Sébikotane, une ville assez connue et cosmopolite de nos jours, a pourtant été, dans le temps, une contrée fermée. L’administration coloniale a dû fortement se battre pour sortir de son autarcie cette contrée habitée par les Sérères Saafi.
« Gouy Sippi ». Un baobab géant qui déploie toute sa majesté sur la route nationale n° 2, à droite de l’entrée de Sébikotane, en venant de Dakar. Il est imposant par sa forme, mais aussi par son histoire qui se confond avec celle de cette localité. Situé au quartier Kip-Kip, premier site de peuplement de Sébikotane, il se dit que cet arbre, du fait de son généreux ombrage, était un site d’escale privilégié des gens de passage, en direction de la côte où se déroulait une intense activité commerciale dont la traite des esclaves. « ‘’Gouy Sippi’’ est le lieu où les négriers, en provenance de l’intérieur du pays, s’arrêtaient avec leurs esclaves avant d’aller vers les comptoirs de Rufisque, Dakar et Gorée. Le mot ‘’Sippi’’ signifie se débarrasser. On peut aisément comprendre qu’il s’agit du baobab de la décharge », explique le Professeur Mamadou Kandji, ancien Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Ucad et natif de Sébikotane. Le traditionaliste Omar Diouf, dit Ngalla, notable de la cité, précise que c’est à partir de ce baobab que leurs ancêtres se sont établis puis, sont partis vers d’autres contrées. Abass Ciss, un des Imams de Sébi, se fait plus précis. « Nos aïeuls étaient des Sérères Saafi venus du Sine. À bord des pirogues, ils sont passés par la mer à la recherche d’une terre d’accueil. Puis, arrivés à Yenn, ils sont descendus et chacun a choisi sa destination. C’est ainsi que Kass Ndiémé devient le premier occupant de Sébikotane », raconte-t-il.
L’origine du « Sébikhotane », un mélange de pratique et de lieu
Le nom originel de la localité est une composition un peu étonnante. « Seb » renvoie à « des tiges tressées qui servaient de plâtres aux fractures ou entorses », selon Ngalla Diouf. Cette pratique émanait d’une guérisseuse qui immobilisait le membre fracturé grâce au « Seb ». Puis, toujours selon Ngalla, « il existait ici un lieu pour l’autoglorification appelé Khoutann ». « C’étaient des espaces ludiques, de sorcellerie et de déchiffrement », précise Professeur Mamadou Kandji. L’agencement des deux pratiques les plus réputées de la zone aurait donc donné l’appellation de Sébikotane. C’est l’histoire la plus répandue.
Mais, l’un des notables détient une toute autre version de l’histoire autour du nom. Abass Ciss explique que le colon avait trouvé des cultivateurs dans un champ de coton, il a demandé le nom de la culture. Dans un wolof déformé, ils répondent du « Wutan » (coton). La déformation a donné Sébikotane. Par ailleurs, le Pr Mamadou Kandji indique que « Sebbi Kotaan » signifie là où on récolte du vin de palme car il y avait une profusion de palmiers dans cette zone.
À l’origine du peuplement, fuir l’islamisation
Sébikhotane peut se résumer en trois expressions qu’on empruntera au professeur Gana Fall : « ville d’espoir », « ville de lumière » et « ville d’histoire ». L’arrivée des Sérères Saafi est la suite d’un long péril pour fuir l’islamisation et la cavalerie Ceddo. En effet, la tentative d’échapper à l’islamisation a poussé les Sérères à quitter la Vallée du fleuve Sénégal, considérée comme le centre de la nation sénégalaise où toutes les ethnies s’étaient regroupées. Les premiers peuples sérères trouvent leur origine en Égypte, renseignait Cheikh Anta Diop. Très attachés à la religion du terroir, ils n’ont pas voulu se convertir à l’Islam qui met en avant l’unicité de Dieu et l’abandon de toute pratique païenne.
Ainsi, selon le Professeur d’histoire Gana Fall, « les Sérères sont venus s’installer dans des contrées situées dans des plateaux. L’un est entre Diass et Mont Rolland, dans le Nduut. Ce sont des zones refuge situées en hauteur, avec une forêt dense. Il s’agit presque d’une bunkerisation. Ainsi, Sébikotane est créé en 1736 », narre-t-il. Après avoir réussi à fuir l’islamisation, les Sérères devaient, à présent, faire face à la traite négrière.
De ce fait, indique l’enseignant au département d’Histoire de l’Ucad, les Lamanes ont créé le village. Les Lamanes étaient ceux qui s’emparaient des terres soit par le feu soit par la hache. Pour Sébikotane, Lamane Ndiagne est le nom rattaché à l’expansion de Sébikotane. Ainsi, les Sérères Saafi de Sébikotane ont vécu en autarcie pendant un bon bout de temps. Ils n’avaient de contact avec personne. « Ils produisaient ce qu’ils mangeaient et n’avaient pas besoin de sortir », selon Abass Ciss.
Mais, comme toute société doit faire face à des attaques, les Saafi ont organisé un système de défense performant. « Ils confiaient des ‘’Ngolir’’ (corne servant d’instrument de communication) à un membre du clan. Lorsque des intrus leur voulaient du mal, il sifflait sur la corne pointue. Les habitants alertés montaient sur les collines avec les arcs. Ils arrivaient à repousser l’ennemi », narre Abass Ciss.
L’enclavement de Sébikotane a pris fin, après un long processus commencé par l’attaque de la garnison de Pout par les Saafi, en 1863. Ils considéraient que leurs terres avaient été profanées avec l’installation de ce poste colonial. « Ils ont massacré la garnison et sont retournés triomphants. Une année plus tard, le colon, après une longue et minutieuse préparation, organise une attaque et prend sa revanche sur les Sérères Saafi de Sébikotane », révèle Gana Fall. Une série de batailles sera ensuite menée avant que les Sérères ne capitulent définitivement. Après plusieurs expéditions punitives du colon, matérialisées par le pillage des greniers et l’enlèvement du bétail, c’est en 1891 que le petit pays Saafi s’ouvre au reste du monde, mettant ainsi fin à une très longue autarcie. L’administration coloniale crée beaucoup de pistes d’accès à Sébikotane. À partir de là, les religions révélées s’installent…
Sébikotane, ville cosmopolite
Le melting-pot de Sébikotane est la résultante de l’hospitalité de la société Saafi et de ses mécanismes d’adoption. C’est la conviction du traditionaliste Ngalla Diouf qui indique que « quand un étranger vient, on fait tout pour l’insérer dans une lignée et, à la longue, sa descendance pense qu’elle est sérère de souche. On enterre totalement son passé ». Cette adoption, qui fait que l’étranger s’identifie à ses bienfaiteurs, se fait à travers les lignées ou matriclans.
De nos jours, toutes les ethnies se rencontrent dans cette ville du département de Rufisque. Rejoignant progressivement l’un des leurs du nom de Diompy, agent forestier affecté dans la zone, l’arrivée des Mancagnes a été massive. D’ailleurs, « leur quartier porte le nom de Basse Casamance ou Bc. En plus, il y a des Peuls du Fouladou, des Toucouleurs, des Ndiambour-Ndiambour avec la famille d’El Hadj Talla Lô, et surtout les Joolas, qui sont nombreux dans la zone. « Ces derniers disent se retrouver dans cette verdure. Les lieux leur rappellent la Casamance. D’ailleurs, Aly Haïdar, ancien Ministre de l’Environnement, m’avait dit que pratiquement on retrouve les mêmes variétés en Casamance qu’ici » telles que les « madd », les « toll », avance Gana Fall.
En plus de ces groupes, des Dakarois viennent s’installer en masse, surtout les impactés du Ter, de l’autoroute. Sébikotane est à 10 mn de l’aéroport Blaise Diagne, à 30 km de Dakar, et à moins de 10 km du port minéralier de Sendou. La localité, très propice à l’agriculture, s’étend sur trois types de sol : « dior », latérite et argile.
Le professeur Kandji note quatre entités géographiques dans la zone. Il y a « Sebb », qui signifie l’allégorie de la nature, l’espace de travail, de chasse et d’agriculture ; « Khutaan » qui signifie espace de la tradition des joutes verbales ; le troisième pôle appelé Escale, il s’agit du quartier colonial qui remonte à 1885, regroupant un crédit agricole établi dans les années 1940, un bureau de poste et un trieur des graines de bonne qualité.
Toujours, selon le Pr Mamadou Kandji, le premier habitant de ce quartier Escale est Demba Deuke Diop. Originaire de Koul, non loin de Tivaouane, il était un descendant de Lat Dior dans une lignée parallèle. Il a acheté la première parcelle de terre à Sébi-Escale. Il a accueilli les marabouts dont le muhaddam d’El Hadj Malick Sy, Baye Talla Lô, et la communauté saint-louisienne dont son grand-père. Ce pôle, qui hébergeait la première gare ferroviaire, abritait, en quelque sorte, le boom économique de la zone. Presque une maison sur trois était une boutique. La quatrième entité géographique, c’est l’École Normale William Ponty, le pôle intellectuel.
Le jadis village des Lamanes est à ce jour une grande commune comptant plus de 35 000 habitants, avec 18 quartiers. Sa superficie est, selon le professeur Kandji, de 12.560 ha soit 13 km2.
Les Sérères saafi, un système matriarcal
Les Sérères comptent cinq groupes. « Il y a les saafi de Sébi à Popenguine, les Paloor dans le Diobass, les Noon à Thiès, les Lékhaar dans le Pambal et les Nduut à Mont-Rolland », détaille Gana Fall. Les Saafi, premiers habitants de Sébikotane, sont un groupe qui s’est rapproché de la côte et sont en contact avec les Lébous. C’est ce qui fait que les Sérères Saafi et les Lébous ont beaucoup de ressemblance, surtout dans les croyances.
Le professeur d’Histoire raconte que « la particularité de ces cinq groupes est qu’ils utilisent le matriarcat comme mode politique. Ces sociétés n’ont ni État, ni police, ni armée et ne connaissent pas le système de castes. C’étaient des sociétés défensives, vivant dans des zones refuge, mais lorsqu’ils sont attaqués, tout le monde se réunit pour défendre ». « Le Saafi est matriarcal. Chez nous, la mère est sacrée. Le pouvoir obtenu vient réellement de la mère. Les terres et les troupeaux appartiennent à la lignée maternelle », précise fièrement Omar dit Ngalla Diouf. L’individu hérite de sa mère son appartenance à l’un de la dizaine de clans dont les Cagess, les Lému, les Yokam, les Joofa, les Daaya, etc., qui jouent un grand rôle lors d’évènements majeurs. D’ailleurs, lors du mariage, « la dot était remise à l’oncle maternel. Cet argent servait à acheter des terres ou des troupeaux pour la famille », renchérit Cheikhou Ciss, chef du village de Sébi-Thiokho.
LAMANE BIRANE CISS
Le grand chef qui a séduit Senghor
L’un des grands noms de Sébikotane est sans nul doute Gorgui Birane Ciss. Il était un chef de village très puissant mais aussi très juste dans ses fonctions.
Parler de Birane Ciss dans le quartier de Sébi-Thiokho, c’est réveiller les émotions. L’homme suscite beaucoup d’admiration chez les Sébikotanois. C’est un de ses fils, Cheikhou Ciss, qui rappelle la vie et l’œuvre de son père. « Birane Ciss était un Lamane, il avait des terres. Toute cette contrée était sous sa chefferie », indique-t-il.
Birane était tel un Ministre de l’Intérieur dont la puissance est venue d’une de ses prouesses. Lamane Birane Ciss, comme on l’appelait, était un soldat courageux. « Son départ à la guerre a été son propre choix. Lors de la bataille de Diobass, Lamane Latyr n’avait pas un fils à proposer. L’administration coloniale le sommait de donner un soldat. Sous la pression, il propose un neveu. Ainsi, la famille lui pose deux conditions : si leur fils meurt, Lamane Latyr doit rendre toute la richesse, s’il revient de la guerre, il perdra le pouvoir. Il n’avait d’autre choix que d’accepter », narre Cheikhou Ciss, actuel chef de village de Sébi-Thiokho.
Birane était parti à l’époque voir un de ses oncles à Yenn. Sur place, il lui raconte la proposition angoissante faite à Lamane Latyr. « Birane rentre rapidement et propose à Lamane Latyr de remplacer son neveu. Il lui dit que jamais tu ne perdras ta richesse de mon vivant », avance le digne fils de son père.
Birane marche jusqu’à Thiès puis retrouve le contingent et demande au commandant de revêtir la tenue de soldat. Il se présente comme le soldat de Lamane Latyr. C’est ainsi qu’il est envoyé à la guerre. À son retour, Lamane Latyr, fier de son guerrier, donne des coups de canon et lui organise une grande fête. À la mort de Lamane Latyr, Birane Ciss prend la responsabilité d’organiser ses funérailles. Il regroupe les funérailles de Lamane Latyr et d’une de ses sœurs.
Parmi les premières œuvres de Gorgui Birane Ciss : le rattachement de Sébikotane à Dakar. « La capitale du Sénégal était à Saint-Louis, Sébi était rattaché à Thiès. Birane a dit au commandant colonial que partir à Rufisque était plus proche que d’aller à Thiès, c’est ainsi que l’administration coloniale rattachât Sébikotane à Dakar », avance Cheikhou Ciss. Après, dans les années 1948-1949, il érige la grande mosquée.
De son vivant, son père a foré cinq puits dans le village dont l’étendue qui s’étendait de Sébi Kip-Kip à Sébi Fass, en passant par Sébi-Thiokho, Sébi-Tangor, Sébi-Gare… Tout ce vaste territoire était sous sa gouvernance. Birane demandait aux occupants des terres, dont il avait la charge, de donner 300 FCfa par an. « Il ne cherchait pas à s’enrichir mais, à marquer ses terres » de sorte que l’occupant comprenne qu’il n’est pas propriétaire, précise son fils.
Les surfaces étaient délimitées par des cordes. « Il refusait systématiquement qu’on vende les terres. Il demandait aux populations qui souhaitaient quitter les lieux, de lui dire le montant de leur investissement afin qu’il les rembourse ».
Cette réglementation a été stoppée par le décret du domaine national. « Un des habitants de ces quartiers dit aux autres de ne plus payer les 300 FCfa car ces terres n’appartiennent plus à Birane Ciss. À l’époque il n’y avait pas plus de 300 maisons », se rappelle le chef de village.
Un chef très social
« Quelqu’un m’avait dit qu’après que mon père lui avait attribué des terres, il avait accompagné son geste d’une quantité importante de riz », raconte fièrement Cheikhou Ciss. Pour les impôts, rapporte son fils, il était intransigeant. Mais, s’il constate finalement que l’habitant ne pouvait pas s’en acquitter, il le faisait discrètement pour lui.
En 1948, Senghor vient faire campagne à Sébikotane, il fait la rencontre du fascinant chef de village non instruit mais qui gérait bien ses contrées. Senghor arrive à mettre Sébi dans son électorat. Depuis cette date, pas une seule année ne s’écoule avant que le premier Président du Sénégal ne passe au moins deux fois lui rendre visite.
D’ailleurs, il réussit à lui faire abandonner son titre de Lamane. Ceci, après le décret du domaine national. Birane, à son tour, transforme ses terres en titre foncier en 1969.