Chez les partisans de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, des critiques émergent sur la faible féminisation du gouvernement ou sur le profil des personnalités nommées à des postes clés.
Pour la première fois en six ans de vie militante, Mabinta Djiba ose dire ouvertement que ses « chefs » font fausse route. L’enseignante de formation, fidèle du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), le parti fondé par le président Bassirou Diomaye Faye et le premier ministre Ousmane Sonko, s’alarme du peu de place faite aux femmes par le nouvel exécutif sénégalais. Parmi les 25 ministres nommés le 5 avril, elles ne sont que quatre.
« Comme si nous n’avions pas de femmes aussi compétentes que les hommes ! », se désolecette élue du Pastef à Bignona (sud), incarcérée à deux reprises dans les dernières années de mandat de Macky Sall ; une première fois à Dakar, en 2021, avec 17 autres militantes, et la seconde en mars 2023, après avoir pris la défense des enfants d’Ousmane Sonko, interdits d’école du fait de l’emprisonnement de leur père.
A peine 18 % des postes de hauts fonctionnaires et de dirigeants de sociétés étatiques annoncés au cours de trois vagues de nominations sont occupés par des femmes. « Il y a un déséquilibre qui s’accentue », déplore une responsable du Mojip, le mouvement des femmes du Pastef. Les mots sont mesurés, mais la colère exprimée marque une rupture dans un parti réputé soudé autour de ses chefs.
Opacité
« Le Pastef est à l’image de la société et des autres partis sénégalais. Il s’est conformé à la loi sur la parité pour les élections locales sans pousser davantage la féminisation des postes en interne. Il n’y a que très peu de femmes au sommet du mouvement », souligne Alassane Ndao, chercheur en sciences politiques à l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis. Face à ce début de fronde, une liste de noms de femmes a été transmise au duo exécutif en vue des prochaines nominations, d’après plusieurs sources au sein du Pastef.
Mais les critiques qui émergent en interne ne portent pas uniquement sur la parité : l’opacité qui a entouré certaines nominations étonne, alors que le Pastef a fait de la transparence l’un de ses chevaux de bataille. « Et les appels d’offres ? », interpelle un militant du parti, en référence aux promesses répétées d’ouvrir à candidatures les postes dans la fonction publique. Le programme « Diomaye Président », qui a servi de socle à la campagne du Pastef, promouvait en effet une réforme du « mode de recrutement » dans l’administration, qui passerait notamment par un « appel à candidature systématique ».
Si un projet de décret et un projet de loi sur « l’accès à la fonction publique, aux emplois et fonctions dans l’administration » ont été évoqués le 17 avril en conseil des ministres, aucun calendrier n’a été fixé. « Pour le moment, ce n’est pas la priorité, balaie un proche du président, même si on veut aller vers la transparence et la fin du népotisme ». Une pratique associée, chez les sympathisants du Pastef, à l’ancien président Macky Sall. Dans un livre paru en 2017, Ousmane Sonko, alors inspecteur des domaines et syndicaliste, avait notamment accusé le frère de l’ancien président, Aliou Sall, d’être responsable de malversations et de fraude fiscale.
Pour les soutiens du nouveau pouvoir, il y a urgence à étouffer les procès en reniement. « On ne peut pas mettre le pays entre parenthèses pour lancer des appels à candidatures, justifie Ibrahima Diallo, chargé de la communication au Pastef. On place des hommes en qui on a confiance pour gérer les urgences et on doit assurer la continuité de l’Etat. »