Dans le cadre juridique sénégalais, conformément aux dispositions de l’article 32 du Code de Procédure Pénale, la dénonciation trouve son assise légale, octroyant aux dénonciateurs la faculté d’agir dans l’anonymat. À l’opposé, les alerteurs opèrent sans mandat spécifique, dévoilant leur identité sans bénéficier d’une couverture juridique.
L’alerteur ne se confond ni avec un auditeur, ni avec un enquêteur, ni avec un vérificateur. Il se distingue également nettement du dénonciateur et du délateur. Cette distinction mérite d’être soulignée afin de saisir les enjeux de ce nouveau paradigme d’engagement civique, prôné par la société civile.
Le concept d’alerteur renvoie à un individu divulguant des informations confidentielles ou sensibles relatives à des activités illégales, frauduleuses, dangereuses ou contraires à l’éthique au sein d’une organisation, d’une entreprise voire d’une institution gouvernementale. Les alerteurs jouent un rôle crucial dans la promotion de la transparence et de la responsabilité, en mettant en lumière les pratiques frauduleuses qui sapent la bonne gouvernance et le développement économique.
Plus de dix (10) pays en Afrique ont légalisé ce phénomène. Au Sénégal, l’augmentation exponentielle de la criminalité financière, englobant la corruption, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, le détournement de fonds publics, la fraude fiscale, la violation des droits de l’homme, entre autres, génère une grave instabilité économique. Les politiques économiques et sociales sont détournées, la confiance des citoyens envers leurs gouvernements s’érode, le chômage des jeunes augmente, et les bénéfices ne profitent pas à l’ensemble de la population.
Dans cette perspective, l’adoption de lois spécifiques de protection, conformes aux normes internationales, s’avère nécessaire. Par exemple, la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, entrée en vigueur en décembre 2019, constitue un exemple de référence en la matière.
En France, la loi « Sapin II » de 2016, renforcée par la loi « Waserman » de 2022, octroie un statut complet de protection aux alerteurs.
Au Sénégal, la ratification de conventions internationales contre la corruption, la volonté politique de créer un cadre juridique et la mise en place d’une plateforme de signalement représenteraient des avancées notables vers des mesures législatives spécifiques pour protéger les alerteurs. De plus, des dispositions dans le code de procédure pénale pourraient contribuer à cette protection, mais elles nécessitent davantage de précision applicable en l’espèce.
Cette Loi requiert un travail méticuleux assorti de toutes les diligences nécessaires pour délimiter adéquatement son champ d’application et les équilibres juridiques entre les alerteurs et les personnes visées ou les victimes. Voici quelques idées visant à atteindre cet équilibre :
1- Canal de signalement sécurisé : Mettre en place un processus de signalement sûr et anonyme pour permettre aux alerteurs de communiquer leurs préoccupations sans craindre de représailles. Les entreprises et les organisations devraient disposer de mécanismes clairs et accessibles pour recevoir ces signalements.
2- Formation et sensibilisation : Sensibiliser les employés, les membres d’organisations et le public en général sur l’importance des alerteurs et sur la manière de traiter les signalements de manière appropriée et respectueuse.
3- Centre de Traitement des signalements : Mettre en place des procédures claires et équitables pour traiter les signalements, garantissant une enquête approfondie et impartiale. Les victimes potentielles doivent être protégées et soutenues pendant le processus.
4- Responsabilité et transparence : Les organisations doivent être tenues responsables de leurs actions et de leurs réponses aux signalements. La transparence dans la gestion des signalements et dans les mesures prises pour résoudre les problèmes est essentielle pour renforcer la confiance.
5- Un équilibre sur le respect des données personnelles : Instituées par la Loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 portant sur la protection des données à caractère personnel, elles doivent rester parmi les exceptions.
6- Sur le Profil de l’alerteur : Définir les critères ou le profil d’un alerteur et les conditions objectives à remplir, préciser les sujets ou faits susceptibles de déclencher une alerte et délimiter son champ d’application ;
7- Une conciliation avec certaines Infractions : Pour ne pas dévoyer ou vider le sens et la portée des dispositions relatives au secret professionnel, à la dénonciation calomnieuse, aux faux témoignages, et aux clauses de conscience et de confidentialité prévues par le Code du Travail.
8- Les Dangers : Éviter que ni les prête-noms qui s’auto-proclament, ni les alerteurs ni leurs victimes ne soient exposées aux menaces, à l’intimidation ou à d’autres formes de répression.
Enfin, un encadrement juridique adéquat doit concilier la protection des alerteurs avec la sauvegarde des droits des victimes, afin de préserver l’intégrité des voies légales dans un contexte où les alertes peuvent être soit salvatrices, soit abusives. Espérons que ce projet ne sera pas un » Serpent de mer » ou une Loi en désuétude en raison de sa mise en œuvre inopérante.
El Amath THIAM, Consultant en Droit, Président de « JUSTICE SANS FRONTIERE » au Sénégal