L’anonymat total des donneurs de sperme est inconstitutionnel, c’est ce qui ressort d’un arrêt de la Cour constitutionnelle rendu hier. La cour donne à la Belgique jusqu’au 30 juin 2027 pour rectifier le tir.
À l’origine de cette décision, Iris Tuijaerts, une étudiante flamande de 24 ans. Elle est née d’un don de sperme et, comme beaucoup d’autres, elle ne sait absolument rien sur son donneur. Au-delà de découvrir ses origines, elle souhaite obtenir des informations sur l’historique médical de son géniteur. Elle se tourne alors vers l’hôpital où elle a été conçue, l’UZ Brussel, mais se voit opposer une fin de non-recevoir.
La jeune femme porte son dossier devant le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Le tribunal renvoie, lui, cette question vers la Cour constitutionnelle : « La loi actuelle est-elle compatible avec le droit au respect de la vie privée et familiale ? ». La réponse est non. Pour la Cour constitutionnelle, la loi actuelle accorde une priorité absolue aux intérêts du donneur, au détriment de ceux de l’enfant concerné. Elle conclut : « L’enfant né d’un don de sperme ou d’ovocytes a le droit de connaître son ascendance ».
À ce jour, dans notre pays, l’anonymat des donneurs de sperme est garanti. Sauf dans le cas d’un « don connu dirigé ». Dans ce cas, une convention est signée entre le donneur et la receveuse. L’usage du sperme est alors exclusivement réservé à l’usage de cette personne.
Qu’en pensent les donneurs de sperme ?
Fabrice (prénom d’emprunt) a été donneur de sperme quand il était un peu plus jeune. Il est transparent sur ses motivations : « C’était pour me faire de l’argent facilement et pour aider les gens qui en avaient besoin ». En Belgique, le don de sperme n’est pas rémunéré, mais un dédommagement est offert aux donneurs. Selon les hôpitaux, cela peut aller de 50 à 100€. Dans le cas de Fabrice, le dédommagement s’élevait à 75€ : « J’ai donné mon sperme pendant huit mois, à raison de deux dons par mois. Quand on est jeune, ce dédommagement a clairement un impact ».
Fabrice réagit à la décision de la Cour constitutionnelle de lever l’anonymat des donneurs : « À l’époque, si j’ai fait ces dons aussi facilement, c’est parce que mon anonymat était garanti. Sans cette garantie, j’aurais peut-être réfléchi un peu plus longuement ».
Quant à savoir si Fabrice accepterait de rencontrer un enfant né grâce à son sperme : « Ça ne me dérangerait pas, mais il n’y aura pas de lien plus grand à faire. La parentalité et l’éducation, ce n’est pas moi qui l’ai pris en charge. Moi, j’ai juste aidé des personnes à avoir un enfant ».
Félix, lui, a déjà retrouvé son géniteur
Félix Francotte est aussi né d’un don de sperme. À 30 ans, il a voulu se réapproprier son histoire. Comme Iris Tuijaerts, il se tourne d’abord vers l’UZ Brussel, mais n’obtient aucune réponse. Il nous confiait il y a un an et demi : « Je trouvais ça un peu violent que l’État et les médecins, qui avaient cette information sur mon géniteur, ne me la donnent pas. C’était comme si on me cachait une partie de mon histoire ».
Félix décide alors de faire un test ADN. Celui-ci lui révèle l’existence de demi-sœurs biologiques avec qui il a noué un lien. Récemment, un nouveau chapitre s’est ajouté à l’histoire de Félix. Un demi-frère biologique est apparu dans une base de données, lui-même connecté à son géniteur. Félix se souvient de cette découverte : « C’était un soulagement joyeux. Je pouvais me dire : enfin, j’ai cette information. Ça m’a fait plaisir de mettre un visage, un nom, une origine et une mini-biographie sur la moitié de mon patrimoine génétique ».
Il n’y a toutefois pas eu de rencontre entre Félix et cet homme : « On a échangé par écrit, mais il nous a dit qu’il préférait ne pas nous rencontrer. Il a une famille et tout le monde n’était pas à l’aise avec cette idée ». Pour autant, Félix n’est pas déçu de ne pas avoir pu nouer une relation avec cette personne : « Ce n’était pas le but en soi, mais j’aurais trouvé intéressant d’avoir un dialogue ».
À la question de savoir ce que cette découverte a changé dans sa vie, Félix réfléchit longuement avant de répondre : « C’est marrant parce que j’ai envie de dire « peu de choses » et à la fois énormément. De manière concrète, ça n’a presque rien changé. Mais de manière abstraite, ça m’a apporté des réponses sur moi-même. Avoir le nom du donneur n’avait pas beaucoup d’importance, c’était plutôt une démarche pour être maître de mon histoire ».
Changer la loi avant le 30 juin 2027
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle donne à la Belgique un délai de trois ans pour modifier la loi. Le législateur pourrait s’inspirer de l’avis remis en 2022 au ministre fédéral de la santé par le comité consultatif de bioéthique de Belgique. Celui-ci propose trois options, tant pour le donneur que pour les parents.
Dans la première option, le maintien de l’anonymat est garanti si c’est le souhait du donneur et des parents récepteurs. La deuxième option prévoit la levée totale de l’anonymat. Le donneur et les parents sont identifiés au moment du don. Enfin, dans la troisième option, le donneur accepte d’être identifiable au bout d’un certain temps.
C’est au monde politique de s’emparer de la question. Les socialistes flamands de Vooruit, qui feront partie de la prochaine majorité fédérale, ont promis de porter le dossier dans les négociations.