La capitale sénégalaise, Dakar, anéantit les espoirs autant qu’elle en nourrit. Plusieurs individus y accomplissent leur destin en vivant de leur labeur, d’autres en mendiant. Parmi ces derniers, des femmes, pour la plupart mariées, accablées par le sort. Elles livrent un peu d’elles-mêmes par la confidence.
Mère de deux petites filles, Aby doit assurer leur survie, payer le loyer, l’eau et l’électricité. Son mari, ayant obtenu le visa pour l’Europe depuis 2018, elle s’est retrouvée seule pour affronter les dures réalités de la vie. Ne pouvant plus vivre avec sa belle-famille à cause de « l’hostilité » de cette dernière à son égard, elle a préféré chercher une chambre en location. Depuis le départ de son époux, elle a établi domicile dans trois lieux différents. « Au début, quand il est arrivé en France, le père de mes filles envoyait de l’argent mais, quelques temps après, les choses se sont compliquées car il ne dispose pas de papier de séjour », confie-t-elle, avec un soupir de résignation.
Ainsi, elle s’est retrouvée à se prendre en charge et à s’occuper de sa progéniture. Ne voulant pas tomber dans la débauche, Aby se retrouve parfois à demander de l’aide aux passants, dans les rues de Dakar, bien malgré elle. « Je suis anéantie, affligée de devoir faire ça ». Elles sont nombreuses ces femmes qui subissent ce sort. On les voit quelquefois même, arborant un air radieux et épanoui, solliciter la bienveillance des âmes charitables au grand étonnement de celles-ci. D’autres, par leur port et leur silhouette, donnent à voir plus d’indices sur leur dénuement.
Devant la Brioche dorée située au quartier Ouest Foire, à côté d’un poteau électrique, d’une moto en panne et d’un tas d’immondices, deux femmes assises papotent. Il est un peu plus de 15 heures. Et le temps n’est pas des plus cléments. Les deux dames guettent un bon samaritain.
Ces deux mères de famille, quadragénaires, habitent à Guédiawaye, en banlieue dakaroise. Elles ne se connaissaient pas avant. C’est l’infortune qui les a réunies ici depuis quelques temps, chacune se plaisant à raconter ses misères. Les deux femmes éprouvent le même désir : ramener quelque chose à la maison pour les enfants. Peut-être bien pour le père aussi ! « Il faut bien qu’ils mangent », lance Coumba Sow, pouponnant son petit garçon, précocement en proie aux affres de la misère. Et pour cela, elle n’a eu « d’autre choix que de tendre la main ».
Domestique le matin, mendiante l’après-midi
Enturbannée pour fuir le regard des passants qui pourraient la reconnaître, elle semble être livrée aux incommodités de la mendicité. « Si tu étais venu chez moi, tu allais comprendre ma situation », dit-elle, affligée. L’angoisse s’est emparée d’elle depuis que son époux, un maçon travaillant à Touba, est cloué au lit après un accident de travail. « Ne pouvant plus travailler à cause d’un mal de dos, j’ai été obligée de me débrouiller pour entretenir la famille. Je n’ai jamais imaginé que je tendrai la main pour subvenir aux besoins de ma famille », soutient-elle, étonnée de voir tant d’indigence dans les rues de Dakar. « Les gens, poursuit Coumba, sont fatigués. Il y en a qui portent de beaux habits et investissent la rue pour mendier afin d’avoir de quoi subvenir aux besoins de leur famille ».
Ainsi, après son travail de ménage consistant à nettoyer la maison et l’atelier de sa patronne, Coumba Sow rejoint sa « consœur » d’infortune devant la Brioche dorée d’Ouest Foire pour espérer augmenter son gain ; la rémunération de son travail matinal ne suffisant pas à couvrir les charges. « Nous habitons tous dans une même chambre, mon époux, nos enfants et moi. Il faut payer le loyer. Ma fille aînée a divorcé et nous a rejoints. Mes deux autres enfants vont encore à l’école. D’ailleurs, ma fille doit acheter ses fournitures scolaires », confie la dame qui, pour garder la foi, invoque la fatalité.
L’époux cloué au lit
Binta, sa « consœur de galère », n’est guère mieux lotie, même si elle est mieux habillée et en meilleure forme que Coumba. Comme cette dernière, elle vient, en toute discrétion, à Ouest Foire pour s’attirer la générosité des âmes bienveillantes. « Nous ne voulons pas faire des choses à l’encontre de nos valeurs culturelles, ni tendre la main. On vient, on s’assoit ici, en espérant que des âmes généreuses nous viennent en aide même si les temps sont durs. Il peut arriver, cependant, que nous rentrions bredouilles », indique-t-elle, au moment où une jeune femme de nationalité ivoirienne leur fait présent de quelque chose et prend des nouvelles des enfants tout en promettant de leur apporter des bonbons la prochaine fois. « Ils sont partis à l’école », répond Coumba.
Sur un ton taquin, elle lance : « Je me débrouille bien en français, j’ai été à l’école jusqu’en classe de Cm2. C’est pour cela que je tiens à la scolarisation de mes enfants » ; quitte à affronter le péril et les misères de la bouillante capitale sénégalaise.