2024 a été une année particulièrement marqué au Sénégal sur le plan politique. Du premier report de l’élection présidentielle décidé par le président Macky à la tenue des premières législatives anticipées de l’histoire du Sénégal, en passant par la position ferme du Conseil constitutionnel sur cette question et les tergiversations de l’Assemblée nationale, le Sénégal a frôlé de justesse le chaos……..Par SUDQUOTIDIEN «
Le report de l’élection présidentielle décidé unilatéralement par l’ancien chef de l’Etat, Macky Sall sur des bases très discutables a été certainement l’un des faits les plus spectaculaires au Sénégal au cours de l’année 2024. Initialement prévue le 26 février, l’élection présidentielle a finalement été reportéé par l’ancien président de la République à la veille de l’ouverture de la campagne électorale. Dans un discours à la Nation tenu au soir du samedi 3 février 2024, à trois heures du démarrage de la campagne électoral prévu le dimanche 4 février à minuit, le président de la République Macky Sall, a annoncé l’abrogation du « décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral » reportant ainsi sine die l’élection présidentielle qui devait avoir lieu le 25 février.
Pour justifier cette décision très controversée et sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal, le Président Macky Sall a évoqué un « différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges ». Sous ce rapport, il a estimé que « ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et postélectoral que notre pays, déjà éprouvé par les violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, ne peut pas se permettre ». Il faut dire que c’était la première fois, depuis 1963, qu’une élection présidentielle est reportée au Sénégal.
LE SENEGAL SOUS LE CHOC D’UNE INCERTITUDE POLITIQUES
Cette décision sans précédent du Président Macky Sall a provoqué une onde de choc politique qui a plongé le Sénégal dans une situation d’incertitudes politiques jusqu’au mois de mars. Un peu partout dans pays, des manifestations organisées ont été violemment réprimées Dans le triangle Dakar, Saint louis et Ziguinchor, les Forces de Défense et de Sécurité déployés sur le terrain ont fait usage des gaz lacrymogènes et parfois des balles réelles pour disperser des rassemblements de l’opposition. A la date du 10 février, le bilan des manifestations fait état de 4 morts, d’une soixantaine de blessés et près de 300 interpellations. Des des cas de tortures ont été signalés. Des dégâts matériels importants ont été dénombrés lors des manifestations.
L’ASSEMBLÉE NATIONALE SE RANGE DERRIÈRE LE PRÉSIDENT SALL ET VALIDE LE REPORT
L’Assemblée nationale s’est particulièrement illustrée dans les événements politiques qui ont marqué le Sénégal durant cette année 2024. N’étant majoritaire que d’une voix, l’ancienne coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar avec 83 sièges sur les 165, la quatorzième législature a voté des textes législatifs très controversés parmi lesquels, figure en premier plan, la proposition de loi constitutionnelle n°04/2024 portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution de la République du Sénégal que dit cet article. Convoqués en procédure d’urgence, deux jours après le discours à la Nation du président Macky Sall, les députés ont adopté dans la nuit du lundi 5 à mardi 6 février par 105 voix pour et une voix contre cette proposition de loi qui valide le premier report de l’élection présidentielle dans l’histoire du Sénégal. Proposé par le député Mamadou Lamine Thiam du Parti démocratique Sénégalais (Pds), ce texte repousse la date de l’élection présidentielle, initialement fixée au 25 février jusqu’au 15 décembre 2024.
LES DÉPUTÉS DE L’OPPOSITION EXPULSÉS DE LA SALLE DE L’HÉMICYCLE PAR LA GIGN
Opposés à l’adoption de ce projet de loi qui devait rallonger de de huit mois la durée du mandat du président de la République sortant Macky Sall, les députés du principal groupe parlementaire de l’opposition « Yewwi Askan Wi » renforcés par leurs collègues non-inscrits avaient multiplié des appels au règlement pour gagner du temps.
A l’extérieur de l’Assemblée nationale, un lourd dispositif avait été déployé par la Police et la Gendarmerie nationale tout autour du siège du siège de l’institution parlementaire. A Dakar et dans certaines régions, des militants de l’opposition et tout comme de simples citoyens qui tentaient de se rassembler à des points stratégiques sont dispersés par des éléments de la Gendarmerie et de la Police à coups de gaz lacrymogènes. A l’intérieur de la salle de l’hémicycle, le président de l’Assemblée nationale de l’époque, Amadou Mame Diop avait fini, après une longue journée de tentative de blocage du vote de ce texte controversé par les députés de l’opposition, par requérir les éléments du Groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale (Gign) pour les expulser de la salle. Se retrouvant désormais seuls avec leurs alliés du deuxième groupe parlementaire de l’opposition, Wallu (formé par le Parti démocratique et ses alliés), les députés de la majorité présidentielle, Benno Bokk Yakaar ont adopté dans la nuit, la proposition de loi repoussant la date de l’élection présidentielle, initialement fixée le 25 février, au 15 décembre 2024 Outre le vote de la loi sur le report de la présidentielle, l’Assemblée nationale sous la houlette de l’ancienne majorité s’est également illustrée durant l’année 2024 par l’adoption de la Loi sur l’amnistie, l’annulation pour une première fois de son histoire du débat d’orientation budgétaire. Mais également par le rejet de la proposition de loi portant suppression du Haut Conseil des Collectivités Territoriales et celle du Conseil Economique Social et Environnemental présenté par le nouveau régime conformément aux promesses de campagne du Président Bassirou Diomaye Faye . Il a fallu attendre le changement de majorité en faveur du nouveau régime à l’issue des législatives anticipées du 17 novembre dernier pour que l’Assemblée nationale valide la suppression de ces deux institutions.
PREMIÈRES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES ANTICIPÉES DE L’HISTOIRE DU SÉNÉGAL
La tenue des élections législatives anticipées du 17 novembre dernier passé fait également partie des faits qui ont marqué l’actualité politique au cours de l’année 2024. Convoquées à la suite de la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale dans un contexte de bras de fer entre son Premier ministre et la majorité parlementaire dominée par l’ancienne coalition au pouvoir sur fond de menace de motion de censure, ces législatives anticipés se sont soldées par une victoire écrasante du Pastef, qui a décidé d’aller à ces législatures. L’opposition qui n’a pas pu sceller son unité lors de ce scrutin s’est retrouvée avec 35 sièges sur 165. Le Pastef lui est crédité de 130 sièges. Avec 15 sièges, la coalition Takku-Wallu Sénégal composée des deux anciens partis au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr) et le Parti démocratique sénégalais (Pds) et qui avait comme tête de liste l’ancien chef d’Etat, Macky Sall a pu former son groupe parlementaire grâce au ralliement du maire de la commune de Mbao, Abdou Karim Sall élu sous les couleurs de sa propre coalition. Pour les 18 députés restants issus des autres listes ou de coalitions de l’opposition, la décision de certaines personnalités de garder leur indépendance à l’image de la candidate malheureuse à la présidentielle, Anta Babacar Ngom ou encore Tahirou Sarr, leader des Nationalistes a compromis la constitution d’un deuxième groupe parlementaire de l’opposition comme ce fut le cas lors de la 14e législature.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL RÉGULE L’ORGANISATION DES LÉGISLATIVES ANTICIPÉES
Depuis 1959, c’est la première fois que le Sénégal organise ce genre de consultation populaire. Bien que prévue dans l’ordonnancement législatif nationale notamment dans la Constitution et dans le Code électoral, les législatives anticipées n’ont, en effet, jamais été expérimentées dans les faits. D’ailleurs, le processus électoral de ces législatives anticipées du 17 novembre dernier a fait apparaitre des divergences notoires notamment entre les dispositions de la Constitution et celle du Code électoral. Ainsi, pour résoudre ces divergences, le Conseil Constitutionnel, saisi par le président de la République pour un avis sur la date légale de la dissolution de l’Assemblée nationale et celle de la tenue des élections législatives anticipées, a décidé de fixer de nouveaux critères relatifs à l’organisation de ce scrutin.
En effet, dans sa décision n° 2/C/2024 rendue le 12 juillet dernier en réponse à la lettre confidentielle n° 000349/PR/CAB du Président de la République le 5 juillet 2024, la haute juridiction tout en décidant qu’« il n’y aura pas de parrainage pour ces législatives anticipées» a également validé la reconduction du montant de la caution des législatives du 31 juillet 2022.
Pour motiver leur décision, Mamadou Badio CAMARA, président du Conseil et ses collègues ont rappelé que l’article 87 alinéa 3 de la Constitution dispose que « Le décret de dissolution de l’Assemblée nationale fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Mieux, ils ont précisé que le « scrutin a lieu soixante (60) jours au moins et quatre-vingt-dix jours (90) au plus après la date de publication du décret ». Poursuivant leur argumentaire, les sept « Sages » ont fait remarquer que « d’autres délais prévus par le Code électoral sont incompatibles avec le délai maximum de 90 jours prévu par l’article 87 de la Constitution pour l’organisation du scrutin » en citant par exemple l’article L.176 du Code électoral qui dit « qu’au plus tard 88 jours avant celui du scrutin, le Ministre chargé des élections institue par arrêté une commission de réception. Laquelle, commission est chargée 85 jours au plus et 60 jours au moins avant celui du scrutin de la réception matérielle de l’intégralité des listes de parrainage et des dossiers de candidature (…). Partant de ce fait, ils ont ainsi estimé que « l’articulation de ces délais avec celui prévu à l’article 87 de la Constitution ne laisse qu’une marge de temps de 5 à 30 jours, insuffisante pour la collecte et la mise en place du dispositif juridique et technique de vérification des parrainages ». Et en conclusion, ils ont décidé « qu’en vertu du principe de la hiérarchie des normes qui consacre la suprématie des dispositions constitutionnelles sur celles du Code électoral, il y a lieu de dire que les dispositions relatives au parrainage ne peuvent être appliquées aux élections législatives anticipées ».
LA SOCIÉTÉ CIVILE SÉNÉGALAISE À LA POINTE DE LA RÉSISTANCE
Regroupées au sein d’une structure dénommée « Comité ad hoc de facilitation », les organisations de la société civile et des personnalités indépendantes se sont également distinguées durant cette année 2024 dans la bataille pour le respect du calendrier électoral républicain. Très tôt, les responsables de ce Comité ad hoc de facilitation se sont démarqués de la décision du chef de l’Etat, d’annuler l’élection présidentielle du 25 février par l’abrogation du décret portant convocation du corps électoral. Dans un communiqué rendu public, cette structure, composée du Pr Babacar GUEYE (COSCE), Alioune Tine (AfrikaJom Center), Ababacar FALL (GRADEC), Ibrahima BAKHOUM (Journaliste) entre autres, est monté au créneau pour dénoncer « une rupture institutionnelle grave que le Sénégal n’a jamais connu depuis son indépendance ». Parmi les structures de la société engagées dans la résistance contre le report de la présidentielle, il y a la plateforme « Aar Sunu Election » (Protégeons notre élection). Composée d’une quarantaine de groupements citoyens, religieux et d’organisations professionnelles, dont des syndicats de l’éducation, cette autre plateforme s’est distinguée par des appels à la mobilisation dans le pays et dans la diaspora. D’ailleurs, cet engagement de la société civile peut justifier la nomination parmi les trois finalistes pour le Prix Nobel de la paix 2025 du COSCE.
LE MONDE UNIVERSITAIRE EN PREMIER PLAN
Le monde universitaire n’était pas resté inerte dans cet élan de mobilisation quasi généralisé pour le respect du calendrier républicain. Face à la fermeture de certaines universités dont celle de Dakar plusieurs mois avant le report de la présidentielle, les enseignants ont pris le relais de leurs étudiants durant cette période, en s’illustrant par des publications de tribunes signées par d’éminents professeurs dont des spécialistes du Droit constitutionnel pour éclairer l’opinion nationale et internationale sur les conséquences de cette décision du chef de l’Etat. Une structure dénommée « Collectif des universitaires pour la démocratie » (CUD) a été même portée sur un fond baptismal. Composée de plus de 200 membres, ils appellent au respect du calendrier républicain et le départ du président Macky Sall de la tête du pays, dès le 3 avril, comme le prévoit la Constitution. Parallèlement à ce collectif, des tribunes et des pétitions sont régulièrement publiées par des universitaires contre le report de la présidentielle dans la presse. Le 03 février, quelques heures avant l’adresse du président de la République à la nation, 52 personnalités parmi lesquels des universitaires et des membres de la société civile ont publié une tribune dans laquelle, ils rejettent « toute tentative de report de l’élection ». Selon eux, « Au nom de l’idéal républicain et démocratique, le Sénégal doit aller à l’élection ». Le 6 février, c’est 116 Universitaires qui prennent le de prendre le relais en publiant une tribune dans laquelle, ils appellent à restaurer la République.
L’ancien Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), le Professeur Kader Boye qui s’était mis en retrait au profit de la jeune génération de chercheurs, s’est vu dans l’obligation de sortir de sa retraite et de sa réserve pour se prêter aux jeux de questions-réponse de certains médias. C’est ainsi que dans un entretien dans Sud Quotidien en date du 22 février, il prévient : « le Sénégal risque de faire un saut vers l’inconnu si l’élection présidentielle n’est pas tenue avant l’expiration du mandat du président de la République, le 2 avril ». Dans cet exercice de sensibilisation et de conciliation de l’opinion publique, se sont également s’est également distingués d’autres universitaires : Ndiogou Sarr, Maître de conférences assimilé, Droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, El Hadji Omar Diop, Enseignant-Chercheur en Droit public à l’Université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar, Maurice Soudiéck Dione, Professeur assimilé, Agrégé en Sciences politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis et Jean Charles Biagui.