La guerre civile s’est à nouveau réveillée en Syrie. Dans une offensive éclair, les rebelles, menés par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), se sont emparés d’Alep, la deuxième plus grande ville de Syrie ainsi que des villes d’Hama, Rastan et Talbisseh. Le régime de Bachar al-Assad tente de s’opposer à cette percée dans un conflit qui fait des centaines de morts et des milliers de déplacés. Décryptage de cette situation complexe dans Le Monde en direct avec Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie chargé de recherche au CNRS et à l’université Aix-Marseille, et Baudoin Loos, journaliste Le Soir, spécialiste du Proche-Orient.
L’ONU demande que les civils soient protégés de même que les populations déplacées. Cette offensive constitue un revers important pour Bachar al-Assad, mais aussi pour ceux qui disent appartenir à l’axe de résistance chiite composé du Hamas, du Hezbollah, du régime des mollahs iraniens et de la Russie. On dénombre plus de 800 morts en l’espace de quelques jours.
Le groupe armé HTS aussi féroce que l’État islamique ?
Si l’attaque dans le nord-ouest de la Syrie a été menée par plusieurs groupes rebelles, c’est le groupe islamiste HTS (Hayat Tahrir al-Sham) qui domine actuellement le mouvement. À l’origine, en 2012, ce groupe était lié à l’État islamique en Irak et ensuite à Al-Qaïda jusqu’en 2016. Quelles sont aujourd’hui ses ambitions ? Devenir une organisation internationale comme le groupe terroriste État islamique à l’époque ou renverser le régime de Bachar el-Assad ?
Pour Nicolas Pierret, il faut différencier HTS de l’État islamique. Ce dernier se voyait comme une organisation globale sans frontières géographiques définies, ce qui ne semble pas être le cas de HTS qui est plutôt ancré localement. Une autre différence est qu’HTS ne s’engage pas dans une surenchère radicale et extrémiste. Les combattants d’HTS sont des Syriens issus des régions où ont lieu les combats ou qui retournent chez eux pour voir leurs familles qu’ils n’ont parfois pas vu depuis des années. Ils sont rejoints dans leur combat par une partie des groupes de l’Armée syrienne libre.
Bachar al-Assad en mauvaise posture
Pour Baudoin Loos, cette attaque a été rendue possible parce que les alliés de Bachar al-Assad sont affaiblis. En 2013 déjà, Bachar al-Assad était menacé de toutes parts par l’insurrection des rebelles. C’est là que sont intervenus successivement l’Iran (qui a envoyé le Hezbollah libanais), des milices venues d’Irak, et ensuite l’aviation russe, envoyée par Poutine en 2015. Les rebelles ont dû refluer et se sont réfugiés dans la province d’Idlib, un peu à l’ouest d’Alep. Sous la gouvernance d’Abou Mohammed al-Jolani, le chef de HTS, ils y ont bâti ce mouvement qui avait conservé des desseins de reconquête et se sont organisés de façon efficace avec des armes modernes.
Ils ont profité d’une conjoncture très favorable dans la mesure où le Hezbollah a été sévèrement atteint par les frappes israéliennes et sa hiérarchie laminée depuis le début de la guerre directe entre Israël et le Hezbollah. Les groupes iraniens en Syrie ont également été décimés par des bombardements israéliens. HTS, qui est à présent aux portes de Homs et veut précipiter la chute du président syrien, a donc attendu le cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël au Liban pour frapper. Aux yeux de Thomas Pierret, le régime de Bachar al-Assad est aujourd’hui très affaibli : « Si son armée ne peut arrêter l’avancée des rebelles dans le sud, Bachar al-Assad sera obligé de se replier sur un réduit territorial autour de Damas et de la côte syrienne » estime-t-il.
Le Proche-Orient est-il en train d’être redessiné ?
Ces dernières années, la Syrie était devenue un champ de bataille entre d’un côté, la Russie et l’Iran, soutiens du régime de Bachar al-Assad, et de l’autre, les États-Unis et la Turquie. Pour Baudoin Loos, l’axe de la résistance chiite et le Hamas ont été fortement affaiblis. Le Hamas a subi des pertes énormes dans la mesure où il n’y a toujours pas de cessez-le-feu à Gaza. De même, le Hezbollah a été laminé.
« Assad s’est bien gardé pendant tout le conflit depuis plus d’un an à Gaza et puis au Liban, d’intervenir militairement. On sait que les Israéliens l’ont menacé et lui ont demandé de ne pas oublier le sort du chef du Hamas à Téhéran » affirme Baudoin Loos. La Russie, très occupée sur le front ukrainien, est également moins disponible. Et l’Iran, qui s’est dit prêt à « étudier » un envoi de troupes en Syrie, ne semble pas s’investir dans le conflit non plus. On constate donc que sans l’appui de ses alliés habituels, le dispositif défensif en Syrie s’effondre.
Quel rôle joue la Turquie de Recep Tayyip Erdogan dans ce conflit ?
Alors que le pouvoir de Bachar al-Assad, sans l’aide de ses alliés historiques, vacille, plane l’ombre de Recep Tayyip Erdogan. « La Turquie souhaite élargir une zone sûre dans le nord de la Syrie dans laquelle elle pourrait notamment renvoyer des réfugiés syriens parce que la question des réfugiés syriens en Turquie est devenue un gros problème » estime Nicolas Pierret. La Turquie a essayé de changer les choses via des négociations avec le régime syrien ces deux dernières années mais cela n’a mené à rien.
Pour Baudoin Loos, la Turquie joue sur plusieurs fronts parce que le président Recep Tayyip Erdogan poursuit deux obsessions : se débarrasser le plus vite possible des 3 à 4 millions de réfugiés syriens qui sont devenus trop nombreux et encombrants à ses yeux, mais aussi combattre les Kurdes qui souhaitent l’autonomie.