Dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, plus de 400 intellectuels, artistes, chercheurs, survivants de génocide et personnalités politiques de plus de 50 pays tirent la sonnette d’alarme sur la situation dramatique à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Ils dénoncent la persécution des Tutsi congolais et mettent en garde contre un risque de génocide similaire à celui qui a frappé les Tutsi au Rwanda en 1994.
La lettre, signée par des figures éminentes telles que l’écrivain Boubacar Boris Diop, lauréat du Prix international de littérature Neustadt 2022, et le professeur Jean-Pierre Karegeye, directeur du Centre pluridisciplinaire sur le génocide, entre autres, souligne que le conflit dans l’est du Congo ne peut être réduit à une simple question de ressources naturelles ou de balkanisation du pays. Les signataires insistent sur le fait que la crise actuelle est le résultat d’un mélange explosif de tensions sociales, économiques et identitaires, exacerbées par l’exclusion systématique des Tutsi congolais.
Ils rappellent que depuis des décennies, les Tutsi congolais, souvent appelés Banyarwanda, sont marginalisés, privés de leurs droits fondamentaux et victimes de violences répétées. Des centaines de milliers d’entre eux ont été contraints de fuir vers des camps de réfugiés au Burundi, en Ouganda, au Kenya et au Rwanda, tandis que d’autres ont trouvé refuge en Occident.
Le M23, une conséquence, pas une cause
Toutefois, les signataires rejettent la narration simpliste selon laquelle le Mouvement du 23 mars (M23) serait uniquement soutenu par le Rwanda pour exploiter les ressources du Kivu. Ils affirment que le M23 est avant tout une conséquence de la privation systématique des droits des Tutsi congolais, et non la cause première du conflit. Ils dénoncent également les atrocités commises par d’autres groupes armés, tels que les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) et les milices Wazalendo, qui se livrent à des viols massifs, des recrutements forcés d’enfants-soldats et des massacres de civils.
La lettre critique également le rôle de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), accusée de s’être éloignée de son objectif initial de maintien de la paix en s’associant à des groupes armés soutenus par le gouvernement congolais. Pis, les signataires estiment que cette collaboration a contribué à accroître la militarisation de la région et à attiser la haine envers les Tutsi.
Les intellectuels et personnalités signataires appellent l’ONU à tirer les leçons du passé et à agir rapidement pour éviter une répétition de la tragédie rwandaise. Ils demandent un cessez-le-feu immédiat, une réévaluation du rôle de la MONUSCO, et une neutralisation des groupes armés génocidaires tels que les FDLR. Ils insistent également sur la nécessité de résoudre la question de la nationalité des Banyarwanda, qui est au cœur du conflit.
Parmi les recommandations proposées, figurent la désignation d’un médiateur crédible pour faciliter le dialogue entre les parties, la mise en place d’une commission internationale pour enquêter sur les contrats miniers et les pratiques d’exploitation des ressources naturelles, ainsi que la promotion d’une éducation favorisant la cohésion sociale et la citoyenneté plutôt que l’appartenance ethnique.
La lettre a été signée par des personnalités de renom telles que Gaël Faye, lauréat du Prix Renaudot 2024, Yolande Mukagasana, survivante du génocide rwandais, et Charles Murigande, ancien ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Des associations de victimes, des universitaires et des représentants religieux du monde entier ont également joint leurs voix à cet appel. Les signataires concluent en rappelant que la crédibilité des Nations Unies et l’honneur de l’humanité sont en jeu. Ils exhortent le Secrétaire général à prendre des mesures concrètes pour protéger les populations civiles et prévenir un nouveau génocide.
Cette lettre, portée par une coalition internationale d’intellectuels et de personnalités, met en lumière une crise humanitaire et identitaire qui menace de dégénérer en une catastrophe encore plus grande. Elle appelle à une action urgente et coordonnée de la communauté internationale pour éviter que l’histoire ne se répète.