Ils ont jubilé bien avant le tir au but victorieux de Sadio Mané. Grâce à la vente de maillots et divers articles, tels que les drapeaux, les acteurs du commerce informel de Dakar capitalisent les bons points d’une Can « sucrée ».
Les débuts poussifs ont exposé les « Lions » de la Teranga aux critiques des supporters. Mais, la tendance inversée, à partir des huitièmes de finale, a transformé les inquiétudes en une communion exceptionnelle derrière l’équipe nationale. Une ferveur qui fait bien l’affaire du business des maillots et autres articles, même au surlendemain du sacre. En ce lundi matin, l’ambiance est à son paroxysme au marché Sandaga. Les commerçants, visages gais, se pavanent élégants avec les couleurs nationales. Un double bonheur : celui du succès face aux Égyptiens en finale de la Can et celui d’un commerce bénéfique. Amath en est l’illustration parfaite. Deux jours après la victoire finale, il a écoulé tous ses maillots. Il ne lui reste que des brassards, des bandeaux et des drapelets étalés sur sa table. Et il compte les vendre lors de l’accueil des « Lions » au Palais. « Entre jeudi et dimanche, j’ai vendu plus de 100 maillots. À quelques heures de la finale, j’ai été obligé de renvoyer certains clients auprès de mes camarades, car la demande était assez forte », explique-t-il, quatre brassards aux poignets. Ainsi, son bénéfice par maillot est estimé à 3000 FCfa. Le bénéfice est important. Le maillot acheté à 7000 FCfa est revendu au minimum à 10 000 FCfa ; ce qui lui assure plus de 300 000 FCfa pour la campagne. « La Can était exceptionnelle sur le plan émotionnel et économique », se réjouit-il.
À quelques pas de lui, une musique à fond rend difficile la conversation avec le commerçant Abdoulaye Ndiaye. Quatre maillots sont suspendus à son épaule. Il les a acquis ce matin pour se faire de l’argent. Il est sûr d’y arriver, vu l’intérêt suscité auprès des supporters. « La communion était belle. Avec la ferveur, les gens ont dépensé sans compter. Cette Can a fait l’affaire des commerçants grâce à cette victoire historique », déclare Abdoulaye, reprenant une chanson de Youssou Ndour.
Les prix passent du simple au double
À la veille de la finale, il était difficile pour certains supporters de se procurer un maillot aux couleurs nationales. Une rupture de stock a été constatée sur le marché. En atteste le témoignage de Moussa Baldé. De forte corpulence, vêtu d’un maillot de l’épopée 2002, il ne se plaint pas, car il a vendu plus d’une centaine de maillots en doublant parfois le prix. « J’ai tout vendu à 48 heures de la fête. Le maillot proposé au départ à 8000 FCfa a été vendu au dernier moment à 20 000 FCfa. Malgré tout, les supporters ont mis la main à la poche. À Sandaga, on a constaté un rush indescriptible. C’est du jamais vu ! », s’exclame-t-il, le visage joyeux, la voix gagnée par l’émotion.
En face de la pharmacie Guigon, Moustapha Gningue, habillé d’un maillot du Sénégal, sirote son café. Aux anges après le sacre des « Lions », il a été victime du doublement des prix des maillots au lendemain de la victoire. Sous le coup de l’émotion, il n’a pas hésité. Il a mis le paquet. « Il fallait que j’achète un maillot pour aller accueillir les « Lions ». Ainsi, j’ai acquis le dossard à 20 000 FCfa, car je n’avais pas le choix », dit-il. Même s’il a déboursé le double du prix normal, il ne se plaint pas. C’est l’expression du bonheur d’être champion après 16 participations à la Can.
Demba DIENG
Le tir au but gagnant des Merceries
Le Sénégal était dans des habits de fête avant même la finale. Rues, routes et avenues étaient aux couleurs nationales. Des jeunes se sont volontairement mobilisés pour coudre des banderoles et des drapeaux. Un engagement pour la patrie qui fait l’affaire des gérants de mercerie. À Lansar, Ousseynou Faye était confrontée à une rupture de stock le jour et le lendemain de la finale. Un engouement inédit à ses yeux. « En une semaine, j’ai vendu plus de 12 rouleaux par couleur. En voulant égayer les rues, les jeunes, regroupés en association, ont sorti les gros moyens. Je ne peux pas vous donner le gain exact, mais ce fut une belle période », estime-t-il.
Mercier, Ibrahima Coundoul s’est également frotté les mains entre la demie finale, la finale et l’accueil des « Lions ». « Il fallait que les gens se couvrent du drapeau national pour aller accueillir les héros. Nous avons constaté une rupture de la popeline sur le marché. Le bénéfice par rouleau dans ce contexte dépasse les 5000 FCfa ; ce qui est rare pour être souligné », explique-t-il, priant pour que le Sénégal « remporte le prochain mondial » et que les retombées économiques soient encore plus importantes.
D. DIENG
La « pose étoile », l’un des points de la victoire
Le maillot sénégalais est brodé d’une étoile depuis dimanche soir. Du coup, certains qui avaient acheté bien avant veulent sentir la présence du trophée sur la tunique. « Tu as porté un faux maillot », taquine Thierno à l’un de ses clients au marché Sandaga. C’est pour, bien sûr, lui poser une étoile au-dessus du logo. Ce travail, il le fait à 1500, voire 2000 FCfa, depuis le lendemain de la victoire. À l’en croire, les clients viennent de temps en temps. « J’e n’ai reçu que trois clients entre 8 heures et 11 heures. J’ai l’impression qu’ils attendent la sortie des nouveaux maillots. La pose étoile se fait actuellement à 1500, voire 2000 FCfa », indique-t-il, assis devant une table. Cependant, il s’est rempli les poches grâce au flocage dans la mesure où, souligne-t-il, les supporters ont préféré les maillots personnalisés. « À un moment donné, il fallait débourser presque 5000 FCfa pour le flocage alors qu’au début, c’était 2500 FCfa. Donc, la Can fut exceptionnelle sur tous les plans », se réjouit Thierno.
Le flocage a également enrichi Maguette Gassama. Avec sa machine, il indique avoir accueilli des centaines de clients. « J’ai été obligé de travailler le dimanche, jour de la fête. Plus de 260 maillots ont été floqués en 72 heures », informe-t-il.
D. DIENG
Dr MOR GASSAMA, ECONOMISTE DU SPORT
« Un impact positif pour le secteur informel et le tourisme »
L’économiste du sport Mor Gassama analyse les avantages économiques de la Can. À l’en croire, ce genre d’évènements boostent l’activité économique, notamment pour le secteur informel. Avec la victoire finale du Sénégal, il s’attend à ce que les retombées se fassent sentir à travers le regain de l’activité économique et la construction d’infrastructures.
Une compétition comme la Coupe d’Afrique des Nations (Can) ou la Coupe du monde de football sont des boosters de l’économie, notamment pour le secteur informel. C’est du moins l’avis de Dr Mor Gassama, économiste du sport et enseignant à l’Institut national supérieur de l’éducation populaire et du sport (Inseps-Ucad). « On constate que beaucoup de gens [qui évoluent dans le secteur informel] délaissent provisoirement leur principale activité pour se concentrer à la vente de maillots, drapeaux et autres gadgets, étant donné que c’est l’activité la plus lucrative du moment », analyse-t-il.
À côté du rush vers les articles faits à partir des couleurs nationales, il estime que les retombées économiques seront également ressenties par d’autres secteurs, tels que le tourisme, grâce à la forte médiatisation. « Vu cette forte médiatisation du Sénégal grâce aux performances réalisées par notre équipe nationale de football, ça pourrait être un catalyseur pour le secteur du tourisme qui a beaucoup souffert des effets de la pandémie de la Covid-19 », poursuit Dr Gassama, soulignant que personne ne doute de l’impact positif du sport sur le développement local et le développement durable.
Par ailleurs, il considère que cette victoire du Sénégal à la Can va motiver davantage tous ceux qui voudraient investir dans ce secteur. « On pourrait assister à une floraison d’écoles de football, des contrats de partenariat avec des clubs européens à la recherche de talents… Les différents clubs locaux pourraient aussi bénéficier de ces retombées économiques avec un accompagnement des pouvoirs publics », estime Mor Gassama. Il espère également que les pouvoirs publics vont augmenter les ressources à investir dans les infrastructures sportives surtout au niveau des régions de l’intérieur. L’impact du sport se reflète, en outre, au niveau local et social. Les actions de Sadio Mané (construction d’une mosquée, d’un lycée et actuellement d’un hôpital), Gorgui Sy Dieng, Cheikhou Kouyaté et autres sportifs dans leurs localités (et au-delà), en sont de parfaites illustrations.