Un mètre de hauteur et une voix singulière. Grand P, atteint de progeria, une maladie qui provoque un vieillissement prématuré, a un profil atypique. Mais «chez l’homme, ce n’est pas la taille qui compte, ce sont les valeurs», défend-il. En ce jour de juillet 2017, c’est un Grand P déterminé, décidé à faire sa promotion, qui pousse les portes du groupe de média Hadafo à Conakry.
Son fondateur et directeur, Lamine Guirassy, s’en souvient encore : «Peu le connaissaient, et, parmi ceux qui savaient qui il était, rares étaient ceux qui croyaient en lui. Mais il est venu me voir en disant qu’il voulait être chanteur et qu’il fallait l’aider.» C’est à ce moment que celui qui deviendra quelques années plus tard un phénomène dans toute l’Afrique de l’Ouest fait sa première apparition à la télé, dans l’émission L’Autre Journal. Son look sorti tout droit des clips de rap américains surprend.
Paré d’une large veste de survêtement noire, de lunettes de soleil relevées sur la tête et d’une grosse chaîne autour du cou, il n’hésite pas à afficher son côté bling-bling. Moussa Kaba, de son vrai nom, n’est pas complexé par son élocution, souvent difficile, ni par son physique si particulier.
«Tout le monde parle de grand P, il est grand temps de me trouver un producteur», lance-t-il. Reconnaissant envers ceux qui lui donnent sa chance, Grand P rend hommage, lors de l’émission, à l’artiste guinéen Kerfalla Kanté, «le premier» à lui avoir tendu le micro sur la scène du Palais du peuple à Conakry. Accompagné d’une petite équipe, l’interprète tire d’abord parti de sa nouvelle notoriété sur les réseaux sociaux. En 2019, sa carrière prend un tournant avec la Coupe d’Afrique des nations (Can) organisée cette année-là en Egypte. Une vidéo où il s’adonne à un «freestyle» pour soutenir le footballeur guinéen, Naby Keïta, qui évolue à Liverpool, fait le buzz et comptabilise plus de 100 000 vues. «Après la vidéo, nous avons réfléchi à la manière de tirer parti de cette audience. C’est comme ça que nous est venue l’idée d’enregistrer une chanson pour l’Equipe nationale», confie l’un de ses proches. Le phénomène Grand P est né et le chanteur devient la mascotte de l’Equipe nationale lors de la Can. Séduit, l’homme d’affaires et second vice-gouverneur de la Banque centrale de Guinée, Baïdy Aribot, finance son voyage au Caire pour rencontrer les joueurs aux côtés desquels la star esquisse volontiers des pas de danse.
Tiken Jah Fakoly et Emmanuel Adebayor
Aujourd’hui, l’artiste affiche un album au compteur, des invitations dans de nombreux clips vidéo de chanteurs reconnus dans la sous-région tel l’ivoirien Serge Beynaud, des enregistrements studio avec Tiken Jah Fakoly, pour son deuxième album, ou encore sa proximité avec de célèbres footballeurs africains comme le Togolais Emmanuel Adebayor. Né handicapé, dans un milieu défavorisé, son destin hors du commun déjoue tous les pronostics. Cadet d’une fratrie de quatre enfants, Moussa Kaba est né à Sanguiana, dans la région de Kankan. Plus tard, sa famille s’installera à Conakry. Tout jeune, il est surnommé «Grand P» en référence à son grand-père, dont il est l’homonyme. Il est en CE2 lorsque les moqueries se font plus dures face à son visage qui commence déjà à vieillir. Grand P préfère alors rester chez lui ou bien traîner dans le quartier et se passionne pour la musique. «J’ai décidé d’être artiste parce que c’est ma vie, c’est ce que je connais», nous confie-t-il en esquissant de grands gestes. Alors qu’il se montre volontiers bavard concernant sa carrière d’artiste, le chanteur reste flou sur sa situation familiale. Et s’il y a bien une question qui l’agace, c’est celle de son âge. A ce jour, personne n’est capable de le déterminer. Certains laissent entendre qu’il aurait un peu plus de trente ans, ce qui paraît peu probable au regard de sa maladie. Ses équipes et lui préfèrent garder le mystère.
Faire de son physique une force
Pour Lamine Guirassy, le phénomène Grand P est d’abord une «curiosité». Il est un personnage rare qui suscite beaucoup d’interrogations chez les gens, explique-t-il. Dans un pays comme la Guinée, où l’on porte beaucoup de jugements sur la différence, certains auraient préféré garder l’anonymat et se murer dans le silence. Grand P, lui, a décidé de profiter de cette déficience physique. Conscient de sa chance, il a d’ailleurs créé la fondation humanitaire Grand P, qui vient en aide aux personnes déshéritées souffrant de handicap. Actuellement, le chanteur construit un orphelinat dans la ville de Forécariah –à 80 km de Conakry– sur un terrain qu’un homme politique lui a offert. Outre le buzz qu’il fait sur internet, ce qui assure le succès de Grand P, ce sont les nombreux mécènes qui l’entourent. Parmi eux, il peut compter sur l’homme d’affaires Baïdy Aribot, qu’il considère comme son «parrain», mais aussi Antonio Souaré, l’une des grandes fortunes du pays, président de la Fédération guinéenne de football et patron de la société de pari Guinée Games. Des différents soutiens qui financent ses projets ainsi que ses nombreux déplacements. Depuis un peu plus d’un an, l’intérêt du public pour lui s’explique aussi par son idylle avec la chanteuse et influenceuse ivoirienne Eudoxie Yao. Les deux se voient régulièrement à Abidjan, Conakry ou encore Bamako et n’hésitent pas à mettre en scène leur relation sur les réseaux sociaux. Une histoire qui semble tirée d’un roman, elle est aussi ronde qu’il est maigre, et dont les soubresauts passionnent deux millions de followers sur Instagram. Mais Grand P l’assure : il est sincère. Il promet d’ailleurs un «grand mariage» à Conakry quand les restrictions sanitaires seront levées.
Jeune Afrique