Les hostilités reprennent de plus belle dans le monde du hip-hop. Ngaaka Blindé et le groupe Akhlou Brick Paradise sont en beef et ne sont pas prêts de s’arrêter, alors que cette histoire a débuté depuis 2015. Si certains comme l’animateur Fata apprécient le clash et le mélange de styles, d’autres, comme Pape Sidy Fall, regrettent les insultes. Pour sa part, le rappeur Nit Doff dénonce particulièrement un manque d’engagement social des rappeurs qui font de plus en plus du rap-mbalakh.
Encore un clash qui fait bouger le rap sénégalais. Cette fois-ci, c’est entre le rappeur Ngaaka Blindé et le groupe Akhlou Brick Paradise. Les insultes et les répliques vont bon train dans des morceaux dansants. Depuis ce week-end, les Sénégalais n’ont que ça sur les lèvres. Même ceux qui ne connaissent pas la culture hip-hop mettent leur grain de sel.
Mais tout a démarré en 2015. Ngaaka Blindé avait sorti un free-style dénommé ‘’Magui ni’’ dans lequel il a proféré des insanités. Comme pour dénoncer cette attitude, Akhou Brick publie la même année le morceau ‘’Meunouleen Rap’’ (Vous ne savez pas rapper). Le groupe y dénonce le fait que des rappeurs insultent quand ils ne sont pas inspirés. Une manière de faire la leçon à Ngaaka Blindé sans prononcer son nom. Mais ce dernier a su qu’il était visé. Puis, lors du Cypher Galsen hip-hop Awards 2015, les ennemis se retrouvent et font une belle production. Il y avait aussi Mario, Dip. À l’époque, ils étaient les étoiles montantes du rap Galsen.
Mais Ngaaka Blindé en voulait toujours à Ara et Dayza (Rijal) à cause du son ‘’Meunouleen Rap’’. Après sa sortie de prison, les pics ont fusé de partout. Dans un morceau intitulé ‘’Metti Nii’’, il a répondu à Akhlou Brick en faisant allusion à leur morceau ‘’Ndiba Bi’’ sorti en juin 2021. Dans un clip sorti le 23 septembre dernier (‘’Deff Effect’’) feat King Kheuch et El Menemo, Akhlou Brick est revenu à la charge. ‘’Def Effect’’ parle des conséquences qui peuvent découler des actes positifs ou négatifs que l’on pose dans la vie. On se rappelle que Ngaaka Blindé était poursuivi pour contrefaçon, falsification et altération de signe monétaire et complicité de ces chefs.
Face aux piques d’Akhlou Brick Paradise, la réponse de Ngaaka Blindé ne sait pas fait attendre. Il a servi une réponse très salée à travers ‘’Effect secondaire’’, sorti 24 heures après, comme s’il n’attendait que ça. Puis ‘’Effet Mère’’ d’Akhlou Brick s’en est suivi. Ara s’occupe du clash en proférant des insanités, cette fois-ci sans manquer le beatmaker de Ngaaka et non moins rappeur Bril Fight 4. Sans perdre de temps, Ngaaka Blindé réplique avec la sortie de ‘’Mbaye Leumbé’’.
Ara : ‘’Nous n’allons pas nous arrêter là’’
Les rappeurs ne sont pas prêts d’arrêter de s’attaquer mutuellement. ‘’Certains disent qu’on doit s’en arrêter là. Non. Ça ne suffit pas. Nous n’allons pas nous arrêter là’’, a indiqué Ara d’Akhlou Brick. ‘’J’entends souvent dire que Baba (Ngaaka Blindé) ne recule pas. Désormais, il faut dire Ara ne recule pas (n’a pas peur d’être en conflit) a indiqué l’acolyte de Dayza qui promet d’envoyer une ‘’bombe’’ avant d’aller se préparer pour le Gamou.
Ainsi, hier, à travers un live sur les réseaux sociaux, Ara a annoncé un nouveau son titré ‘’Effet de l’air’’. Le tournage du clip se fait dans un avion. ‘’Je dois voyager dans l’urgence. On vient de m’en informer. Parce que nous ne sommes pas dans le hip-hop seulement. Nous avons nos business à côté. Ainsi, nous nous sommes dit que le prochain son ne pourra s’appeler qu’’Effet de l’air’. Et c’est pendant ce voyage que le clip va sortir. Depuis l’avion, nous allons lancer à Ngaaka des missiles. Ce sera une première dans le hip-hip sénégalais. C’est pourquoi nous serons en compagnie de notre réalisateur’’, a-t-il avisé.
Ce réalisateur a précédemment travaillé avec Ngaaka. ‘’Nous ne le connaissions pas ; nous l’avons juste pris comme ça parce qu’il fait un bon travail. Et comme Ngaaka se targue d’être un bon payeur, nous nous sommes dit que nous allons aussi l’employer. C’est le game (jeu)’’, dit-il d’un air taquin. Aussitôt la fin du direct d’Ara, Ngaaka a pris le relais pour se moquer à nouveau des rappeurs de Mbour. ‘’Avec toute cette grande annonce, ils doivent juste aller en Gambie. D’ailleurs, ils ont raté le vol’’, a rigolé Ngaaka qui leur demande d’acheter de nouveaux billets. Non sans dire que ses rivaux n’ont pas assez d’argent. ‘’Il fallait aller à Dubaï, c’est plus chic’’, a-t-il poursuivi.
Fata : ‘’La musique, ce n’est pas pour donner des leçons’’
Le rappeur Fata, de son vrai nom Moustapha Gningue, a pris la défense de ces jeunes artistes qui sont en beef. ‘’La musique, ce n’est pas pour donner des leçons. Personne ne se base sur la musique pour éduquer ses enfants. Au Sénégal, on te demande une chose et son contraire. La musique est différente de la religion. Elle doit avoir son propre espace’’, a-t-il indiqué.
Appréciant leur talent, il demande aux jeunes rappeurs de faire des featuring avec leurs aînés pour se compléter. El Présidente souligne que le clash fait partie du rap et que ce n’est pas quelque chose de nouveau. ‘’C’est de la fougue générationnelle. Heureusement qu’ils s’en limitent aux paroles. Aux États-Unis, les rappeurs s’entretuent’’, dit-il. Pour lui, l’essentiel, c’est que les consternés savent que ça doit rester un jeu et qu’ils doivent rester en paix. ‘’Ils doivent comprendre que c’est juste pour le fun. Je ne veux plus voir des rappeurs se crier dessus’’, dit-il. ‘’C’est la beauté de la rue. Ils sont jeunes et font des choses exceptionnelles. Le public amène les artistes à vouloir faire leurs preuves. Mais au Sénégal, on n’a pas un problème de talents’’, a-t-il poursuivi. Non sans se réjouir du fait que certains beatmakers mélangent leur musique avec beaucoup de variétés.
Nit Doff : ‘’Le côté business a pris le dessus’’
Ce que regrette Fata, c’est que tout ce buzz ne permet pas aux rappeurs de créer une rentabilité ou d’avoir une notoriété au niveau international. Ainsi, il pense que les sons devraient être mis dans les réseaux de téléchargements payants. ‘’Ils ont dépensé de l’argent pour faire ces clips. En retour, côté rentabilité, je ne pense pas que ça leur apporte grand-chose, parce que tout est exposé sur la place publique’’, regrette-t-il. D’ailleurs, selon lui, si les morceaux de ces jeunes rappeurs ont eu autant de succès, c’est parce qu’ils sont gratuits. ‘’Les Sénégalais, en général, ne vont pas sur les plateformes payantes pour écouter de la musique. Ils doivent le faire pour soutenir les artistes’’, dit-il.
Par contre, en plus de ne pas trop apprécier l’utilisation excessive de bongo et autres instruments susceptibles de dénaturer le rap, l’animateur Pape Sidy Fall dit en avoir marre des insultes. ‘’Ce n’est pas intéressant de continuer de se clasher comme ça. Ils doivent passer à autre chose, parce que ça finit par devenir chiant’’, a-t-il dit hier dans un direct avec le rappeur Dip qui a voulu rester neutre.
De son côté, le rappeur Nit Doff est allé plus loin. Il a dénoncé le manque d’engagement de ces rappeurs. ‘’Je pense qu’il n’y a plus cette dose d’engagement. Le côté business a pris le dessus. Ce n’est pas normal. Si on n’entend pas la voix du hip-hop dans les événements qui se passent actuellement dans pays, il y a un problème. Il ne faut pas que les gens fassent le malin en disant que c’est politiser cet art. On parle de notre engagement citoyen. Un porteur de voix doit parler de l’actualité du pays’’, a décrié le rappeur qui était, il y a quelques années, en beef avec Canabass.