Nombre d’étudiants de l’université Cheikh Anta Diop viennent de familles aux revenus modestes, obligés de faire face à la précarité du travail et du logement. Mais ils ne vivent pas cette précarité de la même manière. Certains, au-delà des petits boulots durant l’année universitaire ou même parfois durant les périodes estivales, ont trouvé l’ultime remède pour lutter contre cette précarité : la prostitution.
« L’entrée dans la vie étudiante procède certes d’une rencontre avec une nouvelle culture, la culture universitaire, mais aussi d’une rencontre avec un nouveau statut social, un nouvel environnement relationnel, un nouveau mode de vie qui, ensemble, contribuent à bousculer et redéfinir l’identité sociale et personnelle de l’étudiant » (Robert BOYER)
20h17mn, les mouvements des étudiants à la cité Claudel sont incessants. Entre ceux qui vont au restaurant et les autres qui font leurs courses ou même les autres qui sont venus rendre visite à leurs copines, les va-et-vient s’enchainent.
Pourtant, une chose, qui semble d’ailleurs normale ou anodine pour ces étudiants, attire l’attention. Il s’agit des voitures de luxe qui contrastent avec l’environnement occupé essentiellement par des étudiants « Toi, ça se voit que tu ne loges pas ici », me lance un garçon interrogé sur les raisons de cette présence de véhicules luxueux devant la cité. Il répond avec un air désintéressé : « On a l’habitude de les voir ici et tu serais plus étonnée de savoir le propriétaire de la voiture noire là devant », ajoute-t-il, en enchaînant. « Ils viennent ici et appellent des étudiantes qui vont les rejoindre. D’ailleurs, regarde cette fille habillée vulgairement, elle fait surement partie des prostituées »
La situation de l’étudiant se dégrade de plus en plus, amenant certains à se prostituer fréquemment ou occasionnellement pour payer leur logement, et même pour certains, d’envoyer de l’argent à leurs familles, ou financer leurs études, entre autres. Cette prostitution serait exercée la plupart du temps par des filles, en vue probablement de se procurer des revenus afin de supporter leurs propres charges quotidiennes ou celles de leurs familles.
« Mes charges sont trop lourdes »
Néanmoins, la plupart de ces étudiantes ne le font pas de manière classique, consistant à aller sur des sites ou endroits bien déterminés ou sur des réseaux de proxénétisme. Ces étudiantes choisissent de le faire discrètement d’autant que maintenant que la sécurité à l’université a été renforcée. Certaines ont leurs propres clients.
C’est le cas de Bineta (le nom a été modifié). Cette jeune fille de 22 ans est arrivée à l’université en 2018. Au début, elle logeait chez une de ses tantes mais suite à des problèmes avec son cousin qui ‘’la draguait’’ elle a quitté la maison, raconte-t-elle. C’est juste après cet incident qu’une de ses amies l’a hébergée dans sa chambre, mais dans des conditions ne satisfaisant pas son train de vie. « Au début ma copine m’aidait un peu car elle vient d’une famille aisée, mais mes charges étaient beaucoup trop lourdes et je ne voulais plus dépendre d’elle. J’ai donc commencé à réfléchir à un éventuel travail. Mais, c’était vraiment compliqué d’en trouver surtout que je devais aller en cours et travailler » !
Pour survivre d’ailleurs à l’université, beaucoup sont contraints de travailler. « J’ai alors commencé à me prostituer, la première fois j’avais juré de ne plus recommencer, mais c’était sans compter sur mes besoins et surtout ceux de ma mère qui ne se soucie pas de la provenance de cet argent ».
Une activité clandestine mais fructueuse pour Bineta qui arrive à couvrir ses dépenses. Elle affirme même que ce métier lui a fait découvrir plusieurs endroits, les hôtels les plus luxueux. « Pour avoir de l’intimité, parfois mes clients m’amènent dans un hôtel ou certains dans un appartement. J’ai même, une fois, accompagné un client au Mali où il avait un voyage d’affaire. C’était en pleine année académique, mais comme j’avais besoin d’argent j’y suis allée avec lui et je ne l’ai franchement pas regretté ».
Numéro de téléphone et adresse sur une table d’amphi
Quant à sa « collègue » Ndèya, une jeune fille de 25 ans, elle se prostitue depuis 2 ans. Elle raconte avoir intégré ce métier lorsqu’elle devait acheter du matériel pour ses études alors que le paiement des bourses accusait du retard. Pour attirer des clients, elle avait juste écrit sur une table dans un amphi, son adresse et son numéro de téléphone. « Là j’ai eu la surprise de ma vie, j’ai reçu beaucoup d’appels et j’ai accepté de prendre un client et on a passé une nuit ensemble dans sa chambre à Gueule Tapé ».
Mais c’était sans compter sur ses besoins qui s’intensifiaient chaque mois, raconte-t-elle. Elle a donc recommencé à se prostituer encore et encore et maintenant elle n’a plus besoin d’écrire ses coordonnées sur une table à l’université, et non plus de déambuler dans les sites de prostitution. « Je suis très prudente, je ne reçois jamais un client sans me protéger et j’ai aussi mon carnet sanitaire, je vais régulièrement me faire consulter ».
Même si cette prostitution n’est pas connue de tous et même parfois semble impossible dans le temple du savoir, elle existe clandestinement. Pourtant, un réseau avait été démantelé mais ce fut juste une question de temps pour que cette activité reprenne de plus belle.