elle même ne s’impose pas dans ses rapports avec l’administration . - En outre, le traitement politique et médiatique de ce rapport de contrôle manque de réalisme et de
maturité. La manière dont les hommes politiques, la société civile et les médias s’en servent peut
entrainer la révolte ou accentuer le fatalisme des citoyens. - Aucune administration n’est parfaite et il y aura toujours des rapports identifiant des manquements et proposant des améliorations. Cependant, malgré les imperfections, le Sénégal a offert au monde une stratégie remarquable et gagnante de riposte contre les effets de la COVID 19. Il nous faut apprendre aussi à ne pas jeter le
bébé avec l’eau du bain.
- Retenons néanmoins que, par principe, les trois personnes citées dans ce rapport, de par leurs