Dans la région de Matam, elles sont légion, les collectivités territoriales qui sont gérées par les édiles ayant élu domicile à Dakar. Sur les 365 jours de l’année, certains maires ‘’fantômes’’ passent moins de 30 jours dans leur commune. Ils ont choisi de se reposer sur leurs hommes de confiance pour télégérer les affaires de la cité. Matam-commune et Orefondé font office d’exceptions.
Pourquoi ont-ils voulu être maires, si c’est pour déserter le fauteuil après l’avoir conquis ? C’est la question qui taraude l’esprit de la grande majorité des populations de la région de Matam qui remarque que la quasi-totalité des maires élus en 2022 n’est jamais dans leurs communes respectives.
Dans le département de Matam qui compte 10 communes, seul le maire de Orefondé, Amadou Yero Ba, est résidant permanent. Tous les neuf autres maires vivent loin du Fouta où ils viennent qu’occasionnellement. Un paradoxe difficilement explicable. Durant les dernières élections municipales, ils s’étaient donnés corps et âme, déployant de gros moyens pour remporter la palme. Des victoires acquises au prix de gros sacrifices financiers. Mais après la conquête, les maires préfèrent s’installer loin des rigueurs du Fouta.
Abdoulaye Sally Sall absent pour des raisons de santé
À Nabadji Civol, la commune est dirigée, depuis près d’une décennie, par le richissime homme d’affaires Abdoulaye Sally Sall. Mais selon les populations, le maire est invisible dans la localité. Ayant son somptueux domicile au village de Boyinadji, situé à quelque 4 km de Ourossogui, Abdoulaye Sally Sall, à cause de son business, ne vit pas au Fouta. Ses séjours dans sa commune sont occasionnels. Mais pour la gestion des affaires de la municipalité, il s’est trouvé des hommes de confiance comme Aliou Badiane et Dème de Ndouloumadji. Une manière de faire qui déplaît profondément Oumar Ndiaye, professeur habitant à Nabadji Civol. ‘’Nous sommes dirigés par un maire fantôme. Abdoulaye Sally Sall ne connait même pas son bureau à la mairie. Depuis qu’il est à la tête de cette commune, je n’ai jamais vu un document portant sa signature. Ce sont ses adjoints qui gèrent la commune. Je pense que ce qui l’intéresse dans tout ça, c’est juste le titre de maire’’, fulmine le professeur.
Cette absence prolongée est expliquée par le premier magistrat de Nabadji Civol, Abdoulaye Sally Sall : ‘’Je suis régulièrement hors du Sénégal pour des soins. Des soucis de santé me retiennent loin de la commune, mais je suis de très près tous les dossiers’’, explique-t-il au bout du fil.
Dans les autres localités, le fauteuil du maire est vacant. À Ogo, la mairie, qui a changé de main en février dernier, est aujourd’hui dirigée par Abou Diallo Balel, un émigré qui a fait fortune au Gabon. À la place du très influent secrétaire municipal Amadou Kane Diallo, qui gérait ‘’tout’’, c’est Abdoul Ndiaye qui assure la direction de la commune. Le maire, submergé par son business, a délégué une portion de son pouvoir à son conseiller personnel et à son secrétaire municipal.
Mais selon quelques témoignages d’agents travaillant à la mairie, Abou Diallo Balel vient au moins une à deux fois par mois à la mairie pour signer les ‘’dossiers importants’’. D’ailleurs, selon certaines indiscrétions, le maire n’aurait pas confié son cachet à ses adjoints. Il le garde jalousement avec lui.
Aziz Wellé : ‘’Qu’est-ce que le maire pourrait gérer en restant à Nguidjilone ?’’
À Nguidjilone, la commune de l’ancien ministre Sada Ndiaye, c’est aussi un autre Abdoul Ndiaye qui cristallise la confiance du maire élu Samba Leldo Seck, l’oncle maternel de l’honorable député Farba Ngom. Les populations ne voient que rarement le maire qu’elles ont élu. Mais selon Abdoul Aziz Wellé, un proche collaborateur du maire, cette absence est une nécessité pour booster le développement de la commune.
‘’Le maire Samba Leldo Seck n’est pas toujours présent à la mairie de Nguidjilone. C’est parce qu’il a son travail à Dakar. Mais surtout, c’est la stratégie que nous avons déployée pour mieux servir la commune. Qu’est-ce qu’il pourrait régler s’il restait à Nguidjilone ? Ici, à Dakar, chaque jour, il va rencontrer des chefs de service, des directeurs et des hommes influents pour plaider la cause de Nguidjilone. Nous avons un homme de confiance sur place, Abdoul Ndiaye, qui se charge des affaires courantes. Le maire et nous ses collaborateurs, on se rencontre chaque semaine, ici à Dakar, pour exécuter les recommandations du conseil municipal. Si aujourd’hui les choses commencent à bouger, c’est parce que le maire travaille loin de la commune, mais toujours pour la commune’’, explique le professeur à l’École des beaux-arts de Dakar.
Ainsi, le prix de l’assiduité est remporté, haut la main, par le maire de Orefondé. Il est, selon les témoignages recueillis sur place, celui qui ne s’absente qu’occasionnellement. Une présence dans son terroir que certains expliquent par le fait qu’il ne cumule pas des fonctions. Tout le contraire des autres édiles.
La commune d’Agnam est dirigée par l’un des hommes les plus puissants du régime, le député-maire Farba Ngom. Ses hautes responsabilités dans l’APR l’empêchent d’habiter dans son terroir. À Thilogne, c’est Mamadou Elimane Kane qui est aux manettes, après avoir renversé Sidy Kawory Dia. Le fils du premier maire Elimane Kane s’était installé dans la capitale bien avant son élection pour mieux gérer ses investissements dans le secteur des assurances. Il a opté pour la télégestion. C’est à Yaya Diop, Sick Baal et Aboubacry Kane de donner corps à sa vision pour la commune.
L’ancien ministre Yaya Abdoul Kane, maire de Dabia et actuel directeur général de l’Agence de gestion du patrimoine bâti de l’État (AGPBE) et le député Khalilou Wagué, maire de la commune de Bokidiawe, éprouvent toutes les peines du monde pour trouver le temps de se pencher sur les dossiers de leur municipalité. Le maire de Bokidiawé, outre ses responsabilités à l’Assemblée nationale, est un illustre homme d’affaires qui a son business dans beaucoup de pays en Afrique. Son agenda chargé semble peu compatible avec la ‘’gestion des détails’’ d’une commune rurale sans ressources.
Même la ville de Ourossogui, qui porte le titre de ‘’Poumon économique de la région Matam’’, n’a pas un maire résident. Moussa Bocar Thiam, par ailleurs ministre de la Communication, a choisi son jeune frère Souleymane Thiam pour gérer la cité.
Cependant, les populations de la capitale régionale peuvent se targuer d’avoir un maire assidu. Mamadou Mory Diaw, bien que nommé président du Conseil de surveillance de l’Ageroute, parvient à trouver du temps pour venir ‘’régulièrement’’ à Matam.
Yero Guissé : ‘’Ils sont indignes d’être maires’’
Dans la quasi-totalité des collectivités territoriales de la région de Matam, les populations n’ont pas le privilège de côtoyer leur maire. Ainsi, retrouver le maire élu dans son bureau relève du miracle. Un constat qui attriste les jeunes engagés dans les mouvements associatifs. Yero Guissé, blogueur et activiste, est loin d’être un fan de cette manière de gérer. ‘’Les maires élus du Fouta qui résident à Dakar constituent un véritable handicap pour leur collectivité. On ne peut pas venir dans une commune, solliciter le suffrage des populations et une fois élu, on décide de rester à Dakar pour s’occuper de ses affaires. On est élu maire parce qu’on doit régler les problèmes des populations. On est élu parce qu’on doit être présent aux côtés des populations’’, fustige le jeune activiste
Il ajoute : ‘’Un maire doit être présent pour résoudre les difficultés. Je ne pense pas qu’un maire qui reste à Dakar pourrait régler un problème local. Souvent, les hommes qui les représentent ne savent ni lire ni écrire et ne peuvent même pas signer un extrait de naissance. Un maire responsable ne doit pas abandonner sa commune pour ne revenir que pour des funérailles ou pour les fêtes de Korité et de Tabaski ou encore lors des campagnes électorales. Ceux qui le font sont indignes d’être maires’’, martèle ce jeune, un des plus écoutés du Fouta.