Fin juin, les douanes marocaines ont annoncé la dématérialisation des demandes de certificats d’origine des produits marocains exportés vers les pays membres de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Destinée à faciliter les échanges commerciaux avec le reste du continent, cette mesure s’inscrit bien dans la stratégie actuelle du Maroc en Afrique. Mise en œuvre sous l’impulsion du roi Mohammed VI, qui fête ce mois-ci ses 25 ans de règne, cette stratégie a permis au royaume chérifien de se hisser parmi les pays les mieux intégrés économiquement sur le plan continental tout en renforçant la diplomatie marocaine. Décryptage.
L’empreinte marocaine en Afrique
Le Maroc entretient avec l’Afrique subsaharienne des relations étroites qui remontent à la fondation même du royaume au 8e siècle par Idris Ier. Cette coopération plus que millénaire s’est renforcée sur tous les plans au cours du règne de l’actuel monarque Mohammed VI. Intégration économique, aide au développement, soutien à la résolution de conflits : autant de domaines dans lesquels le souverain marocain a joué un rôle majeur au cours du dernier quart de siècle.
Au niveau du commerce intra-africain par exemple, les exportations du Maroc à destination des autres pays du continent ont totalisé 32,66 milliards de dirhams en 2023, selon l’Office marocain des changes. Au moment de l’accession au trône de Mohammed VI en 1999, elles étaient seulement de 3,25 milliards de dirhams, soit une croissance de plus de 900% en à peine 25 ans. Dans le même temps, les importations marocaines en provenance des autres pays africains ont progressé de 370% sur la période pour atteindre 20,079 milliards de dirhams.
Si les engrais représentent près de la moitié (42,7%) des exportations marocaines vers le reste de l’Afrique en 2022, ce sont les combustibles fossiles (24,2%) qui dominent les importations du royaume en provenance des autres pays africains.
Les exportations du Maroc à destination des autres pays du continent ont totalisé 32,66 milliards de dirhams en 2023. Au moment de l’accession au trône de Mohammed VI en 1999, elles étaient seulement de 3,25 milliards de dirhams.
Notons aussi que c’est l’Égypte qui s’affiche en 2022, et pour la quatrième année consécutive, comme le principal partenaire africain du Maroc, suivi de l’Afrique du Sud. Avec Djibouti, la Tunisie et la Côte d’Ivoire, ces cinq pays représentent près de la moitié des échanges du Maroc avec le continent (48,1%).
Essor des investissements marocains en Afrique
À l’accession au trône de Mohammed VI en 1999, les investissements directs étrangers (IDE) du Maroc en Afrique étaient relativement modestes mais ils ont fortement progressé au cours de la dernière décennie, passant notamment de 100 millions de dollars en 2014 à plus de 800 millions en 2021.
Cela confère au Maroc le statut de deuxième plus gros investisseur africain du continent, derrière l’Afrique du Sud, et le premier en Afrique de l’Ouest, selon le ministère marocain des Finances. Ces investissements couvrent un large éventail de secteurs, allant de la finance aux télécommunications en passant par l’agriculture et les mines.
C’est dans les années 2000 que les grands groupes bancaires et d’assurance ont accéléré les investissements marocains sur le continent. En tête de cette expansion marocaine en Afrique, on retrouve BCP, Saham Group, Attijariwafa Bank et BMCE, troisième plus grande banque du pays. En 2020, cette dernière a même décidé de changer de nom pour reprendre celui de sa filiale d’Afrique subsaharienne Bank of Africa. Ce changement illustre la dimension panafricaine prise par l’institution au cours des deux dernières décennies, avec une présence dans 19 pays du continent. La banque compte poursuivre sur cette voie en portant le nombre de ses filiales en Afrique à 25 d’ici 2030.
Dans le domaine des télécommunications, Maroc Telecom joue un rôle prépondérant dans l’expansion du Maroc en Afrique. Sa privatisation en 2001, deux ans après l’accession au trône de Mohammed VI, a contribué à l’élargissement de son empreinte continentale qui compte actuellement 11 pays, en plus du Maroc. En 2023, ces filiales d’Afrique subsaharienne ont été le moteur de la croissance du groupe, avec une hausse de 6,6% des revenus à 18,38 milliards de dirhams.
Cette conquête africaine des entreprises marocaines s’explique par un changement d’état d’esprit notable, selon Abdou Diop, président de la commission Afrique de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). « On a assisté à un réel changement d’état d’esprit lorsque les champions marocains ont commencé à émerger et se sont mis en quête de nouveaux marchés pour étendre leurs activités. Le secteur privé a alors reconsidéré les risques afin de saisir davantage d’opportunités », explique l’homme d’affaires.
L’État marocain a également joué un rôle déterminant dans la promotion des investissements marocains en Afrique. Deux sociétés illustrent particulièrement ce soutien. D’un côté, l’OCP, premier exportateur mondial de phosphate, fournit des produits phosphorés et d’engrais à de nombreux pays africains, représentant 54% des marchés d’engrais du continent. Depuis 2016, l’OCP a renforcé sa présence en Afrique avec OCP Africa. Spécialisée dans la fourniture d’engrais adaptés aux besoins des cultures d’Afrique subsaharienne, la société est présente dans 16 pays avec 12 filiales. De l’autre côté, on retrouve un groupe minier marocain quasi centenaire, qui a pris une envergure continentale sous le règne de Mohammed VI. Avec des implantations au Soudan, en Guinée, au Gabon, au Sénégal et au Mali, Managem s’est imposé comme un acteur important du paysage minier africain.
Un tournant stratégique vers l’Afrique subsaharienne
Si les liens historiques entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne remontent à plusieurs siècles, le royaume a longtemps privilégié ses relations avec l’Afrique du Nord. L’échec de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) qui a incité le Maroc à se tourner résolument vers le reste du continent.
Cette nouvelle orientation s’est concrétisée par l’obtention en 2005 du statut de membre observateur au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Bien que son intégration définitive ait échoué en 2017, le Maroc n’a pas dévié de son ambition panafricaine, comme en témoigne le projet de gazoduc Nigeria-Maroc. D’une longueur de 6000 kilomètres et d’un coût de 25 milliards de dollars, ce mégaprojet traversera 11 pays africains et contribuera à leur transition énergétique.
L’indice d’intégration régionale en Afrique, publié pour la première fois en 2016 par la Commission de l’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et la Banque africaine de développement, permet de se rendre compte des relations économiques renforcées entre le royaume et le reste du continent. Dans sa dernière édition parue en 2019, le rapport révèle que le Maroc se classe premier en ce qui concerne l’intégration macroéconomique et quatrième pour les infrastructures régionales.
La dernière édition de l’indice d’intégration régionale en Afrique, parue en 2019, révèle que le Maroc se classe premier en ce qui concerne l’intégration macroéconomique et quatrième pour les infrastructures régionales.
Le Maroc détient par ailleurs le record en matière de traités d’investissement bilatéraux en vigueur.
Un projet en particulier permet de saisir les efforts d’intégration africaine du Maroc. Il s’agit de l’initiative Afrique Atlantique, qui vise à offrir aux pays enclavés du Sahel un accès plus facile à la mer. C’est en novembre 2023 que le roi lui-même a dévoilé ce projet qui consiste à mettre la façade atlantique du Maroc au service des échanges commerciaux avec plusieurs pays africains sans façade maritime.
« Nous sommes convaincus que cette initiative transformera substantiellement l’économie de ces pays frères et, au-delà, toute la région, le Maroc est disposé à mettre à leur disposition ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires », a déclaré le monarque marocain.
Cette démarche s’est matérialisée par une réunion ministérielle tenue en décembre 2023 entre le Maroc, le Tchad, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ironie du sort, les trois derniers pays cités ont annoncé quelques semaines plus tard leur départ de la CEDEAO, offrant de nouvelles perspectives de coopération et d’alliance avec le Maroc.
Un rayonnement diplomatique croissant grâce au roi
Au-delà du renforcement des liens économiques, l’initiative Afrique Atlantique est aussi perçue comme un moyen pour le Maroc d’améliorer ses relations diplomatiques avec l’Afrique subsaharienne et y renforcer son image de marque. Le pays est aujourd’hui considéré comme l’un des plus influents sur le continent.
Le royaume chérifien se classe ainsi à la 50e place dans le Global Soft Power Indice 2024 établi par le cabinet britannique Brand Finance. Avec un score de 40,6/100, le pays occupe la troisième place en Afrique derrière l’Égypte (44,9/100) et l’Afrique du Sud (43,7/100). L’indice composite prend en compte plusieurs sous-indices, comprenant le climat des affaires et le commerce ; les relations internationales ; l’éducation et la science ; la culture et le patrimoine ; la gouvernance ; les médias et la communication ; la durabilité.
La politique étrangère du Maroc en Afrique s’inscrit dans une offensive diplomatique plus large du royaume durant ce quart de siècle. Elle a notamment permis au royaume d’avancer sur la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Si la reconnaissance américaine en 2020 et celle d’Israël en 2023 sont les exemples les plus marquants de ces dernières années, elles ont été précédées par des succès dans plusieurs pays du continent.
Une dizaine de pays ont même ouvert des représentations diplomatiques dans le territoire du Sahara occidental, dont la Côte d’Ivoire et le Gabon. Contrairement à ses prédécesseurs, Mohammed VI n’a pas subordonné la politique diplomatique du Maroc en Afrique à la question du Sahara occidental.
Preuve de ce changement, le grand retour du pays au sein de l’Union africaine (UA) en 2017. Alors gouverné par le père de l’actuel monarque, Hassan II, le pays avait quitté en 1984 l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’UA, pour protester contre l’adhésion au sein de l’institution de la République arabe sahraouie démocratique proclamée par le Front Polisario au Sahara occidental.
Au cours du règne de Mohammed VI, le Maroc a aussi intégré plusieurs instances continentales pour étendre son influence en Afrique.
Le royaume est devenu membre en 2001 de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD), accueillant même trois réunions du Conseil exécutif de l’organisation. Après son retour à l’UA en 2017, le Maroc a demandé à adhérer à la CEDEAO, mais cette demande a été refusée, constituant l’un des rares revers de la politique étrangère marocaine de ces 25 dernières années.
Le roi du Maroc a grandement contribué à ces succès diplomatiques. Entre son accession au trône et mai 2019, ce sont plus de 50 visites officielles que le monarque marocain a effectuées dans 26 pays du continent. Au cours de ces différentes visites, des centaines d’accords ont été paraphés sous l’égide du souverain avec les pays africains. En 25 ans de règne, Mohammed VI en a connu plus de 1 000. À titre de comparaison, son grand-père Mohammed V et son père Hassan II en ont connu 515 entre 1956 et 1999.
L’implication personnelle du souverain dans la diplomatie marocaine se remarque aussi par ses prises de position sur des sujets cruciaux pour le continent, comme la lutte contre le néocolonialisme et l’affirmation de la souveraineté des pays africains. Mohammed VI poursuit en réalité une tradition d’engagement du royaume en faveur de l’émancipation des peuples africains. Cet engagement s’est par le passé matérialisé par l’organisation de la Conférence de Casablanca en 1961 et le rôle central joué par Rabat dans la naissance de l’OUA.
Ce positionnement « africaniste » du roi a une résonance particulière dans le contexte de l’actualité politique en Afrique de l’Ouest ces trois dernières années. Les coups d’État menés au Burkina Faso, au Mali ou plus récemment au Niger ont ainsi donné lieu à des déclarations contre l’impérialisme dont continueraient à faire preuve les anciennes puissances coloniales comme la France.
Alors qu’on pourrait expliquer ces sorties par la volonté des putschistes d’asseoir leur pouvoir en misant sur le sentiment nationaliste, la position du souverain marocain est plus ancienne et mieux élaborée. « Certes, le colonialisme n’est pas la seule cause des problèmes de l’Afrique. Mais son impact négatif persiste. Pendant longtemps, nous avons cherché ailleurs de l’aide pour prendre une décision, un engagement. N’est-il pas temps de mettre fin à ce tropisme ? N’est-il pas temps de regarder vers notre continent ? De considérer sa richesse culturelle, son potentiel humain ? », expliquait Mohammed VI en 2017, dans un discours devant les chefs d’État africains à Addis-Abeba.
« Certes, le colonialisme n’est pas la seule cause des problèmes de l’Afrique. Mais son impact négatif persiste. Pendant longtemps, nous avons cherché ailleurs de l’aide pour prendre une décision, un engagement. N’est-il pas temps de mettre fin à ce tropisme ? »
Enfin, la diplomatie marocaine s’appuie sur l’influence du souverain sur l’importante communauté musulmane présente en Afrique subsaharienne. En tant que roi du Maroc, Mohammed VI a aussi hérité du titre de « Commandeur des croyants », qui lui octroie un statut de guide religieux pour les millions de musulmans que compte le continent. Les visites royales dans les pays africains sont par exemple des moments propices pour lancer des projets de construction de mosquées ou faire des dons aux autorités religieuses. En 2012, le Maroc a aussi ouvert le Centre Mohammed VI pour la formation des imams et des morchidates, notamment ceux d’Afrique subsaharienne, offrant un cadre propice à la diffusion de l’image de marque du Maroc à travers le continent.
Promotion de la paix et de la sécurité en Afrique
Pour renforcer ses liens avec le reste de l’Afrique, le Maroc s’implique aussi dans les efforts visant à restaurer la paix dans certaines régions du continent. En RDC, le royaume a participé en 1999 à la Mission des Nations Unies pour la paix (MONUC), ainsi qu’à la MONUSCO (Mission des Nations Unies pour la stabilisation de la République démocratique du Congo) en 2010 et à la MINUSCA en Centrafrique. Dans le cadre de la MINUSMA au Mali en 2013, les soldats marocains sont également intervenus dans la stabilisation de ce pays du Sahel.
En 2013, le monarque a présenté un plan de régularisation des migrants arrivés illégalement au Maroc. Depuis, plus de 40 000 personnes, principalement des Africains, ont bénéficié d’un accès gratuit aux soins, aux écoles publiques.
Au-delà de ces missions de maintien de la paix, la diplomatie marocaine a aussi orienté ses efforts vers la résolution de conflits entre différents pays, comme entre la Sierra Leone et le Liberia, ou entre différentes factions d’un même pays, par exemple en orchestrant le seul accord politique inter-libyen à ce jour. La contribution du Maroc à la paix et à la stabilité régionale se constate aussi par l’implication de royaume sur la question migratoire.
En 2006, le pays a accueilli à Rabat la première conférence euro-africaine sur la migration et le développement. En tant que responsable des questions migratoires au sein de l’UA, le roi Mohammed VI a aussi proposé dans un rapport la création d’un Envoyé spécial de l’UA sur les migrations et la création d’un Observatoire africain sur les migrations. En 2013, le monarque a présenté un plan de régularisation des migrants arrivés illégalement au Maroc. Depuis, plus de 40 000 personnes, principalement des Africains, ont bénéficié d’un accès gratuit aux soins, aux écoles publiques.