Situé sur la route des Niayes, précisément au croisement Tivaouane Peulh, l’«Hôpital traditionnel de Keur Massar» déparait par rapport aux structures classiques de prise en charge des maladies au Sénégal. Là, le maître mot est médecine traditionnelle et phytothérapie. Immersion dans un univers où les soins, les médicaments, les plantes se combinent dans un cocktail atypique.
Ce samedi matin, ce n’est pas le grand rush au service d’accueil. La clientèle se fait rare contrairement aux autres jours de la semaine. Plusieurs affiches sont postées sur les tableaux qui relatent l’histoire de la création du centre. Dans les rayons sont exposées des publications sur la médecine traditionnelle Africaine. Elles vantent les bienfaits de la médecine africaine dans la lutte contre certaines maladies comme la lèpre, Lyme, l’asthme. Mais elles retracent aussi l’histoire de la création du site des lépreux. La rue qui traverse le centre est très fréquentée par les habitants des quartiers riverains, notamment ceux de la cité gendarmerie et ceux de la « cité hôpital traditionnel de Keur Massar ». Ils empruntent cet axe pour prendre les bus Tata, les cars Ndiaga Ndiaye afin de rallier le centre-ville de la capitale Dakar. « Ce domaine appartient à l’Etat du Sénégal. Toutefois, le domaine de HTK n’a pas été épargné par la pression foncière. Auparavant, il était à 80 ha mais aujourd’hui, il fait moins de 4 ha », nous affirme un responsable du centre. A quelques mètres du portail, une case, contiguë à la pharmacie fermée, porte le nom de Denis Guichard, et sert de service d’accueil des malades et leurs accompagnants. Les fiches de consultation sont établies par la responsable. Elle assure la vente des tickets de consultation, l’orientation des malades et reçoit les appels téléphoniques. Le prix du ticket est à 1000 F Cfa. La responsable du service accueil nous précise cependant : « Les gens font la confusion entre le grand hôpital de Keur Massar et l’hôpital traditionnel de Keur Massar. Nous avons reçu plusieurs appels alors que ces personnes voulaient s’adresser à l’hôpital moderne de Keur Massar. Nous leur précisons qu’ils se sont trompés de numéro puisque, nous, on est l’hôpital traditionnel de Keur Massar. Cela arrive fréquemment ».
Consultations à risque
Le troisième bâtiment en face du laboratoire abrite les salles de consultation. Celles-ci sont équipées de lits et de chaises. Une fois que le malade a pris place, le phytothérapeute lui donne un pot dans lequel il va respirer. Le produit que l’on inhale est très piquant, plus que l’oignon. Le phytothérapeute demande alors au patient ce qu’il ressent. Les réponses du malade permettent à Mr Djiby Ba d’établir le diagnostic. Au cours de cette séance, le patient vomit. C’est le produit qu’il inhale qui provoque des vomissements. Interrogé sur la nature du produit inhalé, Mr BA estime : « c’est un secret que je ne peux révéler. Une chose est sûre, c’est un produit fait à base de plantes ». Sûr de son travail et de sa méthode, il nous avoue alors : « J’ai récusé plusieurs diagnostics faits par les médecins. Les maux de ventre, lyme qui est un palu chronique. Car, ces pathologies pouvaient être traitées dans un délai de 15 jours. Donc, si le malade ne guérit pas, il n’y a l’ombre d’aucun doute, c’est que le diagnostic du médecin pose problème », avance le phytothérapeute et coordonnateur de l’hôpital.
Au minimum, 15 personnes se font consulter par jour à l’hôpital traditionnel. La médecine traditionnelle est l’ultime recours pour ces malades qui ont fait le tour des hôpitaux sans trouver de remède à leur mal. Autre raison invoquée : les factures des soins trop chères qui les obligent à changer de lieu pour se faire traiter. Car les tradipraticiens proposent des prix qui sont à la portée de toutes les bourses. Par contre, les résultats de la médecine traditionnelle sont mitigés. Pis, le risque d’un faux diagnostic est élevé. « Il y a des tradipraticiens qui s’évertuent à interpréter des bilans médicaux réalisés dans les structures hospitalières : Fann, Aristide le Dantec etc… », nous révèle un malade rencontré devant l’enseigne de l’hôpital. Le coordonnateur du centre rejette cependant toutes ces accusations. « On voit tout dans notre métier», indique le patron du centre « le travail d’un médecin est différent de celui d’un tradipraticien. Il est évident qu’un phytothérapeute ne peut se substituer à un médecin».
Le jardin botanique sinistré
Les pertes recensées au jardin botanique ont été considérables avec l’hivernage. Plus de « 50 espèces végétales sont détruites par les eaux pluviales qui ont envahi tout le périmètre de l’hôpital.», révèle le phytothérapeute. Et d’indiquer : « Nous avions planté divers végétaux pour la fabrication de produits pour soigner des maladies comme le diabète, l’hémorroïde, les troubles de la mémoire entre autres. Les inondations enregistrées l’année dernière ont occasionné la mort beaucoup d’espèces végétales. Il s’agit des alovera pour la lutte contre les bactéries, les filaos anti-douleur, les Law Sonia ( henné), antibiotique désintoxifiant ainsi que l’eucalyptus qui soigne les difficultés respiratoires comme l’asthme, le rhume etc. »
Absence de lois sur le contrôle des produits et du personnel
En ce qui concerne la certification du laboratoire de recherche et de production, le phytothérapeute explique que le laboratoire national de contrôle des médicaments « a refusé que nos produits soient testés là-bas. Car, les dispositions en vigueur ne permettaient pas cela. Dans les pays comme Burkina, le Mali, la médecine traditionnelle est reconnue. Nous avons des dépôts de médicament en France, précisément dans les Vosges ». . Et Mr Djiby Ba, responsable de l’ex-centre de soins anti lépreux de Keur Massar appelé aujourd’hui hôpital traditionnel, créé sous l’égide de l’association « Rencontre des médecines » de soutenir qu’ «au Sénégal, la médecine traditionnelle n’est pas reconnue mais elle est tolérée.
Le bâtiment qui fait face à la salle de consultation quand on se dirige vers la sortie principale abrite l’unité de production de médicaments et le « labo de recherche ». Pour obtenir des extraits des plantes, on fait bouillir leurs feuilles, écorces à l’aide d’une cuisinière. Le visiteur manque d’étouffer à cause de la forte chaleur ambiante. Samba Talla, préparateur, est en train de mettre sous emballage des produits. Sur les sachets ou les flacons, on peut lire le nom du médicament, la date fabrication et sa péremption. « Chaque produit coûte 1000 F Cfa. Le protocole paye un peu plus cher 10 000 FCfa », révèle Madame Ba, la gestionnaire de la pharmacie. Et de préciser que « Le protocole présente des avantages pour le malade. En ce sens que s’il est victime de plusieurs pathologies, il peut guérir sans problème ». Pour le « Dr Djiby Ba de Htk » comme l’appellent certains malades à travers des mails qu’ils lui envoient. Les résultats sont globalement satisfaisants. « Nous avons guéri plusieurs malades. Ceux qui sont en Europe nous envoient souvent des mails pour nous informer de l’évolution satisfaisante de leur état de santé», a-t-il révélé. Et de plaider, face à l’accès aux médicaments qui demeure un véritable casse-tête pour les populations, au renforcement de la confiance envers la médecine traditionnelle. Et cela d’autant plus dans nos pays, « 53% des sénégalais n’ont pas accès aux médicaments essentiels », comme l’avait révélé feu le Dr Issa Mbaye Samb, ministre de la Santé d’alors. Qui plus est, selon le coordonnateur de l’hôpital traditionnel, « l’Organisation mondiale de la santé relève que 80% de la population africaine fait recours à la médecine traditionnelle». D’où la nécessité pour lui de « légaliser » l’exercice de cette profession.