Considéré comme un instrument de moindre envergure, le bongo est devenu incontournable dans les cérémonies familiales. Mais si les acteurs se font une petite fortune, ils ont intérêt à soigner leur apparence pour inspirer le respect.
Leur place dans les cérémonies festives n’est plus à démontrer. Difficile d’assister à une fête familiale ou récréative, sans qu’ils ne soient invités ou qu’ils s’invitent eux-mêmes. Les ‘’bongos men’’, ne sont plus à présenter aux Sénégalais. Ils ont même gagné leur place dans la grille récréative des programmes de télévisions. Très souvent, leur entrée se fait en irruption. A l’image d’un volcan, ils surgissent de nulle part pour transformer complètement l’ambiance, avec beaucoup de finesse, stratégie, humour, talent et créativité. Ils dégagent une super énergie lorsqu’il s’agit de créer une ambiance chez les femmes.
A la différence des tam-tam où il est essentiellement question de rythme, les ‘’bongo-men’’ allient sonorité et talent griotique. Et c’est justement ce qui fait leur originalité. Ayant les femmes comme principales cibles, ils essaient de fouetter leur orgueil ou de jouer sur les petites rivalités entre elles. Dans leurs stratégies de capter l’attention du public, ils vantent les mérites d’abord des ‘’awos’’ (première épouse), puis des ‘’niarels’’ (deuxième femme), des ‘’niatels’’ (troisième femme)… Tout ceci pour pousser les dames à rivaliser d’ardeur dans la distribution de billets de banque communément appelée ‘’baatrer’’.
En plus de leurs créations, les ‘’bongomen reprennent souvent quelques refrains des chansons en vogue. C’est le cas par exemple de celles de Sidy Diop. Dans ce jeu, personne n’est épargné, même les individus qui leur sont étrangers. A défaut de connaître le nom, le statut ou un quelconque attribut sur lequel ils peuvent miser, les hommes du bongo insistent sur un détail tel que les habits, les cheveux, le maquillage, la barbe… Bref, tout ce qui peut fouetter l’orgueil d’un homme. C’est ainsi qu’on entend des expressions du genre : ‘’monsieur le ministre de la cravate’’, ‘’monsieur le ministre du getzner’’, ‘’monsieur le président des costumes’’, ‘’diek sikiiim’’… Autant de qualificatifs laudateurs destinés à amener la personne à mettre la main à la poche. La plupart du temps, cette stratégie marche. Rares sont ceux qui, en plus des sourires, ne répondent pas par un ou des billets de banque.
Ce jour là, il y avait une cérémonie de mariage à la zone de captage. Un groupe de quatre ‘’bongomen’’, attirent déjà avec leur style vestimentaire. Tee shirt, jean serré, rasta, chaussures crochet punaise de couleur blanche pour toute la bande. Les bagues aux doigts servent à mieux battre la calebasse. Ils enchainent avec des chansons bien rythmées, occasionnant par moment des esquisses de pas de danse. D’autres chantonnent avec eux. Au grand bonheur de la mariée qui semble apprécier la prestation. ‘’C’est une connaissance qui m’a mis en rapport avec eux. Je préfère maintenant les bongos men que les batteurs de tam-tam, car il y a moins de bruit. Et ça n’indispose pas les voisins qui pourraient se plaindre de tapage’’, explique Mounas, la mariée.
Chez les hommes du métier, la tactique est la même dans toutes les autres cérémonies. D’ailleurs, de plus en plus, le public est informé de l’arrivée de la mariée ou de la maman, par l’accélération du rythme des bongos. Et très souvent, l’hôte du jour est la première à sortir les billets de sa pochette pour manifester sa joie. Elle se fait imiter souvent par les autres dames, qu’elles soient parents, amies ou collègues.
Très inspirés et habitués des foules, ces jeunes ne tremblent pas devant un grand public. Sons rythmés, danses à la mode, ils ont des voix assez fortes pour se passer des microphones et autres mégaphones. Par la force des choses, ils sont devenus les stars des cérémonies. Un faux bon de leur part peut avoir des répercussions sur l’ambiance.
Et pourtant, ça arrive. EnQuête a assisté à une manifestation où il était prévu que les bongomen quittent à une heure précise. Mais face à la pluie de billets, la bande a décidé de jouer les prolongations. Sous le couvert de l’anonymat, l’un d’eux admet que cette situation peut se poser. Dans ce cas, la prochaine sur la liste en fera les frais. Soit il y a un retard à mettre sous le compte des embouteillages, soit, un faux bon qui se traduit par un refus de répondre aux appels, quoi que insistants. Pour le moment, ce groupe en question est dans l’informel. Les prix sont négociés en fonction de la cérémonie et de la requérante. Le gain avoisine 75 000F CFA pour cette bande de 4 personnes.
100 000 en une journée, soit l’équivalent du salaire
A Sacré Cœur, au mois de Mai dernier, se célébrait une cérémonie de mariage d’une célébrité. Cette fois-ci, l’animation revient à un trio. Minces, tous de teints noirs, ces trois jeunes ont l’art de bien taper la calebasse. Elégant dans leurs tenues de vedette, ils dégagent un certain respect, contrairement à d’autres. Ousmane Samb, le leader du groupe est un jeune âgé de 20 ans. Il affirme que le métier qu’il a embrassé, il y a un an six mois nourrit son homme. ‘’Je ne me plains pas. Avec ce métier, j’ai une épouse et je gère ma famille. Avant cela, je faisais partie d’un groupe de batteurs de tam-tam. Maintenant, je cumule les deux’’, dit-il.
Ousmane Samb nommé le ‘’VIP des Bongomen’’ évolue dans le groupe de ‘’Laye Ananas’’. Il avance que ses cachets tournent autour de 150 000 et plus. Mais ils dépendent surtout des clients. Les gens avec qui ils ont tissé certaines relations bénéficient d’un traitement de faveur. ‘’Nous leur faisons une réduction, car la relation prime. Mais il arrive ce que l’on nous donne pendant le spectacle dépasse de loin le cachet. Si les gens aiment ce que vous faites, ils vous donnent beaucoup d’argent’’, soutient-il.
Il faut dire qu’Ousmane sait de quoi il parle. Sa prestation a été beaucoup appréciée. Avec une ambiance folle, son équipe n’a laissé personne indifférente. La satisfaction de la mariée en est une parfaite illustration. Elle se félicite d’ailleurs de les avoir invités par le biais de sa sœur. ‘’Vraiment c’était extraordinaire. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est que tout le monde a adhéré à leur jeu. La belle famille, de même que les amis de mon mari ont tous donné l’argent’’, se réjouit-elle.
N.A.N pense même que cette nouvelle tendance répond mieux à la culture sénégalaise et devrait permettre à la vulgariser davantage. Et même lorsque les ‘’bongomen’’ ne sont pas invités, les organisateurs ne sont pas forcément mécontents. C’est le cas à Pikine où la dame M. N. avoue n’avoir pas pensé à faire appel à leur service. ‘’Je ne les ai pas appelés, mais sincèrement, ils ont bien géré l’animation pour les invités qui ont fait le déplacement’’, reconnait-elle.
Voyage à l’intérieur et à l’extérieur
Par ailleurs, ces hommes ne devraient pas envier les salariés. De leur confidence, il ressort qu’ils peuvent gagner 100 000 F CFA en une journée, soit l’équivalent du salaire d’une bonne partie des employés au Sénégal. La cagnotte peut être même plus importante.
Khadim Cissé a connu une longue aventure avec les bongos. Né à la citée pépinière, ce jeune homme habillé d’un ensemble demi-saison noir et blanc dit avoir gagné beaucoup grâce à cet instrument. Il a fait le tour du Sénégal. Dagana, Podor, Bakel, Louga, Diourbel, Rosso, Matam etc. sont autant de localité qu’il a visitées grâce à son art. ‘’Pour une cérémonie hors de Dakar, je demande 100 000 FCFA la journée, plus le transport aller et retour. La somme peu être baissée à 75 000 FCFA. Tout dépend des liens avec la personne et du nombre de bongo demandé par le client’’, révèle-t-il.
A noter que cette somme n’inclut pas les dons reçus durant les festivités.
L’on se demande comment ils font le partage après collecte, sachant qu’ils forment un groupe souvent assez nombreux (quatre à cinq). La répartition diffère d’un groupe à l’autre. Pour le groupe de Khadim par exemple, à la fin d’une prestation, le chef de file fait un partage selon les rôles. ‘’Si nous avons par exemple 50 000 FCFA pour quelqu’un que l’on connait, je prends les 30 000 FCFA. Les deux autres, chacun prend 10 000FCFA’’.
Ce gain facile et important pourrait aussi avoir raison du métier. En effet, il y a une sorte d’appel d’air qui fait tous les aventuriers s’y engouffrent. Au point que les acteurs eux-mêmes se disent gênés. Il déplore ainsi le comportement de certains qui, disent-ils, leur font du tort. ‘’Il y en a qui vont dans les cérémonies mal fagotés, sales, c’est irrespectueux. Moi je suis tout le temps clean, avec tous les membres de mon groupe’’, a laissé entendre Laye Ananas. Cet interlocuteur regrette également que certains, au lieu d’attendre d’être appelés, décident par eux-mêmes de faire le tour des cérémonies comme des mendiants.
‘’Des fois, tu prends un engagement et sur place tu trouves quelqu’un d’autre qui n’a pas été appelé. Mais moi je me fais respecter et je m’impose’’, déclare ce jeune artiste qui force le respect. Un fois le contrat signé, dit-il, il s’engage afin de donner entière satisfaction à son client. D’où l’appel lancé aux autres à se faire respecter. ‘’Avec le respect, ils peuvent avoir plus qu’ils n’imaginent’’. Ousmane dit avoir un manager qui gère ses cachets à l’intérieur et à l’extérieur du pays. D’ailleurs, sous peu, il compte répondre à un engagement en Europe.