Le voile est une recommandation divine et derrière cette étoffe, certaines femmes voient une manière de se rapprocher d’Allah. Mais cela n’est pas sans conséquence. En ce 1er février déclaré Journée mondiale du Hijab depuis 2013, l’occasion est saisie pour lever un coin du voile sur les préjugés, remarques et critiques qui accompagnent le port du voile.
Par Arame NDIAYE
« Beaucoup de personnes pensaient que j’allais enlever mon voile au bout de quelques jours », a fait savoir Khadidiatou Diop Djitté sous le ton de la confidence. Son choix de porter le voile en a étonné plus d’un tant la jeune femme se décrit comme « une femme coquette avec un style bien prononcé ». Mais un beau jour, la juriste de formation décide de changer radicalement plus précisément en 2020. Un vendredi, la femme de teint noire et à la taille moyenne fait ce choix « de manière spontanée ». Cependant, les remarques n’ont pas manqué lors des premières semaines. « Il m’en faut plus pour me décourager car c’est la plus belle décision que j’ai prise de toute ma vie », dit-elle avec conviction.
Teint noir, sourire ravageur, formes callipyges, Aby Fall a tout pour séduire. Mais, il y a quatre ans en arrière, la femme de 22 ans a décidé de plaire à Allah en premier lieu. Elle décide de dire au revoir à sa vie d’antan. C’est fini les perruques, greffages, robes moulantes et décolletés. Bya pour les intimes décide de faire le tri dans sa vie et dans son armoire. Comme Khadija Diop Djitté, 2020 a été une année décisive. Une décision qu’elle base sur la recommandation divine. En dépit de cet argument qu’elle sert pour expliquer son choix, Bya ne manque pas d’essuyer des remarques.
Préjugés, remarques et critiques se dévoilent
« Un jour, je suis sortie avec ma grande sœur de dix ans mon ainée. Mais un monsieur m’a prise pour la plus âgée des deux. Il ne s’est pas arrêté là et a eu le culot de me dire que je risquais de finir vieille fille avec ce voile », dit-elle avec un rictus. Une remarque qui a encore du mal à passer chez la jeune voilée.
Adjoua Kya Basséne a également essuyé des critiques à en faire grincer des dents. La journaliste de 27 ans porte le voile depuis bientôt cinq ans. Ce qui pour elle est « un nouveau défi voire une nécessité », elle l’a vécu avec quelques tracas. À l’en croire, au début, plusieurs personnes autour d’elle ne la prenaient pas au sérieux. « Tu es très jeune pour mettre le voile ou encore attends de te marier d’abord » sont les commentaires auxquels la journaliste a eu droit. Certains sont allés plus loin en la défiant histoire de voir si dans un mois ou deux elle n’allait pas enlever le voile. « À chaque fois, je ne faisais que sourire. Je savais au fond de moi que toutes ces personnes auront tort par la grâce d’Allah », confie-t-elle. Un pari réussi car voilée depuis bientôt cinq ans !
« Je ne sentais pas beaucoup d’encouragements en plus la perception du voile était telle que les gens te prenaient d’emblée pour quelqu’un de radical », a révélé Mariama Diémé. Elle explique cela par « certaines étiquettes » qu’on colle aux voilées comme étant des personnes compliquées ou encore anticonformistes. « Il y a beaucoup de préjugés concernant le voile ce qui fait que beaucoup de filles ont peur de se voiler », admet la journaliste. Cette dernière tient à rappeler que le port du voile est une « recommandation divine » et qu’une femme musulmane ne doit pas sortir la tête découverte dans les normes. Pour elle, il est important de lever ce coin du voile.
Un déclic ? Les rappels islamiques
La Radio Dunya Vision (Rdv) diffuse, un vendredi après-midi, un film dénommé « Al Hassane ». Mais il est loin d’être une production cinématographique comme les autres. Le thème central de ce film tout droit sorti d’un thriller est la vie après la mort. Hassane, le protagoniste, est décrit comme un homme qui négligeait les recommandations divines et le téléspectateur suit son sort après sa mort. Un film qui en a fait frémir plus d’un et a en éveillé plus d’un par la même occasion. Mariama Diémé garde encore en tête la fin de ce film diffusé en 2007. « Voilez-vous avant qu’on ne vous couvre de voile et si vous ne priez pas, on va prier sur vous le jour de votre enterrement ». Des paroles qui ont fait échos chez elle et ont poussé la jeune femme à se voiler à l’âge de 17 ans. « Je recevais beaucoup de réflexions comme quoi c’est le film qui m’a influencée et que je n’étais pas sincère dans ma démarche. Car beaucoup de filles s’étaient voilées à cette époque », se remémore-t-elle. Mais la journaliste se dit guider par la foi. Une foi inébranlable face à toute épreuve car le voile lui procure respect et protection !
Faynara, une tiktokeuse aux milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux (978.000), quant à elle, a décidé de porter le voile après une longue réflexion. Elle confie sur Tiktok avoir pris cette décision car elle a compris que « tout ce que Dieu a créé de précieux dans ce monde est couvert et protégé (…) ». Un rappel qui a également résonné chez Adjoua Kya Basséne. « La phrase que j’ai retenue et qui revenait en boucle dans ma tête est que laisser ses cheveux à l’air libre, exposés à tous, c’est comme se promener sans vêtements », se souvient-elle. C’est ainsi que la femme de 27 ans décide de se départir de tout habit susceptible de la freiner dans son élan.
« J’ai ressenti ce besoin lorsque j’ai appris ma religion et que j’ai su que c’était une obligation. Je me suis également rendu compte que je pouvais mourir à tout moment donc je n’ai pas hésité plus longtemps », avoue Adja Diallo, étudiante en master 2 en droit privé. Aby Fall a aussi eu un déclic en consultant un rappel islamique sur le voile plus précisément la sourate 33 verset 59. « O Prophète ! Dis à tes épouses, et à tes filles, et aux femmes des croyants de ramener sur elles leurs grands voiles ; elles en seront plus vite reconnues et exemptes de peine », répète-t-elle telle une litanie.
Ça bouge sur les réseaux sociaux
« Je crois plutôt que les Sénégalais complimentent plus les voilées. Sur les réseaux sociaux, on nous répète tous les jours que nous sommes les plus belles », reconnait Adjoua Bassene.
C’est également sur ces réseaux que Pape Abdou Khadr Mbodj essaie de « faire taire les préjugés et clichés » sur les voilées. À travers sa page Facebook « Voilez-vous » créée en 2015, il y partage avec ses 400.000 abonnés des rappels et textes pour déconstruire certaines idées reçues sur le port du voile.
« Le voile est très mal compris au Sénégal ou on a l’habitude de dire aux voilées que la chaleur est un obstacle au port du voile, d’attendre d’être mariée, etc…… Il est plus ou moins difficile d’y mettre le voile même si certains efforts sont remarqués par la plupart des filles », relativise-t-il.
SOULEYMANE LO, SOCIOLOGUE
« La présence d’une femme voilée peut parfois déclencher des regards méfiants ou des réactions négatives… »
Au Sénégal, la question du port du voile par les femmes suscite souvent des débats animés. C’est ce que reconnait d’emblée Souleymane Lo. Pour le sociologue, Il peut aussi être source de discrimination, de stigmatisation ou de harcèlement. « La présence d’une femme voilée peut parfois déclencher des regards méfiants ou des réactions négatives, accentuant ainsi leur sentiment d’exclusion et de marginalisation », explique-t-il. Ainsi, ajoute-t-il que dans certains cas plus extrêmes, des femmes voilées peuvent faire face à une marginalisation de la part de leur entourage ou de la société en général. Cette marginalisation peut prendre différentes formes, allant de l’évitement social à l’exclusion volontaire. Cette situation est préjudiciable à la vie sociale, psychologique et émotionnelle de ces femmes, qui se retrouvent ainsi privées de leurs droits fondamentaux à l’inclusion et à la participation pleine et entière à la société. « Il convient de mentionner la médisance à laquelle ces femmes peuvent être exposées. Des ragots et des rumeurs infondées circulent parfois à leur sujet, alimentant de fausses perceptions et contribuant à alimenter des préjugés négatifs », relève M. Lô.
« Il est important de sensibiliser la société à la diversité des expressions de la foi, de promouvoir le respect des choix individuels et de favoriser une coexistence pacifique entre les différentes composantes de la société pour une meilleure compréhension mutuelle et une société plus inclusive », plaide-t-il. Car pour lui chaque femme est libre de décider si elle veut ou non porter le voile, en fonction de sa foi, de sa culture, de son éducation ou de ses convictions personnelles.
[VOILE-LIBRE] Nous ne sommes pas parfaites !
« La Perfection absolue n’appartient qu’à Dieu » comme dirait un vieil adage. Il en est de même pour les voilées. Au risque de décevoir certains, nous ne sommes pas des modèles de perfection. Nous avons nos failles. Laissez-moi vous apprendre un truc : « nous commettons des péchés ». Nous nous battons également avec nos démons et sommes également sur la voie pour être plus proche d’Allah. Donc non, nous ne sommes pas des modèles de piété. Cause nobody is perfect (personne n’est parfait !).