Dans le cadre de ses investissements sur la période 2025-2027, le Sénégal, selon le projet de budget de 2025, mise sur les « Diaspora bonds ». Ce mécanisme de financement, selon l’économiste, banquier et essayiste Seydina Alioune Ndiaye, peut permettre une meilleure mobilisation des ressources à travers la souscription des fils du pays ; ce qui peut être un facteur de souveraineté.
Dans le projet de budget pour 2025, le gouvernement du Sénégal entend asseoir une stratégie permettant le développement du financement domestique et des financements innovants, conformément à la Stratégie nationale de développement (Sn2D) 2025-2029. L’idée est d’augmenter, de manière substantielle, la part des financements libellés en monnaie locale. Il est ainsi visé, à l’horizon 2027, un mix de nouveaux financements extérieurs et domestiques à hauteur de 41 % et 59 % respectivement. Sous ce rapport, le gouvernement prévoit de recourir aux « Diaspora bonds » comme source de diversification de l’endettement en monnaie locale. Ces ressources, indique le document, conjuguées à la bonne capacité d’absorption des titres du Sénégal du marché domestique (par adjudication et par appel public à l’épargne), estimée à plus de 1500 milliards de FCfa, permettront, sur le moyen et long terme, de substituer à la domination des ressources d’origine externe dans le portefeuille, la prééminence de la dette en monnaie locale, avec tous les avantages en termes de réduction de l’exposition au risque de change et aux taux d’intérêt variables. Ceci montre que l’État du Sénégal, comme annoncé récemment par le Premier ministre Ousmane Sonko, compte sur ce mécanisme porté par la diaspora.
Alors, qu’est-ce que les « Diaspora bonds » ? Selon l’économiste, banquier et essayiste Seydina Alioune Ndiaye, il s’agit d’un mécanisme financier permettant à un État de mobiliser les transferts de sa diaspora pour financer des projets. L’idée, explique-t-il, a été développée après la guerre des Six Jours, dans les années 1967, par des stratèges israéliens pour mobiliser l’épargne juive disséminée aux quatre coins du monde afin de financer le développement du jeune État hébreu à travers une émission d’actifs obligataires (bons/obligations). De manière simple, explique M. Ndiaye, il s’agira pour le Sénégal d’émettre des titres financiers adossés à des projets en faisant appel aux Sénégalaises et aux Sénégalais de l’Extérieur, face aux défis significatifs de levée de fonds sur les marchés internationaux. L’idée, poursuit-il, c’est de flécher une partie des envois de la diaspora vers des investissements productifs.
Une source de financement crédible
Les « Diaspora bonds » constituent-ils une source de financement crédible ? La réponse est oui, selon l’expert Seydina Alioune Ndiaye. « Tout à fait. C’est une source de financement très crédible que l’État du Sénégal, de mon point de vue, doit ériger en priorité, au moins pour deux raisons principales. « Premièrement, selon les chiffres d’une étude publiée en février 2023, les transferts des émigrés représentent 46 % des financements reçus de l’extérieur au Sénégal. Donc, autour de 2,7 milliards de dollars, soit environ 1645 milliards de FCfa. Ce, loin devant l’aide publique au développement et les Investissements directs étrangers (Ide) », indique-t-il.
Pour lui, cette option est pertinente, car la diaspora finance le développement plus que n’importe quel autre bailleur de fonds, avec des envois au-dessus de +10 % du Pib. Ces chiffres, précise l’économiste, sont confirmés aussi bien par des études de la Banque mondiale que de l’Ocde. La deuxième raison principale de la pertinence de solliciter les envois des Sénégalais de l’étranger, souligne-t-il, est le caractère très orienté consumériste desdits envois.
« Là également, devant l’étreinte de la pression du pouvoir d’achat des familles sénégalaises, l’écrasante majorité des fonds envoyés est destinée à la consommation courante sous diverses formes (eau, électricité, nourriture, scolarité), au détriment de l’investissement productif. Ainsi, 90 % des fonds vont dans les dépenses courantes, le reste étant partagé entre les projets immobiliers et d’autres investissements », explique Seydina Alioune Ndiaye. Dès lors, il pense que toute la stratégie de l’État devra être le fléchage d’une partie de cette masse monétaire de la consommation vers l’investissement à travers des projets sélectionnés, maturés, assez rentables et pouvant susciter un intérêt pour la diaspora à investir.
« Et il y en a pas mal ; que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’énergie, des services de transport ou de logistique, de l’aménagement du territoire, ou encore de l’agroalimentaire », propose-t-il.
Facteur de souveraineté
Pour Seydina Alioune Ndiaye, l’économie mondiale actuelle est caractérisée par une météo de deux vents très violents : la remontée des taux d’intérêt (500 points de base pour la Fed, Usa, et +400 points de base pour la Bce, Europe) et les prémisses d’une future guerre commerciale ouverte entre la Chine et les États-Unis de Donald Trump 2, sur fond de guerres larvées entre l’Occident collectif et le Sud global amenées par la Chine et la Russie. Cet état de fait limite, selon lui, les États africains, y compris le Sénégal, dans la mobilisation de fonds sur les marchés internationaux pour financer le développement.
À ses yeux, ces difficultés incluent, entre autres, un renchérissement des taux d’intérêt élevés en raison de la perception de risques plus élevés, rendant le coût du service de la dette insoutenable à long terme, comme ce que nous vivons au Sénégal. Sans oublier un accès limité aux marchés de capitaux pour les pays africains en raison de leur notation de crédit moins favorable, de la volatilité économique, d’une dépendance aux prêteurs institutionnels à travers les prêts de grandes institutions comme le Fmi et la Banque mondiale qui sont souvent accompagnés de conditions strictes, en contradiction avec l’ambition d’un Sénégal souverain, telle que déclinée dans l’agenda de transformation nationale « Vision 2050 ».
Tout cela lui fait dire que la mobilisation financière via les « Diaspora bonds » est un outil indispensable pour dérouler les projets retenus dans la stratégie de développement, au regard du contexte décrit ci-dessus et du lourd héritage de l’endettement massif étranger légué par l’ancien régime. « D’ailleurs, toujours sur le benchmark israélien, la diaspora juive avait mobilisé quelque trois milliards de dollars en soutien à la guerre actuelle à Gaza. C’était sous forme d’eurobonds de l’État d’Israël », explique M. Ndiaye.
Les facteurs de réussite
Le principal facteur clé de succès d’une telle initiative, selon l’expert, c’est de réussir l’engagement de la diaspora sénégalaise. Ceci, en veillant scrupuleusement à la transparence et sur l’utilisation des fonds et l’état d’avancement des projets sélectionnés. « Pour ce faire, l’État du Sénégal peut s’appuyer justement sur les compétences internes ou celles de la diaspora en mettant en place une plateforme dématérialisée des programmes rigoureusement sélectionnés dans les meilleurs standards de gestion de projet », suggère Seydina Alioune Ndiaye. L’autre élément incitatif, d’après lui, c’est d’orienter la future banque des Sénégalais de l’extérieur vers ce créneau en veillant à bien structurer les différents types de Bonds selon la maturité –1/3 ans, 4/10 ans ou plus de 10 ans. Cette banque, propose l’économiste, devra être le principal éperon de cette initiative et doit être dotée, dès son envol, de tous les moyens humains, matériels et de règles d’éthique très strictes pour conduire à bien sa mission. Le modèle d’affaires de la banque devra être très bien crafté et surveillé. Le talent et les ressources humaines, assure-t-il, sont légion au Sénégal pour cela. L’autre importante politique, aux yeux de M. Ndiaye, est la mise en place de mécanismes incitatifs fiscaux pour les investisseurs, en relation avec leur pays de résidence. « Cela pourrait fortement susciter un sentiment de patriotisme économique de nos concitoyens à participer activement au développement du pays et à l’atteinte d’un Sénégal souverain, juste et prospère », indique-t-il.
Demba DIENG…LE SOLEIL