Depuis vendredi, Cuba fait face à un black-out quasi total après l’arrêt de la centrale thermique Antonio Guiteras, la plus importante du pays. À l’exception des hôtels, hôpitaux et quelques très rares maisons particulières bénéficiant de générateurs de secours, l’île se retrouve plongée dans le noir. Cette panne géante du système électrique intervient après des mois de coupures de courant devenues de plus en plus fréquentes dans le pays.
Réseau électrique obsolète, forte dépendance aux combustibles fossiles, manque d’investissements et embargo des États-Unis : les raisons sont multiples pour expliquer la crise énergétique que connaît actuellement le pays. Une crise à laquelle s’ajoutent des pénuries de nourriture, de médicaments, une inflation galopante… et l’arrivée imminente d’un ouragan ce dimanche.
Un système électrique de plus en plus défaillant
Les premières restrictions de cette année remontent à mars, avec les difficultés croissantes du gouvernement de se fournir en combustible et en pièces nécessaires au fonctionnement et à la réparation des centrales thermoélectriques vieillissantes du pays.
La production d’électricité nationale provient principalement de huit centrales thermiques vétustes, dont certaines fonctionnent depuis plus de 40 ans et souffrent de pannes récurrentes ou sont en réparation. Cuba exploite en complément cinq sites flottants loués à des entreprises turques en plus de groupes électrogènes, eux aussi alimentés par des combustibles.
Ce système rend le pays particulièrement dépendant aux combustibles fossiles. Or, le pays ne produit lui-même qu’un tiers de ce dont il a besoin. L’île communiste dépend beaucoup du pétrole du Venezuela, son principal allié.
La Havane paie une partie de ses factures en lui envoyant des médecins. Seulement, le Venezuela semble avoir nettement réduit le volume des livraisons. Selon des chiffres de la presse indépendante, Caracas n’a envoyé qu’environ 22.000 barils/jour à Cuba en septembre, contre 33.700 barils/jour en juin. Le Mexique et la Russie ont partiellement comblé ce manque.
En parallèle, le gouvernement cubain a lancé des projets de développement des énergies renouvelables. Mais le manque d’investissements et l’embargo américain ralentissent le processus.
Un embargo américain qui perdure
Le 3 février 1962, le président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy annonce, au nom de la « lutte contre le communisme », l’interdiction des exportations et importations contre la petite île des Caraïbes qui venait de mettre fin au régime pro-américain du dictateur Batista.
Plus de 60 ans plus tard, cet embargo est toujours bien effectif, faisant de lui l’un des plus longs régimes de sanctions unilatérales au monde même si, avec le temps, son objectif (officiel) a évolué. Ces dernières années, le gouvernement américain l’a justifié autour de deux questions : les droits de l’homme et le soutien de La Havane au gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela. Sans obtenir de concessions cubaines sur ces points.
Non seulement cet embargo perdure, mais il s’est aussi renforcé. Dans un premier temps bilatéral, il s’est progressivement externalisé aux entreprises et banques étrangères, sous pression américaine. Barack Obama a bien essayé de le lever durant son mandat, mais les lois édictées par ses prédécesseurs cadenassent ces sanctions, avec un passage législatif obligatoire par le Congrès.
Depuis 1992, chaque année, Cuba présente une motion condamnant l’embargo. Si, la première fois, seuls 59 pays ont voté pour, le soutien a ensuite grimpé. Désormais la quasi-totalité votent en sa faveur.
L’embargo interne
L’embargo des États-Unis n’est pas la seule raison qui explique la crise que traverse actuellement Cuba. Dans le pays, on l’appelle le « bloqueo interno » : « la bureaucratie, la centralisation excessive, le manque d’incitations pour les producteurs« , résume l’économiste cubain Omar Everleny Pérez à l’AFP.
Faute d’une production locale, notamment agricole, suffisante, l’île importe 80% de ce qu’elle consomme. Quant à l’ouverture au secteur privé, elle est arrivée tardivement et affronte encore des obstacles administratifs.
« Les politiques internes pèsent plus sur la situation de Cuba que le blocus, car le renforcement de l’embargo date des années 1990 mais les mauvaises politiques sont historiques, elles remontent aux années 1960« , ajoute Alina Pérez, chercheuse et éditorialiste du média en ligne La Joven Cuba auprès de l’AFP.
Grogne de la population
La crise économique et les coupures de courant répétées ont été à l’origine des manifestations inédites du 11 juillet 2021. Ces mouvements ont fait un mort, des dizaines de blessés et des centaines de protestataires ont été emprisonnés.
En 2022, d’autres manifestations, encore en réponse à des coupures d’électricité, ont abouti à des dizaines d’arrestations. La nuit du 27 septembre de cette année-là, un black-out généralisé a frappé l’île alors que l’ouragan Ian balayait sa partie ouest.
En 2023, Cuba a connu une meilleure situation d’un point de vue de l’électricité.
Mais celle-ci s’est détériorée en 2024. Au mois de mars, des centaines de personnes sont de nouveau descendues dans les rues, à Santiago de Cuba et dans trois autres villes, pour réclamer « de la nourriture et du courant ».
Face à cette situation, de nombreux Cubains ont décidé d’émigrer. D’après les statistiques officielles, l’île compte en 2024 moins de dix millions d’habitants, contre 11,1 millions lors du recensement de 2012.
Plus de 700.000 Cubains sont partis aux États-Unis, de manière légale ou irrégulière, entre janvier 2022 et août 2024, selon le Bureau des douanes et de la protection des frontières américain. Un flux de départs auquel il faut ajouter ceux vers l’Amérique latine et l’Europe, pour lesquels il n’existe pas de données détaillées.