Malgré des avancées, la tuberculose reste un fléau silencieux au Sénégal. Selon le Dr Fodé DANFAKHA, nouveau coordonnateur du Programme national de lutte contre la tuberculose (PNLT), la situation demeure critique : près d’un tiers des cas échappent encore au système de santé. Ce constat, dressé dans un entretien exclusif accordé à L’Observateur, révèle les failles persistantes dans la détection et la prise en charge de cette maladie infectieuse, pourtant évitable et curable.
Avec une incidence de 110 cas pour 100 000 habitants en 2024, la tuberculose reste l’une des principales causes de morbidité dans le pays. Sur les 17 286 cas notifiés cette année, 80 % sont des formes pulmonaires contagieuses, responsables de la transmission communautaire. Si le taux de guérison atteint un encourageant 89,4 %, frôlant l’objectif de 90 % fixé par la stratégie mondiale END TB à l’horizon 2030, de nombreux défis subsistent.
Stigmatisation, ignorance et financement insuffisant : les freins majeurs
Le Dr DANFAKHA alerte sur trois obstacles majeurs qui entravent une lutte plus efficace : un manque criant de financement, une faible sensibilisation de la population – seuls 52 % des Sénégalais possèdent des connaissances de base sur la tuberculose, selon une récente enquête CAP – et une stigmatisation tenace, qui pousse encore de nombreux malades à dissimuler leur état.
Cette combinaison favorise non seulement les retards de diagnostic, mais aussi la poursuite silencieuse de la transmission au sein des communautés, notamment dans les zones densément peuplées ou mal desservies par les structures de santé.
Une nouvelle stratégie en trois piliers pour inverser la tendance
Face à ce constat, le PNLT adopte une nouvelle feuille de route articulée autour de trois axes majeurs :
- Consolidation des acquis du programme actuel, avec une meilleure coordination entre les acteurs de la santé publique.
- Renforcement de la communication, via une approche multisectorielle, pour sensibiliser largement la population, briser les tabous, et engager les leaders communautaires.
- Innovation dans le dépistage et l’accès au traitement, notamment à travers l’introduction de technologies rapides de diagnostic, le renforcement des capacités du personnel de santé et la mise en place de dispositifs mobiles dans les zones éloignées.
Un effort budgétaire sans précédent d’ici 2026
Pour accompagner cette ambition, le budget alloué à la lutte contre la tuberculose sera multiplié par huit, passant de 200 millions FCFA en 2017 à 1,6 milliard FCFA d’ici 2026. Ce financement renforcé permettra notamment d’améliorer :
la disponibilité des médicaments antituberculeux dans tout le pays,
la formation continue du personnel médical,
et l’organisation de campagnes nationales de sensibilisation, particulièrement ciblées dans les régions les plus touchées : Dakar, Thiès, Diourbel, Kaolack, Ziguinchor et Saint-Louis.
Vers l’élimination ? Un cap possible, mais exigeant
Le Sénégal s’inscrit ainsi résolument dans la dynamique de la stratégie END TB de l’OMS, qui vise à éliminer la tuberculose comme problème de santé publique d’ici 2035. Le chemin reste semé d’embûches, mais les récents engagements financiers et stratégiques marquent un tournant déterminant.
« Nous avons les outils, nous avons les compétences, il nous faut désormais briser le silence autour de la tuberculose pour briser la chaîne de transmission », conclut le Dr DANFAKHA.