Lorsqu’il foulait le sol américain en 1990, El Hadji Ousmane Tounkara avait en bandoulière une montagne de projets de création d’entreprises. Une ambition qu’il va matérialiser en partie. Le rêve américain accompli, Tounkara verse dans le bling-bling, avant que sa trajectoire ne prenne une courbe décadente. Devenu activiste et insulteur public, il sera le 31 mars prochain, face au juge de l’immigration américain, suite à une saisine du Sénégal pour, «Terrorisme et menaces de mort».
Sa vie a basculé d’un coup. Ses convictions ont fluctué en un temps record. La modération qui a toujours caractérisé sa vie s’est vite transformée en agitation. Ousmane Tounkara, «le personnage turbulent et insolent» qui s’est révélé aux Sénégalais ces derniers temps avec des diatribes contre le régime de Macky Sall, est loin du «jeune courtois» connu il y a quelques années. Arrêté le 15 mars 2021, par le Fbi puis mis à la disposition l’Us Immigration and customs enforcement (Ice, services de l’immigration), avant d’être placé en détention à la prison de Hudson County Correctionnal Facility, dans l’État de New York, Ousmane Tounkara établi à New York fera face, le 31 mars 2021, au juge de l’immigration.
Le activiste sénégalais dont les démêlés avec la justice américaine découlent d’une «saisine de l’État du Sénégal» aux autorités américaines compétentes, s’était davantage illustré par des sorties incendiaires contre le régime de Macky Sall. Dernièrement, avec l’avènement des émeutes faisant suite à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, l’activiste qui ne bénéficie pas de la nationalité américaine, encourt beaucoup de sanctions, allant jusqu’à la déportation vers son pays, le Sénégal.
Son enfance difficile, ses études abrégées au collège et l’aventure aux Usa
Pour comprendre la philosophie de cet «ingénieux manager self-made-man au parcours riche d’anecdotes et chahuté par des feuilletons judiciaires», il faut lire dans sa pensée : «Notre jeunesse doit être édifiée à l’idée qu’à chaque fois qu’elle a un projet, il faut y croire jusqu’à son dernier souffle, la fatalité n’existe pas.» Il a couché cette conviction dans un livre autobiographique qu’il s’est fait rédiger aux Usa par des amis. Un ouvrage qui retrace sa tumultueuse vie. De sa tendre enfance au sein d’une famille polygame (son père avait 4 épouses), plongée dans de constants conflits fratricides, à son statut d’émigré noir «affranchi» au pays de l’oncle Sam. Faisant sien le slogan du «rêve américain», il choisit de devenir un self-made-man, au lieu de travailler pour le compte d’autrui ou d’une structure quelconque. «J’avais décidé de ne plus jamais travailler 7 jours sur 7 pour les autres, sauf pour mon pays.» Une conviction qu’il va, selon des connaissances de Tounkara établis aux États-Unis, qui se sont confiés à l’Observateur, traduire en acte tout au long de son aventure en terre américaine, en n’ayant en bandoulière que son ingéniosité et sa grande faculté d’entrepreneur doué. «J’avais, dès mon arrivée, aux Usa, décidé de créer ma propre entreprise, même si, au départ, les moyens financiers me faisaient défaut», écrit-t-il dans le livre.
El Hadji Ousmane Tounkara qui est né le 5 janvier 1973 à Dakar, s’identifie à son père, mais aussi et surtout à celui qu’il considère comme son homonyme : Othman Ibn Affan, un fidèle et compagnon de la première heure et troisième Khalife du Prophète Mouhamed (Psl). Il va d’ailleurs mener des recherches poussées sur la vie et l’arbre généalogique de son homonyme, un homme pondéré, doux et conciliant, au point que le Prophète Mouhamed (Psl) confia à son endroit : «Comment voulez-vous que je n’éprouve pas de la pudeur à l’égard d’un homme envers qui les anges éprouvent eux-mêmes de la pudeur ?» Des vertus que les parents de Ousmane Tounkara (son père est de l’ethnie sarakolé, sa mère, bambara), originaires de Djeddah, une localité frontalière avec la Gambie, vont tenter de l’inculquer. À l’âge de 7 ans, il fréquente l’école coranique et celle française, a Vélingara, dans la région de Kolda. Dans cette commune du sud du Sénégal, le jeune Ousmane Tounkara va étoffer son cursus scolaire par l’obtention d’un Certificat d’études primaires élémentaires (Cepe), avant d’arrêter son cycle secondaire pourtant prometteur, au collège. À l’instar de ses frères, O. Tounkara est amené à cultiver la terre dans les champs de ses parents qui vont, par la suite, s’exiler en Sierra-Léone, puis au Libéria, au gré de leurs activités diamantifères.
De laveur de véhicules à chef d’entreprise
C’est sur ces entrefaites que le jeune O. Tounkara va choisir de quitter les siens et son pays, pour débarquer clandestinement aux États-Unis, dans la ville de New York. Dans cette mégalopole américaine où rien n’est gratuit, le jeune émigré tente de survivre au moyen de petits boulots. Laveur de véhicules pendant plusieurs années dans le Bronx, Tounkara s’activera aussi dans la plonge avec des piges dans quelques restaurants, avant de se faire enrôler dans une entreprise de «trucking» et «shipping». Mais, il sera vite licencié. Redevenu chômeur, Tounkara retourne à son sport favori : le petit commerce à la sauvette. Il parvient à épargner ses petites économies et voit désormais son avenir en grand. Un an après avoir débarqué clandestinement en Amérique en 1990, il crée en 1991, sa propre structure, «Tounkara Import & Export». Entreprenant, Ousmane Tounkara passe d’un homme d’affaires en devenir, à un opérateur économique désormais actif dans l’exportation de conteneurs vers le Sénégal.
Le bling-bling et les véhicules volés
Subitement, Ousmane Tounkara céde à la tentation de la magie de l’Internet, des voitures «Green Vip», des restaurants… En 1994, le «Golden Boy» qui semble pourtant tourner le dos à la bamboula, se révèlera être un passionné du luxe, avec un goût immodéré pour le bling-bling, les grosses cylindrées et autres voitures de sports. Il aimait à s’afficher avec ses deux motos de grande marque : Une «Brawler Gt» et une «Ducati», d’une valeur environ estimée à 60 000 dollars (environ 30 millions FCfa), d’après ses proches. Il va même se coller le sobriquet de «l’homme à la gâchette facile». Seulement, courant novembre 2015, Ousmane Tounkara va s’embourber dans un nébuleux réseau de trafic de véhicules de luxe, volés aux États-Unis et exportés au Sénégal et en Afrique de l’ouest. Le 4 septembre 2015, Ousmane Tounkara et six de ses présumés acolytes sont arrêtés par la police américaine, pour vol et exportation de véhicules de luxe, exportés à bord de conteneurs en Afrique de l’ouest. Les arrestations font suite à une enquête de 19 mois menée conjointement par les policiers de la sécurité intérieure (Hsi), de l’Immigration and Customs Enforcement (Ice), du Bureau de contrôle du crime organisé (Occb) du département de police de New York et la Division de la criminalité automobile, la «Us Customs and border protection (Cbp)… Au cours de l’enquête, les éléments du Border enforcement task force (Best) de Hsi ont saisi 249 voitures de luxe volées, pour une valeur estimée à plus de 16 millions de dollars (800 millions FCfa). Les mis en cause avaient été perdus par une plainte du tribunal fédéral, pour complot en vue d’exporter et de transporter des voitures volées.
Terrorisme et menaces de mort, la goutte d’eau de trop
Lorsque la justice américaine le place dans les liens de la détention, avant de le faire coffrer à la prison de Hudson County correctional facility, le 15 mars dernier, Ousmane Tounkara était loin de s’attendre à un tel sort. Il s’était rendu ce jour dans les locaux de l’US Immigration and customs enforcement (Ice, services de l’immigration), pour sacrifier aux rigueurs procédurales de checking, imposées aux émigrés en situation irrégulière. Il n’est plus ressorti libre de ces locaux. Le FBI qui avait hérité d’une saisine du Sénégal relative aux sorties incendiaires de Tounkara, avait, à travers de vidéos, dévoilé dans un langage à peine crypté, un coup de force et un appel à l’assassinat du chef de l’Etat et des dignitaires du régime. Le FBI déroule la machine judiciaire, avant de confier Tounkara aux mains de la célèbre police «Ice» (service chargé de l’immigration). Le dossier mis en branle est annoncé ce matin, sur la table du juge de l’émigration à qui fera face l’activiste, insulteur public, Ousmane Tounkara, qui, selon des sources concordantes, n’est pas à l’abri d’une déportation vers le Sénégal, comme il l’avait d’ailleurs été, dans le passé, en Guinée Conakry, sur la base des documents «country of birth (pays d’origine) qu’il avait produits.
Panafricain modéré devenu activiste et «insulteur»
Sa situation actuelle et son statut d’insulteur contrastent avec son passé. Le terme social-démocrate pour désigner l’autre tendance socialiste avec des courants aussi bien réformistes que révolutionnaires, semblent bien convenir à Ousmane et il l’avait clairement dit dans les années 90. «Mon action s’inscrit dans le cadre d’une politique basée sur la recherche de solutions efficaces aux difficultés des populations», explique-t-il dans son livre. Il prônait aussi une démocratie apaisée et exhortait ses compatriotes à combattre ce qu’il appelle «l’attitude mentale négative», qui consiste à passer tout son temps à critiquer sans jamais rien proposer de concret. Aussi condamnait-il la montée de la violence verbale dans l’arène politique et le langage parfois ordurier de certains acteurs politiques, en référence aux attaques dirigées contre les pouvoirs en place et inversement. Un autre Ousmane Tounkara est né.