Sur la corniche Ouest de Dakar, c’est le festin des hôtels et des entreprises immobilières qui ont pignon sur rue. Par conséquent, le littoral s’érode au grand dam des riverains et au mépris des dispositions du Code de l’environnement.
Le haut des falaises, autrefois, lieu de décompression, croule sous les passages dévastateurs des bulldozers. À Mermoz, sur la corniche Ouest, l’activité est intense alors que les rayons solaires corrosifs font transpirer les corps. Dans cette partie de Dakar, considéré comme un endroit de nantis, le littoral expose ses trophées : constructions anarchiques, hôtels, chantiers immobiliers, vergers parcellisés, gravats à perte de vue. Au cours de cette matinée du mois de juin, l’herbe sèche ploie sous les assauts énergiques et ravageurs des rayons solaires. Secs et bouillants de chaleur, ils étouffent l’horizon et le ciel. Casques de chantiers, des ouvriers, avec leurs masques de protection individuelle, s’activent dans la construction d’immeubles, tandis que les longs ravages des vagues s’écrasent sur la berge de l’Atlantique. Tel un mur, c’est un barrage en plastique qui obstrue la vue quand le regard est promené vers la mer. De Ouakam à Dakar Plateau, peu à peu, le littoral est privatisé. Par conséquent, c’est un lieu de détente prisé que les riverains perdent : les hôtels, centres commerciaux et promoteurs immobiliers s’approprient la corniche.
Les investissements priment sur l’environnement
Quelques pirogues de pêcheurs rasent les côtes en cognant les vagues. Les grosses pierres noires se dressent pour protéger les populations des affres du grand bleu. De Mermoz à Fann résidence, le respect du Domaine public maritime n’est qu’une vue de l’esprit, tellement les constructions sont proches de la rive. Comme presque tout le long de cette bande, l’érosion côtière risque de faire des ravages dans les années à venir. Sur le littoral dakarois, les activités immobilières captent l’attention des visiteurs. Le champ de la pratique de l’activité sportive est réduit à juste quelques dizaines de mètres, surplombés par les immeubles. Essayer, à partir de la route, de voir la plage, est un exercice délicat. « D’ici quelques années, on ne va plus pratiquer du sport dans cet endroit. Les gens ont tout pris. Autrefois, on pouvait percevoir la plage de loin. Mais aujourd’hui, je me demande s’ils ne vont construire jusqu’à la mer », se désole Pape, assis sur une pierre, portant des écouteurs. Dans cet endroit qui a tout d’un labyrinthe, se croisent résidences, cliniques et maisons en chantiers. À quelques mètres, l’hôtel Radisson et le centre commercial Sea Plazza sont quasi scotchés à la mer. Ainsi, les normes du Domaine publics maritimes sont foulées aux pieds. Les 100 mètres de distance ne sont qu’une disposition juridique sans effet contraignant. En effet, ici, un célèbre hôtel étale ses tentacules et fonce sur la mer. Là, une société de renom détient des baux sur place et compte s’implanter sur le long terme. Les sociétés font la course dans cette partie très convoitée de Dakar. Dans la partie qui concerne Dakar-Plateau, sont installées plusieurs entreprises immobilières. Jadis, endroit de détente privilégié, l’accès à la corniche Ouest risque de devenir un luxe dans quelques années.
Babacar Guèye DIOP
CONSÉQUENCES DE LA RÉDUCTION DES PLAGES SUR LA CORNICHE
Des experts tirent la sonnette d’alarme
Les aménagements sur la corniche constituent l’une des causes de la hausse des températures notées à Dakar, selon Djibril Diop de la Fédération démocratique des écologistes du Sénégal (Fdes). Raison pour laquelle, Dr Oumar Ngalla Diène estime qu’il y a un problème de gestion démocratique du littoral.
Dakar étouffe. Et les constructions d’hôtels, de cliniques privées et autres bâtiments sur la corniche n’y sont pas étrangères. D’après des experts, les températures dans la capitale sénégalaise devraient connaître une hausse à cause des modifications de l’écosystème, notamment sur le long du littoral. Des écologistes signalent que les constructions sur le littoral empêchent et atténuent la pénétration des courants d’air dans la ville. Ainsi, l’effet de ventilation est perdu du fait du blocage qu’opèrent ces édifications sur le littoral. « Si vous conjuguez cela avec la pollution de l’air à Dakar, vous comprendrez pourquoi on étouffe maintenant à Dakar », explique Djibril Diop, Secrétaire administratif de la Fédération démocratique des écologistes du Sénégal (Fdes).
Ce défenseur de l’environnement explique comment les bâtiments peuvent participer aux temps de canicule observés dans la capitale. Ainsi, avec les changements climatiques, on risque de voir l’envahissement du continent par des eaux, alerte M. Diop. « C’est une possibilité parce que, plus les mers vont gonfler, plus elles auront tendance à gagner sur le continent », insiste-t-il.
Selon M. Diop, le béton et le ciment constituent un facteur de surchauffe. « Si on met la main dans un sac de ciment, on sent une forte chaleur. Il fait de plus en plus chaud à Dakar maintenant qu’auparavant », constate l’écologiste. Mais, le cas le plus alarmant, relève-t-il, c’est la construction d’un hôtel sur le Virage de Yoff, qui était l’une des principales voies d’aération de la capitale. Djibril Diop développe : « Avec un essai de dévoiement de la houle, si l’eau ne peut pas entrer dans la partie où il y a des falaises, il peut entrer à Soumbédioune ou Thiaroye par exemple. Il y a un effet de rejet qui peut faire que l’eau doit avoir forcément un lieu d’écoulement ».
Gestion démocratique du littoral
Il y a plusieurs codes qui organisent le littoral. Il s’agit des codes miniers, de l’environnement, des collectivités territoriales et de l’urbanisme. Au Sénégal, il était agité une loi littorale qui est allée jusqu’à l’Assemblée nationale sans jamais être adoptée. « Il n’est pas interdit de faire des aménagements mais quel type d’aménagement ? On peut accorder des baux sur cet espace. On peut y aménager des espaces de détente pour les plaisanciers. Le propriétaire peut déposer pour avoir une autorisation. Mais il ne doit pas obstruer l’accès à la plage. On vous donne la liberté de privatiser une portion de cet espace mais, il ne faudrait pas faire des aménagements qui font que les gens n’auront pas accès à la plage. Malheureusement, il y a des excès et des abus qui sont relevés sur cet espace », déplore Dr Oumar Ngalla Diène, spécialiste en planification urbaine et développement durable.
Selon l’expert, si des espaces sont privatisés et faisant les affaires d’une personne et de sa famille, on est en porte à faux avec la loi. « Le Sénégal dispose de 700 kilomètres de côte dont 300 km de côte sablonneuse, 234 km sous forme d’estuaire et de mangrove et 174 km de côte rocheuse. Ce n’est pas beaucoup. Si des gens doivent charcuter cela, de Saint Louis à Cap Skirring, qu’est ce qui va se passer ? », s’interroge-t-il. Selon le constat de ces deux experts, dans le monde, 80% des grandes villes sont situées au niveau des espaces littoraux. Au Sénégal, il y a un problème de gestion démocratique avec cette infrastructure naturelle. « Nous avons aujourd’hui un problème de gouvernance d’équité », déplore, Oumar Ngalla Diène.
Les arguments de l’État
La corniche a une certaine spécificité dont l’aménagement obéit aux dispositions du Code de l’urbanisme et celui de l’environnement. Toutefois, de visu sur le sable fin qui s’étend à l’infini, la réalité du terrain offre un décor d’anarchie avec l’érection d’établissements qui rétrécissent la plage. Est-ce que les normes environnementales sont respectées ? « Je ne sais pas si c’est respecté ou pas », tranche Assé Seck, Conseiller technique en aménagement urbain à la Direction générale de l’urbanisme et de l’architecture. Cependant, il précise qu’en général, avant l’approbation de ces documents, il faut qu’il y ait une étude d’impact environnemental. « Nous avons opté pour une occupation très large de la corniche et même pour le règlement qui a été établi, on leur avait exigé un coefficient d’emprise très large de l’ordre de moins 40% du terrain octroyé », a déclaré M. Seck, qui précise que l’État a prévu des installations pour bloquer l’avancée de la mer. En attendant, il constate que la mer a tendance à évoluer vers le continent. « Nous ne pouvons pas dire que la corniche sera inoccupée. Nous avons des infrastructures relatives au tourisme », se défend Assé Seck.
Dans le cadre de la planification de l’État, les aires d’épanouissement et à vocation touristique sont favorisées. « Du point de vue technique, vu l’exiguïté des moyens de l’État, nous avons privilégié certains types d’installations avec les investissements privés pour bloquer l’avancée de la mer dans certains endroits », a-t-il conclu.