Même si elles ne se plaignent financièrement, certaines femmes au foyer qui ne savent pas préparer, trainent des insuffisances qui ruinent leur vie de couple. Ces dames sénégalaises qui ne cachent pas leur carence vivent l’humiliation, les railleries et la calomnie au quotidien.
Trimbalant difficilement un seau rempli de condiments, Dieynaba Diaw, à bout de souffle, le teint dépigmenté, dépose son «fardeau» devant une gargote située à quelques mètres du commissariat central de Louga. Habillée d’un pantalon jean délavé sur une chemise de couleur orange, elle hèle désespérément un conducteur de calèche. La jeune dame est pressée de regagner le domicile de sa patronne afin de s’affairer à la préparation du repas de midi avant que le mari de celle-ci ne rentre.
Plongée dans ses pensées et harassée par une matinée bien remplie, Dieynaba remarque à peine la présence d’une de ses voisines qui, sur un ton taquin, l’interpelle en ces termes : «Tu dois être crevée. En plus du ménage, tu dois te taper la cuisine. Vraiment, je te plains. Ta patronne est vraiment sans cœur. Comme elle ne sait pas cuisiner, elle doit se chercher une cuisinière au lieu de te surcharger avec toutes les tâches ménagères. Elle est vraiment sans vergogne.» Lasse d’entendre la ritournelle, Dieynaba qui rit jaune, lâche sur un ton dépité : «Cela m’étonnerait. Je reste chez elle juste le temps de trouver mieux. Elle ne peut même pas cuire un œuf. Comment le saurait-elle ? Elle qui peine même à allumer le gaz. A chaque fois qu’elle s’hasarde à la cuisine, sa famille finit par se rendre au restaurant pour manger. Elle est une catastrophe», raille-t-elle avant de vider les lieux.
Aussitôt qu’elle a le dos tourné, la quadragénaire qui a eu à partager le même immeuble avec elle, s’est mise à jeter le discrédit sur la patronne de celle-ci. Sans retenue, elle déballe : «Cette jeune femme travaille comme domestique pour le compte d’une femme mariée en service à Louga. C’est elle qui fait tout à la maison, car sa patronne ne sait rien faire de ses 10 doigts. Ni ménage, ni cuisine. D’ailleurs, quand elle voyage pour rendre visite à ses parents vivant à Keur Momar Sarr, la dame et ses enfants mangent au restaurant. Je louais un studio dans le même immeuble qu’elle, mais vraiment j’avais de la peine pour elle. Elle donnait l’impression d’être heureuse, car elle ne manquait de rien. Mais, elle vivait une situation gênante, surtout quand elle avait des invités. Heureusement pour elle, elle a un mari compréhensif qui accepte de manger sans gêne au restaurant.» Cette dame, fonctionnaire de son état, qui impute ce manquement à sa grand-mère paternelle qui l’a éduquée, n’est pourtant pas la seule femme mariée qui vit cette humiliation. Fatou Dieng, la trentaine épanouie, fait aussi partie de cette liste de femmes qui ne savent pas faire la cuisine.
«Lorsque tu cuisines, même les animaux font la tête»
Debout sur son mètre 80, la jeune femme, mariée à un enseignant, est la risée de sa belle-famille. Les critiques les plus acerbes sont décochées contre sa personne quand elle leur sert à manger. Ne pouvant plus digérer ces attaques verbales, elle avait décidé de porter plainte contre sa belle-sœur pour le délit de diffamation au parquet de Louga. Mais, finalement un ami de son mari a réussi à la convaincre, après qu’il s’est engagé à discuter avec ce dernier afin qu’il quitte le domicile familial. Approchée, la bonne dame qui pleurait à chaudes larmes, s’est fait violence pour revenir sur les causes de sa mésentente avec sa belle-sœur.
Elle a déclaré, la mort dans l’âme : «Je n’ai aucun problème avec mon mari, mais sa famille me rend la vie dure, car elle ne tolère pas que je ne sache pas cuisiner. Quand, je prépare le repas, seuls mon beau-père et mon mari mangent. Le reste de la maison boudent le plat et passe leur journée à me railler et me balancer les pires quolibets. Et, pourtant, j’avais averti mon mari et je lui avais donné les raisons. Quand j’étais enfant, j’avais les mains enflées dès que je touchais à l’oignon. Alors, mon papa qui travaillait en Mauritanie, m’avait emmenée avec lui pour que ma mère ne me fasse pas faire la cuisiner. J’ai passé une dizaine d’années dans ce pays. Après que mon père a pris sa retraite en 2015, nous sommes rentrés à Rosso-Sénégal. J’étais déjà une grande fille, mais je ne savais pas cuisiner. L’ayant compris, mon père qui avait reconnu son erreur, m’avait donnée en mariage à son neveu parce qu’il pensait que ce dernier serait plus compréhensif à mon endroit. Malheureusement pour moi, nous avons divorcé après seulement deux ans de mariage. Mon cousin de mari, ne pouvant plus supporter le fait que je ne sache pas faire la cuisine, m’a répudiée. Trois ans plus tard, un homme qui enseignait dans mon village, est tombé sous mon charme et nous nous sommes mariés. C’est ainsi que j’ai rejoint le domicile conjugal. J’y vis l’humiliation, les railleries et la calomnie au quotidien. Ma belle-mère ne se gêne pas pour me cracher à la figure que, lorsque je cuisine, même les animaux font la tête. Non seulement elle ne mange pas, mais elle m’attaque verbalement. Une de mes belles-sœurs m’a dit un jour que la cuisine fait partie des conditions sine qua non du mariage. J’avoue qu’elle a vu juste, mais ce n’est pas une raison pour me le jeter comme ça à la figure. C’était une vraie humiliation.»
«Mon mari ne se gêne pas pour m’humilier à chaque fois que nous recevons à la maison et même devant nos domestiques»
Devenues la risée de leur belle-famille, ces dames vivent l’humiliation et la honte aussi aux côtés de leurs conjoints. Une situation désastreuse et peu enviable qui ne cesse de faire basculer la vie de couple de ces pauvres dames qui, la mort dans l’âme, imputent leur manquement culinaire à leurs parents. Notamment leur maman qu’elles indexent au premier plan. Cheffe de service d’une société privée qui s’active dans l’exploitation et la distribution de l’électricité dans le monde rural, Aminata Kanouté traîne son inaptitude à faire la cuisine comme un boulet.
La jeune dame de taille moyenne et de teint clair, avec un bagage intellectuel long comme le bras, ne semble pas cependant vivre un calvaire dans sa vie de couple, tellement elle a la joie de vivre. «C’est au contact de mes amies et proches collaborateurs, avec qui je passe la majeure partie de mon temps, que j’ai l’air d’être heureuse. Mais en réalité, je suis la plus malheureuse des femmes au monde», fait-elle savoir d’emblée. Avant d’enchaîner : «Je suis issue d’une famille où, ce sont les femmes de ménage et notre maman qui s’occupent de tout. De la cuisine à la lessive, en passant par l’entretien de la maison, je n’ai jamais participé à aucune de tâche ménagère. Ce qui fait que, durant toute mon enfance, je n’ai jamais préparé un seul repas à la maison. Et ceci, jusqu’au jour où j’ai quitté la demeure parentale pour rejoindre celle de ma belle-famille. Le seul mets que je sais faire, est la bouillie de mil. Un plat que j’ai appris à préparer chez des camarades de classe à l’époque où on se retrouvait chez elles pendant la récréation», regrette amèrement la cheffe de service qui dit en vouloir à sa propre mère.
«J’avoue que ma mère nous a accordé trop de liberté, mes sœurs et moi. L’unique préoccupation de ma maman était que nous réussissions dans nos études. Alors qu’il est bien possible pour une fille de faire la cuisine tout en suivant correctement ses études. Et me voilà aujourd’hui à subir les conséquences dans mon propre foyer. Au domicile de mon mari, tout le monde sait malheureusement que je ne sais pas préparer. A mon arrivée, quand je leur présentais le déjeuner ou le dîner que je préparais d’ailleurs avec beaucoup de difficultés, personne ne mangeait. Ma belle-mère qui est une Saint-louisienne ne se gêne pas pour pousser du pied le plat et à bouder le repas. Ensuite, s’en suivent les autres membres de la famille», se souvient encore Madame Diouf, la gorge serrée et le regard baissé au sol. Cependant, après quelques années de souffrances et d’humiliation au sein des Diouf, la jeune dame tente de «fuir» sa belle-famille en demandant une affectation à l’intérieur du pays. «Malgré cette fuite en avant, avant cette stratégie de me séparer, j’ai accumulé une cascade de défaites et de maltraitances de la part de ma belle-famille. Et malheureusement, c’est mon mari qui ouvrait toujours le bal. Il ne manquait guère l’occasion de me piétiner devant nos invités à qui il faisait toujours savoir que ce sont ses sœurs ou les femmes de ménage qui préparaient le déjeuner ou le dîner à ma place. Il me grondait à sa guise. Et le plus souvent, ce sont les voisins qui intervenaient pour le calmer au moment où sa famille jubilait. Tout cela, parce que je ne sais pas préparer. Et même avec les femmes de ménage que j’ai recrutées pour qu’elles m’aident dans les travaux domestiques, notamment la cuisine, mon époux ne m’a jamais soutenue. Il passe tout son temps à me vilipender. Je suis toujours dans les liens du mariage et cela, depuis bientôt 10 ans, mais désormais, c’est lui qui fait le déplacement tous les week-ends ou à la fin du mois pour me rejoindre chez moi», révèle Aminata Kanouté Diouf qui n’est pas encore prête à partager le même toit avec sa belle-famille. A l’image d’Aminata Kanouté Diouf, Khady Minthé, une autre femme mariée depuis 08 ans, vit le même drame. Mais avec moins de pression de la part de son conjoint. «Je vivais en Europe et c’est à la suite de mon mariage avec mon mari banquier que nous avons décidé de venir nous installer au Sénégal.
Mais, sachant que je ne sais pas faire la cuisine, un tort que m’a d’ailleurs causé ma mère, j’ai très tôt pris mes dispositions et proposé à mon mari de vivre seule avec lui dans un appartement. Une façon pour moi de m’épargner des critiques et autres humiliations de ma belle-famille. Ce qu’il a d’ailleurs accepté sans aucun souci», indique madame Ndoye, comptable dans une célèbre société de la place. Sourire aux lèvres, la ravissante dame à la noirceur d’ébène et à la forte corpulence déclare que, depuis lors, elle vit avec sa cousine qui s’occupe de tout chez elle.
«Même quand Sokhna (sa cousine) doit aller au village pour les fêtes de Korité et de Tamkharit, elle me prépare d’abord différentes sortes de sauces que je mets au réfrigérateur afin de les réchauffer le jour voulu», renseigne Madame Ndoye qui indique, par ailleurs, que sa cousine passe les fêtes de Tabaski chez elle pour s’occuper convenablement de la viande de mouton. Ainsi que de sa préparation. Et Khady Minthé d’ajouter : «Mon époux doute parfois de mes compétences culinaires, mais j’ai toujours avancé mon travail comme prétexte pour lui faire croire le contraire. Jamais, il n’a su que je ne sais pas préparer. Mais, Sokhna, mon ange-gardien, s’occupe parfaitement bien de tout dans mon ménage», se glorifie-t-elle. «Quant aux membres de ma belle-famille, je fais tout pour les éviter le maximum possible. On ne se voit que très rarement à la grande maison familiale. Et pour ne pas leur faciliter fréquemment l’accès de mon foyer conjugal, j’ai décidé d’être stricte et peu sociable envers eux», conclut la belle et ravissante comptable de société.