Hors des projecteurs de l’actualité depuis plusieurs mois, Mouhamadou Makhtar Cissé est revenu dans le jeu, à la faveur de la réunion, jeudi 3 août dernier, de Benno Bokk Yaakaar,au palais de la République. Ilamis en avant sa casquette d’inspecteur général d’État pour décliner toute participation au processus pour le choix du candidat de la coalition l’élection présidentielle de 2024. Jusqu’à quand ? Retour sur le parcours de ce haut fonctionnaire de l’État.
La rencontre devait être comme toutes celles qui se tiennent de manière régulière depuis 2012 autour de Macky Sall pour discuter des affaires du pays. Sauf que cette fois-ci, l’ordre du jour engageait un débat hautement stratégique : la succession du quatrième président du Sénégal. Il était donc question de signer une charte et discuter du meilleur profil. Tous étaient là. Le maître de céans, bien sûr, Moustapha Niasse aussi, les chefs des partis et tout le gotha avec, en première ligne, les candidats à la candidature. Contre toute attente, quand est venu son tour, Mouhamadou Makhtar Cissé a pris la parole pour indiquer qu’il n’était nullement intéressé par les primaires de Benno Bokk Yaakaar, non sans exprimer son étonnement de se retrouver à une réunion sur la candidature de la coalition au pouvoir. Tout de blanc vêtu, Mouhamadou Makhtar Cissé a rappelé à l’assistance qu’en sa qualité d’inspecteur général d’État, il ne saurait se “mêler d’affaires politiques”.
Le président Macky Sall de le remercier alors pour sa posture, en rappelant les qualités de son ancien directeur de cabinet, lui permettant ainsi de se retirer. Fermez le ban ! Mais qui a donc convoqué l’enfant de Dagana à cette importante réunion ? Sans doute une autorité qui a jugé que le discret haut fonctionnaire a sa place dans le casting pour la succession de Macky Sall ; que son nom n’est pas incongru dans la liste des “happy few” devant incarner l’héritage des douze ans de pouvoir de la coalition avec toutes les exigences de vécu, de qualités technocratiques, de consensus autour de sa personne, de connaissance de l’État et des réalités du pays, sans compter une ouverture sur les affaires étrangères, toutes choses qui ne seraient pas loin du pedigree de Mouhamadou Makhtar Cissé, à en croire l’écran radar des médias où son nom clignote avec insistance, grossissant à vue d’œil…
Qui est cet homme de 56 ans, à qui on ne prêtait pas d’ambitions présidentielles il y a quelques semaines, alors que la réputation qu’il traîne est d’abord celle d’un bosseur, homme de dossiers et loin des coteries ? Makhtar Cissé, c’est surtout, pour les Sénégalais, le redresseur de la Senelec, celui qui a conçu la stratégie pour mettre fin aux délestages de courant ayant exacerbé la colère populaire contre le régime de Me Wade en 2011. Il y a aussi chez lui, sans doute l’empreinte du sacerdoce étatique, comme un besoin de servir.
En passant le témoin à son successeur au ministère du Pétrole et des Énergies, en novembre 2020, il soutenait que “quand on est commis de l’État, on ne peut avoir aucune autre ambition que de servir l’État. C’est cela le sens de notre engagement dans l’État et c’est comme ça que nous devons le faire. Et l’État a un chef. Quand vous servez l’État, vous le servez derrière son chef. C’est comme cela que je conçois les choses. Je suis heureux de partir avec le sentiment du devoir accompli”. Quand “Enquête” l’a sollicité pour un entretien, il a juste évoqué “un esprit zen” et “le temps qui fait son œuvre”, en invoquant un devoir de réserve…
Un grand commis de l’état
Menant une vie publique contrôlée, il est économe de mots, imbu de Coran et fan des Lumières. “Makhtar est traversé par plusieurs courants qui en font une personnalité complexe, enraciné, métissé et ouvert sur le monde. Je ne sais comment il fait pour fréquenter à la fois religieux, traditionalistes, athées, intellectuels, anarchistes, communistes”, confie un de ses proches. Le cérébral et l’action se disputent sans doute la personnalité de l’ancien pensionnaire du Prytanée militaire de Saint-Louis, docteur en Droit et titulaire d’un Master en Finances et Gestion publiques. Il affiche une humilité que l’on peut percevoir comme une forme de détachement et son éloignement des mondanités et des lustres de la République forcent cette image. Et pour beaucoup de ses amis et compagnons, “il a le profil idéal pour briguer le scrutin des Sénégalais en février 2024”.
Ne soyons pas dupes, derrière lui, bouillonnent des Sénégalais – dont certains tournent comme des lions en cage – en le poussant à se présenter, et pour diverses raisons : des hommes politiques sentant qu’une personnalité non marquée ferait le consensus ; des membres du patronat ; les proximités affectives et professionnelles ; le terroir du Walo et de nombreux moins célèbres ayant pratiqué l’homme, que ce se soit dans l’Administration ou plus tard, quand il a occupé des positions dans la proximité du sommet de l’État. Depuis son retour à l’Inspection générale d’État, son propos émerge des amphithéâtres et autres salles de conférence, car il est régulièrement invité par des étudiants de l’Ucad de Dakar (son université) ou par des instituts privés ayant pignon sur rue à Dakar, pour discourir sur le management public ou l’économie du développement ou pour évoquer son parcours.
Après une enfance entre la maison familiale, le fleuve, les champs, l’école coranique puis celle française, il quitte très tôt le cercle familial. Il passe sa jeunesse entre Pout et Saint-Louis, profitant de l’encadrement rigoureux de l’aîné de sa famille. Il réussit le concours de passage au Prytanée militaire de Saint-Louis où il obtient le baccalauréat. L’encadrement familial et l’éducation de base sont pour lui les piliers d’une jeunesse forte, bien formée et compétitive. La douane ne fut pas son premier amour. En vérité, il se destinait aux prétoires, après son admission à l’examen du barreau.
Seulement, la vocation de servir restant tenace, il a renoncé au métier d’avocat pour se présenter au concours d’entrée à l’École nationale d’administration et de magistrature (ENA) d’où il sortira comme inspecteur des douanes. C’est par la Pêche qu’il accède aux affaires gouvernementales, en 2000, comme directeur de cabinet d’Omar Sarr, alors ministre. Mais deux ans plus tard, en janvier 2002, il rejoint l’Inspection générale d’État après être sorti major du concours d’entrée. Le gabelou revient dans son corps d’origine comme directeur général, en décembre 2009, pour conduire la réforme chez les tuniques vertes : Guichet unique, dématérialisation des procédures de dédouanement avec une nouvelle version du Système Gaindé, construction du siège de la douane et changement des uniformes, nouveau Code des douanes.
Ces innovations avaient pour but de dépoussiérer les pratiques d’une Administration sclérosée, incapable de répondre aux défis et enjeux des temps modernes. Son passage aux douanes est couronné par le prix des Nations Unies pour la qualité du service public obtenu en 2012 et remis au siège de l’ONU à New York. Réformateur dans l’âme, il entre au gouvernement d’Abdoul Mbaye comme ministre délégué chargé du Budget. MMC participe alors à l’élaboration du PSE, au Groupe consultatif de Paris en février 2014 avant de devenir ministre directeur de cabinet du président de la République en juillet 2014.
Traqué, combattu, mais toujours debout “Soldat dans l’âme”, selon un de ses condisciples à l’ENA, il relève le défi de la Société nationale d’électricité (Senelec) en juin 2015 comme directeur général. Mouhamadou Makhtar Cissé va engager le doublement de la capacité de production et de transport de l’électricité, un nouveau système d’information, la promotion du Woyofal, la construction de neuf centrales solaires et d’une centrale éolienne de 150 MW à Taïba Ndiaye, pour porter la part de l’énergie renouvelable de 0 à 30 %. Parallèlement, il met en place diverses réformes préparant ainsi le développement du mix énergétique dans notre pays qui ambitionne d’atteindre 40 % d’énergies renouvelables dans la production nationale d’électricité d’ici 2030.
Mais le succès ne porte pas toujours chance au Sénégal. Très rapidement, il est ciblé et estampillé “ambitieux” par les fameux “cercles dakarois”, alors qu’il ne donne aucun gage d’engagement politique. On lui met Akilee sur la table, du nom d’une entreprise ayant fait affaire avec la société publique pour la dotation de compteurs électriques intelligents. Les attaques sont violentes, mais il les encaisse et se bat jusqu’à ce que la bulle se dégonfle d’elle-même. Ce dossier pourtant n’aurait pas fait couler autant d’encre et de salive, si l’on ne soupçonnait pas Mouhamadou Makhtar Cissé d’avoir un agenda caché. Quelques mois seulement avant son éviction du gouvernement, à Diamniadio, le président Macky Sall vantait pourtant les mérites de Mouhamadou Makhtar Cissé qui, selon ses termes, apprenait “très vite”.
“Trop vite”, lâchera-t-il dans la même mouvance, comme dans un lapsus… révélateur. Évincé de la Senelec, à la surprise générale, alors que ses résultats étaient satisfaisants, il se voit confier le ministère de l’Énergie et du Pétrole en avril 2019. Sous son autorité, le département a mis en place les Concertations nationales sur le contenu local, le Forum des experts sénégalais Oïl and Gas de la diaspora et l’adoption du Code gazier et des décrets d’application de la loi sur le contenu local et enfin la finalisation des négociations avec la Mauritanie pour la commercialisation du gaz de GTA, le financement pour l’exploitation du pétrole de Sangomar avec la FID. Au moment de quitter le ministère du Pétrole, la presse ne retiendra que la formule lâchée à la conclusion de son discours : “L’État est ingrat”, interprétée à souhait.
MMC quittera le gouvernement en novembre 2020, à la suite d’un nouveau remaniement qui verra l’entrée au gouvernement des nouveaux alliés de Rewmi et du PLD/Suxali Sénégal d’un certain Oumar Sarr. Mouhamadou Makhtar Cissé, titulaire d’un brevet de parachutiste, a obtenu de nombreuses décorations et distinctions au Sénégal comme à l’étranger. Ainsi, il a été élevé au rang de Chevalier de l’ordre du mérite, Chevalier de l’ordre du lion, Chevalier de la Légion d’honneur et la Médaille du mérite des Douanes sénégalaises et celle du mérite de l’Organisation mondiale des douanes. Si sa vie privée est une mer d’huile, sans rides, il est réputé pour son affection du “wird” tidiane.
En effet, parmi ses casquettes, il faut aussi ajouter celle de bâtisseur de mosquées, puisque MMC, très proche du khalife général des tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour, est président du Comité de pilotage de la grande mosquée de Tivaouane. Depuis qu’il a quitté le gouvernement, il consacre le plus clair de son temps entre ce chantier et ses dossiers à l’IGE. Très jaloux de ses relations choisies, souvent trahi, mais toujours optimiste sur la nature humaine, il reste, à coup sûr, une pièce centrale avec laquelle il faudra assurément compter. En 2024 ou en 2029 !