La pratique de la médecine traditionnelle est toujours à l’état anarchique au Sénégal. Des cabinets sont ouverts un peu partout dans le pays, des tables installées dans chaque coin de la rue. Des consultations se font sans un cadre juridique clair, des prescriptions causant dans la majorité des dommages sanitaires dans la prise en charge de certaines pathologies. Malgré un département au ministère de la Santé et de l’action sociale pour la médecine traditionnelle, son organisation semble toujours figée, en dépit de l’annonce d’une loi sur l’exercice de cette pratique.
Selon la définition de l’Organisation mondiale pour la santé (Oms) la médecine traditionnelle est la somme totale des connaissances, des compétences et des pratiques que des cultures autochtones et différentes ont utilisées au fil du temps pour préserver la santé et prévenir, diagnostiquer et traiter les maladies physiques et mentales . Cette pratique est incontournable dans la prise en charge de la couverture maladie universelle en Afrique. Au Sénégal, une bonne partie de sa population, soit 80%, se soigne à base de plantes ou consulte les tradipraticiens en cas de maladie. La médecine traditionnelle est souvent le premier recours et le dernier après un désespoir dans la médecine moderne. Au Sénégal, conscient de l’importance de cette pratique de la médecine pour la population, une cellule médecine traditionnelle a été créée en 2014 au sein du ministère de la Santé et de l’action sociale avec comme mission, d’impulser et de promouvoir la médecine traditionnelle dans le système national de santé préventif et curatif; d’organiser l’exercice et la pratique de la médecine traditionnelle à tous les niveaux; de coordonner et suivre la mise en œuvre des activités de la médecine traditionnelle mais aussi de coordonner l’élaboration des textes législatifs et règlementaires régissant la médecine traditionnelle qui prend en compte le médicament et le traitement. Cependant, elle se heurte aux charlatans qui sapent le travail de toute une génération rendant la crédibilité des tradipraticiens en doute ou en péril. Dans cette mêlée, il est souvent difficile de différencier le tradipraticien du charlatan. Selon le coordonnateur de la médecine traditionnelle au sein du ministère de la Santé et de l’action sociale, le professeur Emmanuel Bassène, la reconnaissance d’un traditipraticien se fait par sa communauté. « La médecine traditionnelle est souvent un héritage. Au sein de la communauté, leurs habitants les connaissent et c’est grâce à eux qu’on peut déterminer qui l’est et qui ne l’est pas». En l’absence d’un cadre juridique clair, les tradipraticiens ont essayé de s’organiser au niveau communautaire, régional et national afin d’assainir le milieu. Seulement, ils se heurtent à la présence « de guerrisseurs étrangers » qui mettent les gros moyens dans le domaine de la communication pour se faire connaitre et connaitre leur produit. Cette pratique est décriée par les praticiens de la médecine moderne qui enregistrent des cas graves dans certaines pathologies du foi, du cœur ou encore de l’estomac après une consultation chez eux. Un problème de dosage est décrié dans la prescription aggravant l’évolution de la pathologie en traitement. Pour Gaoussou Sambou, président de la Fédération des tradipraticiens du Sénégal, ce métier leur tient à cœur. « Il n’y a toujours aucune voie pour légaliser et encadrer le travail des tradipraticiens. Depuis 2006, nous attendons la loi sur la réglementation de la médecine traditionnelle. L’attente a trop duré» a fait savoir M. Sambou.
LE CHOIX DU SENEGAL
Le Sénégal, tout en œuvrant au développement de la médecine traditionnelle, s’est fixé comme objectif à court terme de développer la médecine moderne par les plantes, c’est-àdire la phytothérapie en phase avec l’Organisation mondiale de la santé. Grâce à la disponibillité d’assez de résultats scientifiques sur les plantes locales avec des résultats qui rassurent quant au développement de médicaments à base d’extraits de plantes selon nos autorités sanitaires, ce secteur est en phase d’expérimentation. Des produits étant disponibles, il reste le cadre juridique. Au sein du ministère de la Santé et de l’action, le document de politique nationale de médecine traditionnelle et de phytothérapie en a défini les axes stratégiques qui seront mis en oeuvre. Il s’agit de deux textes élaborés grâce au soutien du Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Emergeant dont le projet d’arrêté portant création de la commission de la pharmacopée et du formulaire national, et le projet d’arrêté fixant les conditions d’octroi de l’Autorisation de Mise sur le Marché des Médicaments à base de plantes.) Pour le professeur Bassène Il n’y a que la phytothérapie qui peut permettre à la médecine traditionnelle de s’imposer et d’évoluer. « La phytothérapie peut permettre de créer un cadre, de normaliser. Elle a les mêmes canevas de normalisation que la médecine moderne. Or, dans la médecine traditionnelle, chacun à sa façon de faire. C’est possible qu’on parvienne à des consensus grâce à la phytothérapie » a-t-il avancé.
L’ASSAINISSEMENT DU MILIEU
En 2016, le gouvernement avait validé en conseil des ministres le projet de loi pour l’encadrement de l’exercice de la médecine traditionnelle. Le texte devrait être soumis aux parlementaires la même année pour une validation, mais, il est toujours dans les tiroirs à cause de l’opposition des praticiens et des pharmaciens. A terme, il était attendu « qu’un médecin traditionnel devra obtenir une autorisation du ministère de la Santé pour exercer ». Un projet de loi qui selon les acteurs de ce plaidoyer, instaure « l’obligation de se spécialiser dans un domaine et interdit donc de proposer des soins pour plusieurs types d’affections ». Pour les plantes médicinales, « leurs propriétés et les dosages à indiquer seront établis par un laboratoire de contrôle. Les médicaments de la médecine traditionnelle devront ainsi obtenir une autorisation de mise sur le marché». Alors que le texte devait être sur la table des parlementaires, les professionnels de la santé avaient apposé leur veto en dénonçant un texte «dangereux» et ont prévenu le chef de l’Etat d’un «crime rampant» intenté contre le peuple si toutefois ce projet est voté. Les blouses blanches déploraient le fait que le texte ne fait pas la différence entre le médecin, le chirurgien, le pharmacien. L’Inter-ordre des professionnels de la santé qui regroupe l’Ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes, des pharmaciens et des docteurs vétérinaires, est le garant des règles déontologiques et des pratiques médicales.
L’OMS SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA MEDECINE TRADITIONNELLE
Pour l’Oms, le recours à une médecine traditionnelle de qualité peut faciliter la fourniture de soins de santé, en particulier dans les zones rurales éloignées où les systèmes de soins de santé conventionnels sont limités. Ainsi, à l’ouverture en Inde d’un sommet mondial sur la médecine traditionnelle en août dernier, le chef de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) a invité ses Etats membres à formuler des recommandations spécifiques, fondées sur des données probantes et exploitables. Celles-ci pourront ainsi servir de base à la prochaine stratégie mondiale de l’Oms en matière de médecine traditionnelle. « Je vous invite à faire de cette réunion le point de départ d’un mouvement mondial visant à libérer le pouvoir de la médecine traditionnelle grâce à la science et à l’innovation », a déclaré Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, relevant les énormes contributions à la santé humaine apportée par la médecine traditionnelle. Pour le chef de l’OMS, la médecine traditionnelle n’appartient pas au passé. Elle fait l’objet d’une demande croissante dans tous les pays, toutes les communautés et toutes les cultures. «À un moment ou à un autre de notre vie, la plupart d’entre nous auront recours à une forme ou à une autre de médecine traditionnelle », a-t-il affirmé..