Diourbel, anciennement Ndiarem, est un passage obligé pour tous ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire du mouridisme, la confrérie fondée par Cheikh Ahmadou Bamba.
C’est dans cette cité que Cheikh Ahmadou Bamba vécut les quinze dernières années de sa vie, parachevant ainsi sa mission sur terre au service de Dieu et des hommes.
Si le nom de Ahmadou Bamba se confond avec Touba, l’on ne peut évoquer la vie du cheikh sans mentionner Diourbel ou Ndiarem, la ville du centre du Sénégal où il a passé quinze ans de sa vie.
Après deux déportations au Gabon puis en Mauritanie, les autorités coloniales voient son influence encore plus grandissante. Ses fidèles deviennent de plus en plus nombreux.
C’est ainsi que la décision de le mettre en résidence surveillée à Ndiarem fut prise.
Dans la concession du commandant d’alors, il occupe trois cases, mais le cheikh exprime en son for intérieur le désir d’avoir une mosquée. Il aurait volontiers échangé sa frugale demeure contre une « demeure de Dieu », une mosquée.
Le colon pensait qu’en l’emmenant à Diourbel, place moderne, grouillante et fêtarde, il réussirait à ramollir sa foi et sa dévotion. Mais c’était méconnaître celui que les manuels d’histoire désignent comme un « apôtre de la guerre sainte pacifique », le vrai jihad, qui consiste à rompre totalement avec ses attaches terrestres pour ne consacrer sa vie qu’à l’adoration de Dieu.
L’obsession d’une mosquée était devenue si pressante que Serigne Touba prit trois bouts de bois pour en délimiter une dans son lieu de résidence surveillée.
« Il posa un bout de bois de chaque côté et le troisième devant lui pour indiquer la qibla », renseigne Aladji Fallou Lèye, un des conservateurs du patrimoine mouride à Diourbel. « Mais le commandant de cercle, qui ne voulait pas d’une mosquée, même en schéma, fit dégager toute cette charpente », ajoute-t-il.
Toujours est-il que le cheikh restera treize mois, du 13 janvier 1912 au 18 février 1913, dans cette résidence, sous l’œil du colon.
Malgré cette situation, les disciples affluaient de partout des contrées environnantes pour voir cet homme qui était revenu sain et sauf des déportations, brimades et acharnements de toute sorte de l’administration coloniale. Une administration coloniale qui avait achevé de disloquer les royaumes de la Sénégambie ou de soumettre leur porte-étendard.
Contre mauvaise fortune bon cœur, elle consentit, dans un semblant d’élargissement, à laisser enfin le cheikh s’établir dans une zone de son choix, mais toujours dans Diourbel.
Keur Gu Mag, haut-lieu du mouridisme
C’est ainsi qu’il aménagea à Keur Gu Mag (La Grande demeure, en wolof). A voir les dimensions de la résidence – 300 mètres sur 500 mètres -, ce lieu n’a pas usurpé son nom. Rebaptisé par lui « Al boukhatou Moubaaraka » ou « la Place bénie », le cheikh y a résidé de 1913 à 1927, année de sa disparition.
Selon Lèye, « c’est dans cette demeure qu’il a célébré, pour la première fois, le 10 octobre 1920, le Magal, et ce, jusqu’en 1927 ». Il ajoute : « Serigne Touba l’avait acheté à 400 francs de l’époque, en 1917, payés par Meissa Sellé Ndiaye. L’acte d’achat a été signé pour le cheikh par Cheikh Issa Diène ».
Aujourd’hui, entièrement reconstruit en dur, l’édifice abrite plusieurs pièces, à l’époque des baraquements, plus emblématiques les unes que les autres par les histoires dont elles recèlent.
Dans l’une d’elles, dénommée « Baytûl Kitab » ou « La Chambre du Savoir », des effets personnels du cheikh sont soigneusement conservés : des malles en fer et en bois contenant des manuscrits du Coran et des khassaides, quelques vestiges de la mosquée où il effectuait ses cinq prières, des bouilloires, des gobelets et autres récipients, des candélabres, etc.
C’est à sa devanture qu’a été prise la célébrissime photo en noir et blanc du cheikh debout, seul, le visage couvert d’un châle. Cette photo dont la rumeur disait qu’elle était la seule et unique image de Serigne Touba, avant que d’autres soient rapatriées de France.
Des photographies prises à quelques mètres de là, à l’emplacement actuel de la belle Grande mosquée de Diourbel, qui fait face à la résidence du cheikh.
Ces images immortalisent la pose de la première pierre de cet imposant lieu de culte, par le cheikh lui-même, le 11 mars 1918. « Elle fut inaugurée en 1924 par le cheikh, après 6 ans 5 mois et 6 jours de construction. Et c’est à l’emplacement du minbar que le cheikh aimait à se tenir pour prier », raconte Lèye.
Maintenant qu’il a construit « sa » mosquée, « reçut, quinze jours durant, la visite du prophète Mouhamed », comme l’indique l’écriteau à l’entrée de la pièce dénommée « Baytûl Rasûl », implanté solidement sa tarikha, le cheikh Ahmadou Bamba pouvait enfin rejoindre son créateur.
Le mardi 19 juillet 1927, il rend son dernier souffle dans une pièce de sa résidence, aujourd’hui passage obligé pour tout visiteur à Ndiarem. Il avait 74 ans, et sera inhumé à Touba.