La mort d’Idriss Itno Déby, président du Tchad depuis 30 ans, pourrait remettre en cause la stabilité du Sahel et par delà, mettre en péril la sécurité du Sénégal. Sur la mort d’Idriss Déby circulent deux versions. L’une aussi plausible que l’autre, même si une seule est officialisée. Celle donnée par l’armée et qui dit que le président du Tchad a donné «son dernier souffle en défendant l’intégrité territoriale sur le champ de bataille».
Dans l’autre variante, il aurait été pris dans un champ de tir déclenché par des cadres de la rébellion au cours d’une négociation qui a mal tourné. Ce qui reste immuable, dans ces deux versions, est que l’homme fort du Tchad depuis 30 ans, qui venait d’être réélu pour un sixième mandat, a bel et bien été blessé au front. La précision est d’importance, le maréchal Déby, militaire de carrière et combattant rebelle avant de s’emparer du pouvoir en 1990, aimait se présenter en «guerrier» et comme tel, il ne se voyait mourir qu’avec les armes à la main. Cheikh Yérim Seck, journaliste, en témoigne : «Je l’ai rencontré en 2008 et au cours de la discussion, il m’a dit : «Tu sais, on entendra un jour dire que Déby est mort, mais jamais on entendra qu’il a été fait prisonnier ou pris sur le champ de bataille. C’est quelqu’un qui est souvent allé au front parce qu’il se vivait comme un militaire.» De fait, Idriss Itno Déby, dont l’armée luttait contre le Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), était un partenaire privilégié dans la lutte contre le terrorisme. Avec sa mort, le Sahel perd un stabilisateur. Ce qui peut s’avérer désastreux pour la sécurité de la région et par ricochet, du Sénégal.
«Si le régime ne survit pas, c’en est terminé du Mali, c’en est terminé du Niger, c’en est terminé du Burkina Faso… Comment le Sénégal pourrait s’en sortir ?»
A l’origine de la mort du maréchal, le groupe politico-militaire Fact s’est développé dans le chaos qui a précédé la mort de l’ancien président lybien, Mouammar Kadhafi, en 2011. Au delà de cette menace interne, l’armée tchadienne lutte depuis 2015 contre une fraction du groupe Boko Haram dans le cadre d’une force multinationale qui regroupe le Nigeria, le Niger et le Cameroun. Enfin, elle participe aussi à la force anti-terroriste du G5 Sahel aux côtés de la Mauritanie, du Mali, du Burkina et du Niger. «Notre volonté partagée de vaincre au plus vite le terrorisme dans le Sahel doit s’accommoder d’un réel engagement», disait le défunt président tchadien, lors du sommet consacré au G5 Sahel, en février dernier, à N’djamena et au cours duquel, il avait annoncé l’envoi de 1 200 soldats dans la zone des «Trois frontières», point brûlant de la guerre. Ces engagements sécuritaires ont très vite fait de Déby, l’élément stabilisateur d’une région agitée. Sa mort pourrait donc changer la donne. Cheikh Yérim Seck : «Le reste dépendra de si le régime Déby va lui survivre ou pas. Si le régime survit, rien ne va changer a priori, d’autant plus que ce sont les mêmes généraux qui composent le Conseil mis en place, c’est la même armée.» A l’annonce de son décès, l’armée n’a, en effet, pas tardé à installer un Conseil militaire de transition (Cmt) qui a pris les commandes du pays avec à sa tête, le fils du maréchal, le général Mahamat Idriss Déby, âgé de 38 ans. Ce dernier pourrait faire perdurer le régime de son père et sauvegarder ainsi l’impact de l’armée tchadienne contre les mouvements terroristes. En revanche, si les fondamentaux du régime sont remis en cause, les choses risquent d’être catastrophiques pour tout le Sahel, selon les observateurs. «Dans un tel scénario, le Tchad sera un peu comme la Somalie, parce que le Tchad est un pays de guerriers avec une multitude d’ethnies qui contrôlent presque chacune une partie du territoire ? Si le régime ne survit pas, c’en est terminé du Mali, c’en est terminé du Niger, c’en est terminé du Burkina Faso. Les conséquences seraient désastreuses pour les pays du G5 Sahel et je ne vois pas comment le Sénégal pourrait s’en sortir», continue le journaliste. Un schéma que devrait éviter à tout prix la France, partenaire stratégique de la lutte anti-terroriste dans la région. Paris qui a dit sa désolation pour le décès de Déby, n’a pas contesté la mise en place du Conseil militaire. Tout juste a-t-elle demandé une transition pacifique que les militaires promettent pour dans 18 mois.