Avec ses 11 pays, dont huit ont des réserves prouvées de pétrole et cinq sont de gros producteurs du combustible, le golfe de Guinée est devenu en 2020, la zone maritime la plus dangereuse du monde. Les attaques de navires pétroliers y ont grimpé de façon exponentielle au cours des derniers mois et les pays de la région peinent à juguler le mal. Explication.
Qui sont les pirates ?
Contrairement aux pirates du golfe d’Aden qui sont principalement des pêcheurs, les pirates du golfe de Guinée sont des professionnels qui maitrisent le maniement des armes et sont dans une logique jusqu’au-boutiste, affirme Bertrand Monnet, professeur de management des risques criminels à l’EDHEC, en France. L’enseignant qui étudie la piraterie maritime dans les golfes d’Aden et de Guinée depuis une dizaine d’années a, à plusieurs reprises déjà, rencontré des groupes de pirates dans le Delta du Niger.
Cette piraterie maritime est née dans le Delta du Niger.
D’après lui, la piraterie, telle qu’elle est organisée aujourd’hui, est une industrie. Les pirates tirent essentiellement leurs revenus de la vente d’armes, de la contrebande de pétrole et des rançons.
« Contrairement aux pirates du golfe d’Aden qui sont principalement des pêcheurs, les pirates du golfe de Guinée sont des professionnels qui maitrisent le maniement des armes et sont dans une logique jusqu’au-boutiste.»
Aujourd’hui, on compte dans la zone une dizaine de groupes armés qui opèrent au large avec du matériel militaire sophistiqué. Ils possèdent aussi une bonne connaissance du delta où ils font du brigandage, essentiellement tourné vers les actifs pétroliers, notamment les sabotages des pipelines, mais leur activité principale se déroule dans les eaux internationales.
On compte dans la zone une dizaine de groupes armés qui opèrent au large avec du matériel militaire sophistiqué.
La piraterie maritime est née avec les premiers mouvements d’insurrection armée contre le gouvernement fédéral du Nigeria et les compagnies pétrolières dans le Delta du Niger, à l’instar du mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND). En attaquant les plateformes pétrolières en mer, les militants veulent toucher l’industrie pétrolière en amont et lui être plus nuisibles afin de la forcer à céder à leurs revendications.
En 2011, John Togo, chef défunt du Front de libération du Delta du Niger (NDLF), un groupe qui opérait aussi dans la piraterie maritime, a déclaré que les pirates s’attaquent à l’industrie pétrolière, car « elle est responsable du chaos dans le Delta et au Nigeria ». Et de poursuivre : « ils ne nous donnent pas ce qui nous appartient. Nous ne profitons en rien de la manne pétrolière. Avec ses rejets, l’industrie pollue les cours d’eau du Delta et attaque les moyens de subsistance de millions de pêcheurs. Nous voulons que le gouvernement prenne des mesures pour lutter contre cela. Ensuite, nous voulons que des mesures soient prises rapidement pour développer les infrastructures communautaires locales. Tant que ces conditions ne seront pas remplies, nous allons continuer à les attaquer », avait-il ajouté.
« Avec ses rejets, l’industrie pollue les cours d’eau du Delta et attaque les moyens de subsistance de millions de pêcheurs. Nous voulons que le gouvernement prenne des mesures pour lutter contre cela.»
D’après un ex-chef du MEND amnistié par le gouvernement, les compagnies pétrolières et les autorités locales font obstacle aux droits des communautés à revendiquer. « Il faut faire peur aux compagnies et au gouvernement afin de les forcer à changer d’attitude », estime-t-il.
Si ce ne sont pas vraiment des Robin des bois, ils sont soutenus par les communautés du Delta, qui approuvent leur lutte pour une meilleure redistribution de la manne pétrolière. Selon un chef local, la piraterie maritime s’impose de plus en plus comme une obligation, car les seules activités pour les jeunes de la région sont la pêche et l’agriculture qui, elles, sont entravées désormais par les rejets pétroliers.
Modus operandi
Les pirates du Delta du Niger visent essentiellement les tankers de taille moyenne qui viennent s’approvisionner au large du Nigeria. Si le détournement des tankers est l’un des modes opératoires les plus connus, le kidnapping des membres d’équipage reste le plus important et le plus lucratif. A ce niveau, les pirates ont un intérêt particulier pour les Français et les Américains pour lesquels la rançon peut grimper jusqu’à 220 000 euros. Un montant défini en fonction de ce que les assureurs des armateurs versent lorsque des employés ont été kidnappés.
Les pirates ont un intérêt particulier pour les Français et les Américains pour lesquels la rançon peut grimper jusqu’à 220 000 euros.
Les enlèvements ont augmenté de 40% dans le golfe de Guinée au cours des neuf premiers mois de l’année 2020, par rapport à l’année dernière. Il y a eu 132 attaques de janvier à septembre, contre 119 incidents à la même période, l’année dernière, et la zone représente désormais 95% des enlèvements maritimes mondiaux, selon le Bureau maritime international (BMI). De plus, les pirates attaquent désormais plus loin en mer.
Il faut souligner que la majorité des incidents se sont produits dans les eaux territoriales nigérianes, en particulier autour du Delta du Niger, dans les eaux équato-guinéennes, mais aussi, au large du Bénin et du Togo. Pour Verisk Maplecroft, la croissance des attaques devrait se poursuivre et se renforcer l’année prochaine.
« La seule mise en place d’une force internationale ne sera pas suffisante pour enrayer le phénomène.»
Selon le capitaine de vaisseau Eric Lavault, porte-parole de la marine française, l’augmentation des attaques dans la région se justifie par la baisse des prix du pétrole qui fait que les actions de bunkering, de trafic de pétrole ne sont plus rentables. Il ajoute également qu’on constate actuellement une « dilution de la menace du brigandage et de piraterie » entre le Ghana et le Gabon parce que la marine nigériane qui est formée par la marine française contrôle de mieux en mieux la situation. Ceci, bien que des analystes comme Alexandre Raymakers (Verisk Maplecroft) regrettent le manque d’équipements et de personnel adéquats au sein des forces de sécurité de la région pour faire efficacement face au problème.
Selon le capitaine de vaisseau Eric Lavault, porte-parole de la marine française, l’augmentation des attaques dans la région se justifie par la baisse des prix du pétrole qui fait que les actions de bunkering, de trafic de pétrole ne sont plus rentables.
Comme Bertrand Monnet, plusieurs observateurs au Nigeria pensent que l’augmentation de la capacité opérationnelle des pirates émane de la complicité de certaines autorités militaires et sécuritaires du Nigeria. On pense que les patrons des groupes de pirates sont des officiels qui leur assurent l’acquisition d’armes aussi sophistiquées et de matériels de navigation de dernière génération. Mais cela reste encore à prouver.
Solution régionale
Soutenue par les Nations unies, une initiative régionale a été lancée lors du sommet de Yaoundé sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée en juin 2013. Elle a rassemblé les pays de la région, ainsi que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et la Commission du golfe de Guinée (CGG).
Le sommet a établi une répartition claire des tâches entre les organisations régionales responsables de la stratégie et les Etats responsables des opérations. Plusieurs conférences et réunions de suivi ont eu lieu depuis lors et les décisions du sommet de Yaoundé sont en cours de mise en œuvre. Une force internationale a été formée et est déployée dans le golfe pour essayer d’enrayer le phénomène. Elle est formée par la marine française.
Une force internationale a été formée et est déployée dans le golfe pour essayer d’enrayer le phénomène. Elle est formée par la marine française.
« La seule mise en place d’une force internationale ne sera pas suffisante pour enrayer le phénomène [..] L’éthique au sein des forces armées participera également à lutter efficacement contre la piraterie maritime », estime Monnet au micro de TV5 Monde.
D’après l’ONG Crisis Group, les acteurs extérieurs qui financent cette riposte, comme la France, doivent faire preuve de prudence. Le soutien occidental peut compliquer la mise en œuvre de la stratégie régionale, s’il n’est pas bien coordonné. Il pourrait se limiter à une politique de soutien à un seul pays et à des partenariats bilatéraux (Etats-Unis-Nigeria, France-Cameroun, Royaume-Uni-Ghana, Portugal-Sao Tomé-et-Principe) et augmenterait la concurrence entre les pays de la région pour les ressources de sécurité des partenaires étrangers.
Olivier de Souza