La journée d’hier aura été mémorable et triste pour les habitants de ce quartier flottant qu’est la Cité Darou Salam, communément appelé Cité Imbécile. Aux premières heures du jour, tous ont été sortis de leurs chambres pour être envoyés à l’Arène nationale. C’est le début d’un déguerpissement qu’ils n’avaient pas senti venir.
Il n’est pas loin de 14h, mais la foule rassemblée devant la demeure de l’ancien Khalife général des mourides aux Hlm1, ne semble guère se soucier des rayons du soleil. Les visages sont crispés, les yeux rougis. A chaque minute qui passe, un taxi ou un clando déverse une nouvelle cargaison d’hommes, de femmes et d’enfants. Ce sont des habitants de la Cité Imbécile ou Cité Darou Salam. Ce matin, aux premières heures, ils ont eu la surprise d’être réveillés par des escouades de gendarmes. «On nous a réveillés à 5h du matin. On nous a fait sortir de nos chambres avec les vêtements que l’on portait. Ils nous ont interdit de prendre quoique ça soit, sauf nos téléphones, notre argent et notre pièce d’identité», raconte une jeune femme tout juste débarquée d’un véhicule.
Apparemment, tout le monde n’a pas eu la même chance. Deux jeunes gens qui discutent commencent à s’énerver. Dans les affaires laissées dans leurs chambres, une importante somme d’argent. Tous reviennent de l’Arène nationale où les bus mobilisés dans le cadre de cette opération ont débarqué tout le monde. «On nous a embarqués dans des bus en direction de l’Arène nationale, où on nous a laissé sans boire ni manger et au soleil. C’est à 11h (hier) qu’ils ont commencé à faire sortir les gens qui avaient des cartes d’identité. On a dû se débrouiller pour partager des taxis, revenir ici et chercher à savoir ou étaient nos bagages», raconte une jeune femme avec un enfant au dos et un autre à ses côtés. Une autre femme, debout à côté d’elle, ne sait plus quoi faire. Originaire de Touba, elle a été sortie de sa chambre comme les autres, sans ses affaires et papiers, ni ceux de ses enfants. Un gros sachet blanc à la main, Amina n’attend que les quelques papiers qu’elle a encore dans sa chambre pour rentrer directement dans son village. Une autre femme à côté peut se réjouir d’avoir déjà envoyé ses affaires en Guinée. «Il ne me restait que 2 ou 3 complets dans la chambre», dit-elle.
Les yeux hagards, ils sont des centaines de personnes assises ou debout, en petits groupes. Les discussions tournent inlassablement autour de ce qui est en train de se passer. Sur le pont qui mène à la cité, les gendarmes, bardés de leur attirail, montent la garde. Nul ne peut accéder à la cité. Selon Abdoulaye Faye, le chef du quartier, que nous avons pu joindre brièvement, «c’est un Libanais qui fait déguerpir les gens de son terrain». Pas le temps d’avoir une longue discussion.
Mêmes scènes à la Zone de captage
Nous nous rendons sur l’autoroute. Une petite ouverture entre deux murs servait de porte d’entrée à la cité. Ici aussi, les gendarmes ont pris position, en plus grand nombre encore. Plusieurs fourgons et des bus de Ddd sont stationnés. A l’entrée, des volontaires du ministère de l’Urbanisme sont en train d’évacuer des bouteilles de gaz, d’oxygène et tout un fatras de bagages dont un troupeau de chèvres. La foule est amassée au bord de la route. Une femme, les yeux rouges et la voix secouée de larmes, essaie d’expliquer aux gendarmes que sa chambre se trouve tout à côté et que son argent y est resté. Une autre demoiselle, visiblement accourue en urgence, demande à sauver son diplôme du Bac et celui de l’école d’infirmière. Pas de chance, le chef de l’escouade des gendarmes reste sourd aux doléances. «On va transporter tous les bagages quelque part.
Vous n’aurez qu’à aller là-bas si vous voulez récupérer vos affaires», fait-il dire à un de ses subordonnés. Les bulldozers ne sont pas encore entrés en action. Pour l’heure, ce sont les bagages qui sont transportés dans des camions, vers une destination inconnue pour le moment.
Dans les discussions, il ressort qu’une sommation a bien été servie. Mais il y a longtemps. «La logique aurait voulu qu’ils nous informent qu’après la fête, ils allaient venir déguerpir les gens.» Mais rien, se désole un habitant de la cité. Tailleur de son état, il n’a aucune information sur ses affaires. Même chose pour son interlocuteur mécanicien. «A la veille de la Tabaski, j’avais acheté 750 000 F de pièces détachées de Jakarta. Tout est resté dans ma chambre, avec ma moto», dit-il. «Ils auraient mieux fait de nous tuer.» Cette phrase revient souvent dans les discussions. «Nous avons travaillé pendant des années, acheté des frigos, des téléviseurs pour nos chambres. Un beau jour, ils viennent tout démolir. Je le jure que je vais sortir de ce pays», dit un jeune homme avec désespoir. A la Cité Imbécile comme à la Zone de captage, les autorités ont profité de l’absence du plus grand nombre, parti célébrer la fête au village, pour procéder à cette opération de déguerpissement.