Fondateur de Jeune Afrique et La Revue, deux dividendes pour l’Afrique«Décès de Béchir Ben Yahmed, on va l’annoncer officiellement sous peu.» C’est par ce laconique et matinal message WhatsApp d’un ami douanier, que j’ai appris la disparition du père de Jeune Afrique, ce 3 mai.
Sautant du lit, j’ai rallié le site de jeuneafrique puis le twitter de Marwane Ben Yahmed, mais la nouvelle n’y était pas encore annoncée. Elle le sera quelques heures plus tard. Combattant éternel du verbe, sa plume n’encrera plus. Asséchée à jamais par le meurtrier Coronavirus, cette plume a révélé l’Afrique au monde entier.Mon parcours avec Béchir Ben Yahmed démarre le 28 novembre 2017, suite à mon email du 21 novembre, après avoir lu le numéro 74 de La Revue. Courriel dans lequel, je lui disais mon intérêt pour ses deux supports : La Revue et Jeune Afrique.
Un magazine que je lis depuis mes années collégiennes. Réactif, il me demandera de lui envoyer mes propositions pour La Revue, et de m’adresser pour Jeune Afrique à Marwane Ben Yahmed ou à François Soudan. Le 1er février 2018, il m’invite à prendre part à la réunion du Comité de rédaction de La Revue à 9 heures 45, dans les locaux de Jeune Afrique Rue d’Auteuil dans le 16e arrondissement de Paris. C’est la première fois que je voyais Béchir Ben Yahmed dont, lecteur de «Ce que je crois», j’ai reconnu le visage au seuil de la salle de réunion. «Bonjour M. Seck, viens ici, tu vas te mettre à côté de moi. Je vous présente M. Seck, journaliste sénégalais et écrivain. M. Gouraud, M. Seck sera notre représentant en Afrique de l’Ouest, il voyage beaucoup en Afrique», annonce Béchir Ben Yahmed à l’assemblée. Après un tour de table, il me donne la parole et mon premier papier sur le Djihadisme a été accepté et publié.
A chaque Comité de rédaction, je m’installais à gauche de Béchir Ben Yahmed. «M. Seck viens ici, tu m’es proche», me lançait-il, souriant, les yeux toujours plissés. Me restera toujours vivante sa volonté inextinguible de toujours participer aux combats de la vie. Pour notre gouverne, grand acteur et artisan de l’indépendance de son pays, la Tunisie, et de nombre d’autres pays africains, il a continuellement lutté pour l’installation de la démocratie et du multipartisme dans les pays africains nouvellement indépendants. Sa plume n’a jamais épargné ces présidents africains désirant s’éterniser au pouvoir. Et si son moteur n’était que pécuniaire, Jeune Afrique n’existerait pas.
Très jeune (28 ans) ministre dans le gouvernement de Bourguiba, côtoyant tous les grands du monde, Béchir Ben Yahmed a toujours voulu être au rendez-vous de la lutte pour la démocratie, la paix, la justice et l’égalité des chances.
Une chance qu’il m’a donnée, en m’incitant à toujours approfondir mes recherches dans les sujets d’enquêtes que je lui proposais pour La Revue. L’âge ne lui a rien fait perdre de sa rigueur pour l’écriture journalistique. Au contraire, plus il vieillissait, plus pointilleux il était sur la déontologie journalistique. Très porté sur les questions liées au terrorisme, Béchir Ben Yahmed me documentait sur le sujet. Paternel, il m’a même une fois envoyé avant parution, sa chronique «Ce que je crois», me gratifiant d’éléments pour mon dossier sur le terrorisme.
Généreux à l’excès, à chacun de mes voyages en Afrique, il me mettait en rapport avec de hautes autorités. Notre dernier échange par email remonte au 12 mars 2021 pour la préparation du numéro 93 du mois de mai, après mon papier sur les Wade paru dans le numéro 92.Un des derniers jeunes journalistes sénégalais à avoir fréquenté Béchir Ben Yahmed dans la forge de qui, plusieurs journalistes, devenus patrons de presse ou ministres, se sont outillés, je me sens orphelin de ce père et grand-père qui, à travers sa plume, s’est battu pour l’indépendance des pays africains et a participé à son développement intellectuel. Plus qu’un magazine, Jeune Afrique est une école, fonctionnelle à l’africaine.
Et Marwane Ben Yahmed a de qui tenir, pour avoir su faire face aux vents violents contre la ligne rédactionnelle. Il m’avait intégré au site en ligne jeuneafrique.com où l’aventure sera moins longue qu’avec La Revue, mais fort intéressante. De même, Amir Ben Yahmed, à travers Africa Ceo Forum, participe aux rayonnements des entreprises africaines. Autant de dividendes léguées par Béchir à l’Afrique. Lesquelles, Ce que je crois – il m’aurait prếté sa formule avec sourire, profiteront plus aux générations futures qu’à celles qui les ont précédées. Paix à votre âme Grand-père Béchir Ben Yahmed.
Mamadou SECK,
Journaliste-écrivainGrand Reporter à L’OBS