Après Karim Wade et l’ex-maire de Dakar Khalifa Sall, Ousmane Sonko est présenté comme la prochaine cible du pouvoir politique bien décidé à réduire l’opposition à néant. Sauf que cette affaire-ci semble bien moins évidente à réaliser. D’abord judiciaire, elle a rapidement pris une tournure politique. Un terrain moins périlleux pour Ousmane Sonko et bien connu de Macky Sall qui y fait la loi, depuis son avènement au pouvoir.
La politique est un jeu de stratégies. Celui qui détient le pouvoir fera tout pour le garder. Si les discours démocratiques des hommes politiques occultent souvent cette réalité devant les masses, elle n’en demeure pas moins une constante. La seule question à se poser, c’est jusqu’où est prêt à aller celui qui incarne cette position. « Après Karim Wade et Khalifa Sall, je suis le prochain sur la liste de Macky Sall, dans son projet de musèlement total de l’opposition », s’est écrié très vite Ousmane Sonko.
Le leader de Pastef Les Patriotes, accusé de viols répétés et de menaces de mort par une masseuse d’un institut de beauté qu’il fréquentait, a très vite dénoncé une main politique derrière une histoire de mœurs dont les conséquences juridiques, s’il est condamné, seront désastreuses pour ses ambitions politiques. Surtout, avec les précédents qu’il a cités : le premier, rayé des listes électorales et exilé avant l’élection présidentielle que l’autre a observé, depuis la prison. Cette logique, le principal opposant du Sénégal l’a partagée avec beaucoup de citoyens, en particulier ceux qui se sont érigés en bouclier humain, lundi, devant le domicile de leur leader politique.
La procédure à l’encontre d’Ousmane Sonko restait toutefois dans le cadre juridique, jusqu’à ce que la cabale politique qu’il a pointée du doigt prenne du poids, avec l’enclenchement de la procédure de la levée de son immunité parlementaire, à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle donne vient confirmer la stratégie de l’opposant qui avance, désormais, à découvert, contrairement à ses adversaires politiques.
C’est bien un clash politique quelque peu inédit qui s’amorce avec cette affaire. Car, le mis en cause l’a déjà annoncé : « Cette fois-ci, la liquidation politique ne se fera pas aussi aisément que lors des précédents. Nous lutterons jusqu’au dernier souffle, si nécessaire. Ce régime ne connaît que la confrontation ». Et ce dernier dispose d’un atout non négligeable par rapport aux précédentes « proies » du pouvoir : une jeunesse convaincue par son projet et déterminée à le suivre dans toutes les batailles. Sans oublier sa posture ‘’d’opprimé’’ qui, au Sénégal, bénéficie toujours de la sympathie des épris de justice.
La jeunesse, des partisans convaincus et déterminés : les atouts majeurs de Sonko
A Dakar, cette jeunesse a démontré lundi son attachement à Ousmane Sonko. Hier, c’était autour de la Casamance, seule base politique que l’opposant a gagnée, lors de la présidentielle de 2019, de se faire entendre à travers une série de manifestations à Bignona. Les heurts entre la police et les manifestants ont conduit à la quasi mise sous résidence surveillée de la maison de l’opposant à la cité Keur Gorgui. En effet, un important dispositif sécuritaire a été déployé dans les accès menant au domicile, les entrées étant filtrées. Un fait que la démocratie sénégalaise pensait dépasser, depuis belles lurettes. Jusqu’où ira cette tension, lorsque son immunité parlementaire sera levée et que la décision de son arrestation sera actée ?
En criant à la machination politique, le leader de Pastef a réussi à amener cette affaire dans un domaine où il pourra exercer un rapport de forces. D’ores et déjà, il bénéficie du soutien de plusieurs personnalités de l’opposition. Pratiquement, tout l’appareil politique, hors coalition au pouvoir, dénonce une cabale destinée à museler un énième opposant. En attendant une réaction officielle du parti démocratique sénégalais (PDS), les socialistes Khalifa Sall et Barthélémy Diaz se sont déjà rendus chez Ousmane Sonko. Il en est de même pour la coalition des Forces démocratiques du Sénégal (FDS).
D’autres l’ont soutenu indirectement, en s’exprimant en faveur de la préservation de la démocratie. A l’image de l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye pour qui a déclaré : « La politique me fait découvrir d’autres facettes de la bêtise humaine. Comment peut-on prétendre représenter 80 % des électeurs et s’acharner au marteau sur les 20 % restants ? Il est vrai que la méchanceté n’a jamais été intelligence. Elle finit par se détruire ».
Cette mobilisation concerne également une bonne partie de la société civile et des activistes. A l’image du FRAPP de Guy Marius Sagna, une délégation de Y en a marre a rendu visite, hier, à l’opposant mis en cause. Une rencontre au sortir de laquelle, l’organisation a marqué « sa détermination à se mobiliser ainsi que l’ensemble des forces citoyennes et politiques, pour empêcher cette troisième tentative de Macky Sall de saborder nos institutions judiciaires pour liquider ses adversaires politiques ».
Cette réponse politique combinée à la pression de ses partisans dans la rue suffiront-ils à ouvrir une autre issue que celle qu’ont connue le fils d’Abdoulaye Wade et l’ancien maire de Dakar ? Ils ont déjà le mérite de ne pas limiter la riposte du leader de Pastef à un terrain judiciaire qui a perdu Karim Wade et Khalifa Sall.
Macky Sall, le rouleau-compresseur
Toutefois, Ousmane Sonko devra composer avec un pouvoir habitué à avoir ce qu’il veut, détentrice de moyens « légaux » d’utilisation de la violence et auquel on prête assez souvent une capacité d’instrumentalisation de l’appareil judiciaire. Ce, par tous les moyens qu’il juge adéquats et défendables.
Sur son dessein annoncé de réduire l’opposition à « sa plus simple expression », Macky Sall n’a jamais reculé devant rien. Une attitude qui semble innée en lui, puisque bien différente de celle de son mentor politique, Abdoulaye Wade. D’ailleurs, entre l’ex président de la République et son successeur, Thierno Alassane Sall donne une des principales différences : « Wade, quoiqu’à la dictature, enclin, a toujours eu cette retenue de dernière minute qui suspend le geste fatal. Comme je l’ai dit dans le Protocole de l’Elysée, Macky Sall, qui s’est tiré des griffes de Wade sans une seule égratignure, ne lâche sa proie qu’une fois refroidie ».
L’ancien ministre de l’Energie ira plus loin dans son message posté hier sur les réseaux sociaux. Selon lui, « Macky Sall a plongé le Sénégal dans une longue nuit noire où tous les guet-apens, toutes les machinations, tous les coups tordus sont permis. (…) Mais un jour, le vent qu’il sème dans les demeures des citoyens jusqu’aux tréfonds de leurs cœurs soulèvera l’ultime tempête pour lui ». Sombre présage qui ne semble toutefois pas effrayer les tenants du pouvoir.
Un fait nouveau par rapport aux processus de neutralisation de Karim Wade et Khalifa Fall, l’agent judiciaire de l’Etat de l’époque a pris du galon. Devenu ministre de l’Intérieur, son département a été cité par l’opposant, comme instigateur de l’ombre des accusations qui le vise. Il faut dire que Pastef est le seul parti politique qu’il a quasiment menacé de dissoudre en début d’année. Le 2 janvier Antoine Félix Diome faisait savoir, par voie de communiqué, que la formation s’exposait « à la dissolution », comme « tout parti politique qui reçoit des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal ». Ceci, après le lancement d’une campagne de levée de fonds internationale par Pastef qui avait permis de récolter plus de 125 millions de F CFA et 80 millions de promesses de dons.
Autant dire que le Président de la République et ses partisans seront sans concession, dans cette affaire. Comme cela a été dans les procédures ayant visé Khalifa Sall et Karim Wade, la machine politico-judiciaire s’avance inexorablement vers la perte du leader de Pastef. Toutefois, il faudra aussi que l’accusation soit solide et puisse être recevable devant la Cour, car, la justice sénégalaise, jusqu’à preuve du contraire, reste debout. Et ne condamnera pas sans preuve.
Sonko, première victime de la nouvelle loi sur l’état de catastrophe sanitaire ?
Après cette « tentative d’intimidation » dénoncée par Ousmane Sonko, le voilà désormais devant des accusations beaucoup plus graves, relevant du domaine criminel. Le meilleur moyen de le voir se retrouver en prison, à trois ans de la date de la prochaine présidentielle, est de le déchoir de ses droits civiques.
Si d’aucuns se méfiaient de la nouvelle loi sur les catastrophes naturelles et sanitaires, cette affaire Ousmane Sonko pourrait bien leur donner raison. Face à la contestation des partisans de l’opposant, le couvre-feu mis en place, dans le cadre de cette législation, avantage les forces de sécurité, si l’ordre de son arrestation est donné.
En tout cas, devant ses ambitions politiques, Macky Sall n’a jamais montré des signes de faiblesse. Que ce soit à l’encontre des opposants, dans le recrutement d’adversaires ou dans la séparation avec des compagnons trop ambitieux. La suite promet d’être électrique.