Entré en vigueur le 25 janvier 2025, le gel des importations d’oignon a provoqué une flambée des prix. Vendeurs et consommateurs dénoncent une décision précipitée. Entre pénurie, spéculation des grossistes et frustrations des ménagères, cette mesure soulève des questions sur son impact et sa mise en œuvre.
Aux pieds d’immeubles aux façades décrépies et des balcons surchargés de linge qui sèche, s’étend le marché Castors. Un lieu de commerce aussi vivant que désordonné. Les tentes, faites de bâches colorées et de vieux draps, sont dressées tous azimuts. Certaines sont soutenues par des perches en bois, d’autres par des morceaux de métal récupérés, oscillant au gré d’un vent frisquet. Tandis que des cageots en bois, des bâches trouées et des cartons usagés servent de tables de fortune pour les légumes.
Bigarré, ce décor semble former un patchwork de couleurs, contrastant avec la morosité du temps de ce mardi 4 février 2025. Cependant, les vendeurs de légumes qui rivalisent d’ingéniosité pour attirer les clients sont intrigués par la hausse du prix du sac de l’oignon, causée par le gel des importations. Cette mesure est entrée en vigueur depuis le 25 janvier dernier.
Au marché Castors, cette décision est jugée « saugrenue ». Mamadou Diouf, adossé à une pile de sacs d’oignon, tutoie le plafond de sa boutique. Primesautier, le vendeur, quadragénaire semble être pris de court par la hausse « incongrue » du prix de sac de l’oignon.
« Le sac de 23 kilogrammes qui coûtait 9 500 FCfa coûte maintenant 13 000 voire 14 000 Fcfa », lâche, sans sourciller, le vendeur, la voix empreinte d’amertume, en tentant de redresser, sous ses pieds, une balance rustique. Mamadou Diouf attribue cette hausse à l’insuffisance de l’offre locale en l’oignon. À l’en croire, l’État aurait dû attendre que le marché soit suffisamment ravitaillé en oignon local avant de geler les importations. « Je comprends que les autorités aient à l’esprit un brin de solidarité pour nos vaillants producteurs mais cette décision vient tout chambouler. Il fallait attendre 2 ou 3 mois supplémentaires », estime Mamadou Diouf, précisant qu’il vend parfois « à perte ».
« Je vends le kilogramme à 600 FCfa, et il m’arrive assez souvent de faire des faveurs pour certains de mes clients les plus fidèles. La conjoncture nous oblige à être compréhensif », ajoute le vendeur. Outre la non disponibilité de l’oignon local, Mamadou Diouf fustige la perfidie des grossistes qui, selon lui, usent de tout stratagème possible pour augmenter les prix dès que l’occasion se présente.
« Il faudrait une surveillance accrue pour réguler les prix sur le marché », suggère-t-il. Plus loin, une boutique jouxte les allées bondées de ce marché aux allures de coursives. Moustapha Dièye, un autre vendeur d’oignon se tient entre des palettes de bois sur lesquelles sont posées des sacs d’oignon dont les pelures dorées et cuivrées brillent sous la lumière qui filtre à travers l’auvent de cette boutique, ressemblant à un cagibi. L’air est chargé d’une odeur piquante et terreuse, caractéristique des oignons fraîchement récoltés.
La colère des ménagères
Mais force est de constater, renseigne sur un ton taquin Moustapha, que toute sa marchandise provient de l’extérieur. « Pour le moment, je ne dispose pas d’une quantité suffisante d’oignon local. Même si c’était le cas, certaines ménagères préfèrent nettement l’oignon importé. Ces facteurs, combinés au gel des importations, entrainent une augmentation des prix », explique le vendeur, les deux coudes appuyés contre un sac d’oignon. Moustapha Dièye espère que les choses vont bientôt changer.
« Je reste optimiste, les autorités compétentes vont apporter des mesures correctives parce que cette situation ne peut pas perdurer », soutient le vendeur. Panier d’osier en plastique à l’effigie d’une célèbre marque de bouillon, Ndèye Astou épie les étals en chapelet. Bien qu’elle ne soit pas venue chercher de l’oignon en cette fin de soirée, la ménagère se dit indignée par la volatilité des prix sur le marché. Ses pas lents qui semblent être guidés par les marchandages feutrés trahissent son amertume. « C’est de plus en plus compliqué pour nous les ménagères qui subissons toujours la hausse des prix. Il est impossible de suivre ce rythme ou plutôt ce diktat des commerçants », murmure la dame galbée. Alors que le soleil décline sur le marché Castors, laissant place à une lumière orangée qui caresse les étals et les visages fatigués, une question persiste dans l’air : comment concilier les intérêts des producteurs locaux, des vendeurs et des consommateurs dans un contexte où chaque décision semble créer de nouvelles tensions ?
Le gel des importations d’oignon, bien que motivé par une volonté de soutenir l’agriculture locale, a révélé les fragilités d’un système. Reste à savoir si cette mesure, aussi controversée soit-elle, pourra, à long terme, porter ses fruits ou si elle nécessitera des ajustements pour apaiser le mécontentement de la population.
Selon Moussa Ndao, président du collectif des commerçants du Sénégal, la production d’oignon au Sénégal a connu une progression ces dernières années, atteignant un record de 412 000 tonnes en 2024 contre 210 000 tonnes en 2023. Cette augmentation qui représente près du double de la production de l’année précédente témoigne des efforts déployés pour renforcer l’autosuffisance du pays en matière de cultures maraîchères. Cette hausse significative est le fruit de politiques agricoles volontaristes, d’un soutien accru aux producteurs locaux et d’investissements dans des techniques modernes d’irrigation et de production. Dans ce contexte, la décision de geler les importations d’oignon apparaît comme une mesure salutaire pour encourager la consommation de la production locale et stimuler davantage la filière. En limitant la concurrence de l’oignon importé, cette décision va offrir aux producteurs sénégalais un marché plus stable et leur garantir des débouchés. L’objectif est clair : permettre au Sénégal de ne plus dépendre des importations et de répondre à la demande nationale grâce à une production locale abondante et de qualité.