Tueur silencieux, le cancer a emporté, ces derniers mois, des célébrités au Sénégal. Le cas le plus populaire est celui de feue Momy Dany Seck. Attristées par ces décès, beaucoup de femmes ont pris d’assaut les centres de dépistage tels que les locaux de la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) pour se faire dépister et connaître leur état de santé.
Reportage de Mariama DIÉMÉ « LE SOLEIL »
Nichée au quartier Sacré Cœur, précisément à proximité du rond-point Jvc, la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) est actuellement le lieu de convergence de beaucoup de femmes. Et pour cause, la campagne « octobre rose » de sensibilisation et de dépistage du cancer du sein, initiée par cette structure, bat son plein. Elles viennent ainsi de bonne heure pour être parmi les femmes bénéficiaires du dépistage du cancer du sein. Une banderole rose bien accrochée à l’entrée informe du déroulement de la campagne « octobre rose ».
Les lieux semblent un peu étroits pour contenir les femmes qui veulent se faire consulter. Mais, tout est bien organisé dès l’entrée des lieux, dans la salle d’accueil. Deux jeunes dames orientent les femmes à l’arrivée. « Que voulez-vous madame ? », vous interrogent-elles, dès que vous arrivez sur place. « Cette année, le dépistage se passe très bien et mieux que les années précédentes. Il y a beaucoup de femmes qui viennent et elles sont là depuis 6h 30 minutes du matin à attendre le démarrage de la consultation », nous confie l’assistante de la Lisca, Ndèye Magueye Fall Guèye. En cette matinée, notre interlocutrice est débordée. Elle reçoit des appels aussi bien sur le téléphone fixe que sur son portable. De temps à autre, elle quitte la salle de réception, entre dans un bureau à côté et en sort quelques minutes pour régler quelques formalités, son téléphone scotché à l’oreille. Interpellée sur la cause de l’affluence, elle déclare : « Vu l’actualité, on parle beaucoup du cancer et nous avons aussi des cas de décès des personnalités qui ont fait un peu peur aux gens. Les femmes nous disent souvent qu’elles veulent se faire dépister parce qu’elles ont constaté qu’il y a de plus en plus de cas et de décès liés aux cancers. Donc, elles veulent en savoir plus et cela passe par le dépistage ».
Tourmentée, Satou Sy, « nom d’emprunt », l’est vraiment en suivant l’actualité. Cette jeune dame, la trentaine, mariée et mère de deux enfants, est venue se faire dépister pour la deuxième fois dans l’année. Trouvée dans l’arrière-cour des bureaux de la Lisca, elle attend son tour pour passer chez le médecin. Cette jeune dame, téléphone à la main, suit le fil d’actualités sur son compte Facebook. Vu les ravages causés par le cancer, elle trouve que c’est une « nécessité », aujourd’hui, de se faire consulter. « Si on suit l’actualité, on remarque que le nombre de cas de cancers en général augmente et touche en particulier les femmes. Il s’agit des cancers du sein et du col de l’utérus. Selon les chiffres qu’on entend à la radio, c’est alarmant. Même en temps normal, il faut se faire dépister », estime-t-elle.
Les dangers du cancer
Aujourd’hui, au-delà des informations véhiculées, notre interlocutrice fait savoir que personne n’est à l’abri et que chacun a forcément une connaissance qui vit avec la maladie. Avec une sœur atteinte de cancer, et qui est en train de suivre un traitement, Satou n’a pas l’esprit tranquille. Elle a déjà fait la mammographie au début de l’année et là, elle profite aussi de l’occasion pour revenir contrôler son état de santé. « On n’est jamais assez prudent. Ce qui me fait peur, c’est le nombre de cas qui augmente et les spécialistes disent que c’est lié à notre style de vie, en particulier l’alimentation. C’est presque inévitable. C’est comme si, forcément, tout le monde va y passer si on ne change pas nos habitudes. Et comme on n’arrive pas trop à le faire, autant être prudent et aller se faire consulter », souligne-t-elle. Avant d’ajouter « il faut que tout le monde s’y mette pour lutter contre le cancer, en fonction de ses moyens, pour aider des organisations comme la Lisca et cette solidarité est valable pour toutes les maladies ».
Le combat contre le cancer, sous toutes ses formes, Ndèye Khady Ndiaye Ba en fait une affaire. Assise derrière Satou, cette dame, la quarantaine, de teint clair, habillée en voile de couleur rose et blanche pour marquer le mois, n’est pas là uniquement pour se dépister. Au-delà, elle veut aider ses sœurs, les autres femmes, à comprendre comment cela marche d’abord et, au retour, les encourager à se faire dépister. « Au mois d’octobre, il y a une bonne sensibilisation et c’est ce qui m’a éveillée. Certes, je n’ai pas de douleur, je n’ai rien mais, il y a le décès récent de Mme Momy Seck, (directrice de Sen Tv : Ndlr) et de la journaliste Fatou Kiné Dème que m’ont vraiment fait peur », témoigne Mme Ba. Elle qualifie le cancer de tueur silencieux. « Ma tante est décédée du cancer, il y a 4 mois. Donc, j’ai subi un choc émotionnel qui me fait peur actuellement. J’aimerai bien sensibiliser les autres femmes. Je le fais à la maison, mais aussi dans les réseaux sociaux, via mes groupes WhatsApp, partout où je me rends. J’ai décidé même d’acheter beaucoup de pin’s que je vais offrir aux femmes pour les pousser à se faire dépister », raconte-t-elle d’un air triste.
Cependant, Ndèye Khady Ndiaye Ba indique que, depuis qu’elle a commencé à parler de la maladie, des femmes de son entourage n’ont pas pris l’engagement de se faire dépister. « Mais, je pense que je vais organiser un convoi en groupe pour les faire venir de force et cela j’y tiens », soutient-elle avec un fou rire.
Pour cette dame, certaines femmes ne sont pas encore conscientes des dangers du cancer. Pour les conscientiser, Mme Ba trouve que la lutte contre le cancer doit se faire de façon mensuelle ou trimestrielle, et non annuelle avec « octobre rose ». « Il faut continuer à faire du tapage, au-delà de cette sensibilisation d’un mois. Dans les régions et, notamment, dans les villages les plus reculés, il y a moins de sensibilisation et plus d’analphabètes. Donc, les autorités sanitaires doivent agir là-bas. Il faut aussi une sensibilisation autour du cancer du col de l’utérus qui tue aussi bien que celui du sein. Dépistons-nous, dépistons-nous, dépistons-nous », lance-t-elle de manière ferme.
Toutes les tranches d’âge
Le dépistage ne doit pas seulement être l’affaire de femmes mariées. Dans les locaux de la Lisca, on y rencontre toutes les tranches d’âge. Astou Diop, 25 ans, célibataire, fait partie de ces jeunes filles qui se sont levées tôt pour venir s’enquérir de leur état de santé par rapport à ce tueur silencieux. « Plus on détecte le cancer tôt, plus c’est facile de le prendre en charge et de faire le suivi. Au Sénégal, nous n’avons pas les moyens financiers nécessaires pour se soigner si on laisse la maladie atteindre un certain niveau. C’est pourquoi beaucoup de personnes succombent », regrette-t-elle. Elle invite ainsi les filles de son âge à se faire dépister régulièrement. « Ici, le personnel est accueillant et c’est rassurant pour les femmes qui viennent se faire dépister. Même si on fait l’autopalpation à la maison, on n’est pas des spécialistes pour savoir si on a un cancer ou pas. Donc, c’est très important d’aller se faire consulter à l’hôpital auprès d’un spécialiste », conseille-t-elle.
Plus de 100 femmes consultées par jour
En faisant le point de la campagne « octobre rose », Ndèye Maguèye Fall Guèye de la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) a informé qu’au moins 120 femmes sont consultées par jour dans leurs locaux. « Il y a quelques jours, nous avons reçu 150 femmes. Au moment où je vous parle, nous sommes déjà à 100 femmes, alors qu’il n’est que midi ».
Selon Mme Guèye, les candidates au dépistage viennent de différentes localités de Dakar, notamment Rufisque, Keur Massar, Guédiawaye et Pikine. « Nous sommes obligés de les accueillir ici parce que nous n’avons de bureaux dans ces localités », a-t-elle reconnu. Mme Guèye a précisé qu’il n’y a que le dépistage qui protège des femmes contre les cancers. « Le cancer est une maladie qui se soigne et se guérit. Et à la Lisca, les consultations sont gratuites, surtout en cette période de campagne « Octobre rose » où les acteurs de la santé sensibilisent les femmes pour le dépistage des cancers, plus particulièrement celui du sein », explique-t-elle. Elle ajoute : « Ici, il y a deux à trois médecins qui se chargent des consultations. Quand la femme arrive, elle se fait examiner par un médecin pour déterminer son état de santé. Si c’est une jeune fille qui a moins de 30 ans, le médecin lui prescrit une échographie », a-t-elle détaillé. Pour réaliser tous ces examens, la Lisca est en partenariat avec des radiologues qui ont baissé des prix jusqu’à 8000 FCfa. « Pour la mammographie, le médecin examine la patiente et nous la renvoie pour que nous mettions, à sa disposition, gratuitement, un bon de mammographie et, au lieu de payer 30 000 FCfa, elle ne donne que la moitié de cette somme », souligne Mme Guèye.